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L'angoisse de la rentrée

Chahinaz Gheith, Lundi, 16 septembre 2013

A la veille de la rentrée scolaire, rumeurs et angoisses empoisonnent le quotidien des parents qui s’attendent à un début d’année mouvementé.

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Le bus scolaire, source d'angoisse et d'insécurité. (Photo : Moetaz Abdel-Haq)

« On a peur ». Deux mots qui résument l’état d’inquiétude des parents désemparés à l’idée de voir s’approcher la date de la rentrée scolaire. Dans quelques jours, et précisément le 21 septembre, les cloches des écoles sonneront pour annoncer le début d’une nouvelle année scolaire. Mais cette rentrée 2013-2014 n’est pas comme les autres. Angoisse, crise de panique, voire même phobie, les parents se préparent à une rentrée scolaire dans des conditions psychologiques et financières particulièrement difficiles. « On est tous tendus, on ne sait pas ce qui va se passer. L’insécurité est bien réelle et les dangers encerclent nos enfants de tous les côtés », lance Samira, mère de deux filles à l’école primaire. Et d’ajouter : « On a l’impression de vivre en Iraq où la violence fait des ravages. Les Egyptiens vivent aujourd’hui au rythme des attentats à la voiture piégée, des incendies criminels, des affrontements et des sit-in sauvages. Une fusillade étrange a éclaté dans le quartier de Mohandessine, une bombe est découverte avant qu’elle n’explose à la gare d’Alexandrie, une autre près du pont de l’Université du Caire, des tireurs embusqués ouvrent le feu et tirent sur les forces de sécurité. On entend le bruit des balles, on croise des hommes en train de se battre au corps à corps, les hélicoptères militaires vrombissent. On est terré chez soi avec le couvre-feu et Le Caire est quadrillé par l’armée, épaulée par des comités populaires. Bref, l’Egypte est sens dessus dessous ».

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Des interrogations, des prévisions, mais aussi des sentiments d’angoisse et de frayeur habitent une bonne partie de la population qui accorde peu de crédit aux instances officielles chargées d’assurer la sécurité des établissements scolaires et à leur manière de gérer la crise. Tous les parents attendent le dernier moment pour prendre une décision, à savoir envoyer leurs enfants à l’école ou non. Une rentrée pas comme les autres et qui bouleverse le quotidien d’un bon nombre de familles. Les échanges vont bon train sur Facebook entre les mères de famille, préoccupées par cette rentrée scolaire qui s’annonce comme un vrai casse-tête. « Je ne vais pas emmener ma fille à l’école, j’ai peur que cette rentrée scolaire tourne au cauchemar, étant donné que la situation sécuritaire ne s’est pas améliorée. Et puis que doit-on faire à propos des bus ? », interroge Chourouq qui pense que la rentrée scolaire doit être reportée pour éviter une catastrophe. Elle évoque le dernier attentat à la voiture piégée qui a visé le ministre de l’Intérieur et qui a fait 22 blessés dont 10 policiers. Nombreuses sont les mamans qui ont refusé de payer les frais du bus scolaire et ont décidé d’accompagner elles-mêmes leurs enfants. « Les routes ne sont pas sûres. Que vais-je faire si des personnes attaquent le bus qui transporte mes filles à l’école ? », lance Nadine en faisant allusion aux Frères musulmans qui, selon elle, sont prêts à tout faire pour libérer leurs dirigeants des prisons. « On se dit que, comme les islamistes ont tout perdu, la dernière solution qui leur reste est de commettre des attentats », ajoute Nadine. Et de poursuive : « Ceux qui tirent profit de cet état de panique savent très bien que le point faible des parents c’est leurs enfants ».

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Nombreux sont les parents qui ont décidé de boycotter le bus scolaire et d'accompagner eux-mêmes leurs enfants. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Chéhata, propriétaire d’un taxi, affirme qu’il a perdu son gagne-pain, car les parents ont peur de laisser partir leurs enfants seuls à l’école et tout cela à cause de l’insécurité. Lui qui attend chaque année cette rentrée scolaire pour doubler ses revenus n’a pu convaincre, ni rassurer ses anciens clients sur la sécurité de leurs enfants. Pour d’autres parents, la rentrée scolaire signifie également des difficultés dans les transports. Autrement dit, si certains ont pris l’initiative de boycotter les bus scolaires et d’accompagner leurs enfants, d’autres n’ont pas cette option. Ahmad, fonctionnaire, ne sait à quel saint se vouer. Il se demande comment son fils va se rendre à l’école étant donné qu’il prend le métro souterrain. De plus, la station Sadate est fermée depuis un mois suite aux affrontements sanglants entre la police et les pro-Morsi. Ce pauvre fonctionnaire espère que le gouvernement va ouvrir cette station, et ce, avant que les élèves ne reprennent le chemin de l’école. « Il ne nous reste plus qu’à prier le bon Dieu pour qu’il protège nos enfants », dit-il en s’impatientant de voir son quotidien retrouver un semblant de normalité. Les acrobaties qu’il fait chaque jour ne l’aident pas à pointer à l’heure à son travail ou rentrer normalement à la maison. Alors que va faire son fils pour aller à l’école ?

