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Mohamed Abbas Nagui : Avec ou sans accord, l’influence iranienne au Moyen-Orient ne faiblira pas

Ola Hamdi , Mercredi, 06 avril 2022

Dr Mohamed Abbas Nagui, expert de l’Iran au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram et directeur de rédaction de la revue Mokhtarate Iraniya (choix iraniens), revient sur les enjeux de l’accord nucléaire.

Avec ou sans accord, l’influence iranienne au Moyen-Orient ne faiblira pas

Al-Ahram Hebdo : Pensez-vous que les négociations en cours pour relancer l’accord nucléaire iranien soient vraiment proches de prendre fin ?

Mohamed Abbas Nagui : Je pense que 99 % des négociations ont été terminées. L’aspect technique des négociations a été achevé, alors que demeure l’aspect politique lié aux conditions de l’Iran ou à sa volonté de rehausser le niveau de ses acquis, en exigeant le retrait du corps des Gardiens de la Révolution de la liste des organisations terroristes établie en 2019 sous Trump. Bien qu’une telle mesure soit symbolique, les Américains auront peur de la prendre, car ils perdraient la confiance de tous leurs alliés dans la région. De plus, l’intérieur américain et le Congrès s’opposeront fermement à cette demande. Je crois que l’accord finira par se concrétiser, mais le moment de l’annoncer est sujet à des controverses.

— Pourquoi les pays occidentaux et Téhéran veulentils conclure l’accord le plus rapidement possible ?

— Les pays occidentaux veulent conclure l’accord le plus tôt possible en raison de la guerre russo-ukrainienne. La Russie menace d’arrêter l’approvisionnement de l’Europe en pétrole et en gaz. D’où la crainte des pays occidentaux face à cette éventualité. Et c’est ce qui les pousse à accélérer la finalisation de l’accord pour que l’Iran puisse de nouveau leur fournir du pétrole et réduire son prix. Cependant, l’Iran ne remplacera pas entièrement la Russie. La production et les exportations russes sont énormes, et l’Iran ne sera pas en mesure de compenser de façon totale la pénurie, mais le pétrole iranien aidera dans une certaine mesure. Quant à Téhéran, elle veut faire pression et obtenir le meilleur accord. Le facteur temps joue en sa faveur. Plus l’accord tarde, plus son programme nucléaire avance.

— La Russie peut-elle saboter l’accord nucléaire ?

— Oui, la Russie peut entraver l’accord, parce qu’une fois celuici approuvé, l’uranium enrichi que l’Iran a produit en grande quantité ces derniers temps doit sortir du pays. L’Occident ne laissera pas l’Iran garder ces quantités d’uranium. La solution est que cet uranium sorte d’Iran, et le pays candidat pour l’acheter est la Russie. Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, le stock d’uranium enrichi de l’Iran a été multiplié par 15 par rapport à 2015 et s’élève à 3 197,1 kilogrammes. L’accord nucléaire autorise l’Iran à conserver seulement 202,8 kilogrammes. C’est peut-être la carte la plus importante que la Russie essaie d’utiliser pour faire pression et amener les Occidentaux à répondre à ses demandes. Ce qui signifie que si ses demandes ne sont pas satisfaites, elle refusera de recevoir cet uranium, ce qui incitera les Occidentaux à réfléchir à des alternatives, tels la Chine ou le Kazakhstan qui possèdent de grandes capacités technologiques héritées de l’Union soviétique. Le retrait de la Russie de l’accord nucléaire est devenu l’un des scénarios possibles, mais sa concrétisation dépend des calculs de Téhéran qui s’appuyait largement par le passé sur la Russie en tant que soutien international pour faire face aux pressions des pays occidentaux à l’intérieur du Conseil de sécurité. Par conséquent, parvenir à un accord sans Moscou reste un risque imprévisible. La Russie, à son tour, prendrait un risque si elle se tourne vers ce scénario qui pourrait pousser l’Iran à pencher vers les Occidentaux comme c’était le cas à l’époque de l’ancien président Hassan Rohani.

— Quel sera l’impact de l’accord, une fois signé, sur l’influence iranienne au Moyen- Orient ?

— Avec ou sans accord, l’influence iranienne au Moyen- Orient ne faiblira pas. L’Iran insistera à poursuivre ses ingérences régionales. Le 10 mars, le guide suprême, Ali Khamenei, a tenu à confirmer que le rôle de l’Iran ne reculera pas dans la région. Cette déclaration montre que les grandes puissances tentent d’exercer des pressions sur l’Iran dans ce dossier. L’insistance de l’Iran à ne pas réduire son influence dans la région peut s’expliquer par plusieurs considérations, dont la plus importante est la protection des constantes idéologiques du régime. Le régime de la République islamique d’Iran s’appuie sur un ensemble de déterminants qu’il ne peut pas aisément remplacer : le premier est la non-reconnaissance des frontières actuelles de l’Iran, car il s’agit de « frontières artificielles » imposées par les interventions étrangères que l’Iran a subies, ce qui l’a amené à adopter une politique d’expansion à l’étranger. Le second est l’insistance à considérer les Etats-Unis comme un « adversaire historique » qui, selon la vision du régime, ne peut se transformer, quelles que soient les circonstances, en « ami » ou en « allié ». Sans doute, cela n’empêche pas d’établir des canaux de communication ou de mener des négociations directes ou indirectes avec Washington, tant que cela est compatible avec les intérêts iraniens.

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