Les craintes des écoles chrétiennes

Bien que le ministre de l’Education ait déclaré à plusieurs reprises que la sécurité sera assurée aux alentours des établissements scolaires, cela n’a pas apaisé les écoles religieuses, qui ont pris l’initiative d’embaucher des agents de sécurité. La directrice d’une école religieuse, située au centre-ville, n’a pas hésité également à se rendre au commissariat, une semaine avant la rentrée scolaire, pour demander du renfort. Et pourquoi pas puisque ces derniers jours, à travers tout le pays, une soixantaine d’églises ont été prises pour cible par les islamistes qui reprochent à la minorité copte d’avoir soutenu la répression sanglante des militaires à leur égard. Certains édifices, mais aussi des écoles confessionnelles ainsi que des maisons appartenant à des coptes ont été brûlés, essentiellement en Haute-Egypte, au sud de la capitale. « Nous craignons les représailles des Frères musulmans. Il y a une semaine, ils ont tiré des coups de feu en l’air pour nous faire peur. Mais immédiatement des paroissiens sont sortis de l’église pour dresser un barrage et les terroristes sont partis », raconte la soeur. Ce sentiment de frayeur est palpable. « Tout ce que nous demandons, c’est l’aide de l’armée et de la police afin de sécuriser nos élèves menacés ».

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Nombreux sont les parents qui ont décidé de boycotter le bus scolaire et d'accompagner eux-mêmes leurs enfants. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Même ambiance de méfiance et de panique dans les écoles internationales qui ont déjà ouvert leurs portes. Au vu des directives communiquées par les autorités égyptiennes concernant la rentrée scolaire dans les établissements internationaux, il a été décidé de fixer la rentrée au 14 septembre. Devant la porte d’une école située à Al-Tagammoe Al-Khamès, les parents se bousculent à chaque rentrée et sortie des élèves. « Depuis l’attaque du convoi du ministre de l’Intérieur à proximité de mon domicile, je suis inquiet au point que je n’arrive plus à fermer les yeux la nuit. La pression est au quotidien, mais nous comptons beaucoup sur nos services de sécurité qui sont bien mobilisés », souligne Ramez, père de deux garçons à l’école préparatoire tout en pointant du doigt les chars des forces armées garés ici et là. Les patrouilles de police devant certaines écoles nous rappellent les scènes de la révolution du 25 janvier lorsque les enfants n’avaient repris les cours qu’au deuxième semestre. En dehors des cours, les parents ne cessent de téléphoner aux professeurs et aux surveillants pour avoir des nouvelles de leurs enfants. Une situation qui traduit le scepticisme ambiant. « Comment ces écoles osent-elles ouvrir leurs portes alors que c’est une période critique ? », explique Rania, médecin. Et d’ajouter que plusieurs enseignants étrangers toujours inquiets ont préféré attendre encore un peu pour être sûrs que la sécurité sera rétablie. « Ce n’est pas la fin du monde si la rentrée est reportée d’une semaine pour garantir la sécurité de nos enfants », réplique-t-elle en affirmant qu’elle n’a pas encore envoyé sa fille à l’école.

Les déboires de la rentrée

Les enfants ne sont pas épargnés par ce stress. Pour eux, rentrée scolaire rime avec début de l’enfer. « C’est la rentrée. Plus de télé, les devoirs vont pleuvoir et les corvées aussi. Il y a les livres à relier. Après les examens c’était la révolution, puis le couvre-feu. Mais quelles vacances ! », s’exclame Omar, 12 ans qui fait partie de la campagne lancée sur Facebook par les écoliers et qui a pour slogan « Contre la rentrée cette année ».

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L'attentat contre le ministre de l'Intérieur a augmenté le sentiment de frayeur chez les parents. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Le jour de la rentrée approche. C’est le moment pour les familles de faire les achats des fournitures scolaires. Dans le quartier de Faggala, les librairies et les échoppes qui vendent les fournitures et les manuels (parascolaires) chassent les mouches. Un lieu où d’habitude il était difficile de mettre les pieds deux semaines avant la rentrée. Cette année, Faggala est en état de stagnation. Les allées sont ornées de tabliers, de sacs à dos, de livres parascolaires, de cahiers et protège-cahiers de toutes les couleurs.

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Cette année, Faggala est en état de stagnation. (Photo : Chérif Mahmoud)

Listes en main, Gamila ayant deux enfants, en 2e préparatoire et en 5e primaire, arpente les rayons des différentes librairies afin de comparer les prix. Elle s’indigne de la hausse des prix. Selon elle, avec la rentrée des classes commence la « vidange » des poches des parents. Cours particuliers, fournitures scolaires, uniformes et plein d’autres dépenses à assumer par la famille égyptienne pour garantir un environnement studieux favorable à sa progéniture durant leur année scolaire. « Les fournitures et les manuels scolaires coûtent les yeux de la tête. Les commerçants véreux profitent de cette occasion pour augmenter les prix. Quant aux chefs des établissements scolaires, ils n’acceptent pas de retard dans le paiement des frais de scolarité », se plaint-elle tout en enviant les élèves des écoles situées au quartier de Rabea Al-Adawiya ou Al-Nahda, car selon le ministre de l’Education, ces écoliers seront dispensés des frais de scolarité. Et ce n’est pas tout, le ministère va également leur offrir les cartables et les uniformes scolaires en guise de dédommagement pour les dégâts subis à leurs écoles lors du sit-in des partisans de Morsi. « N’est-il pas plus logique de compenser les élèves des écoles des zones rurales ou de la Haute-Egypte qui sont dans le besoin ? Pourquoi les responsables ne se soucient-ils guère de ces écoles souffrant du surpeuplement et de la négligence ? », conclut Gamila tout en se moquant de la dernière déclaration du ministre de l’Education en faveur de la remise à chaque élève d’une tablette pour remplacer les livres scolaires, alors que nombreux sont les établissements scolaires qui n’ont plus de fenêtres ou de toilettes.

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