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Le monde face à sa laideur

Abir Taleb , Mercredi, 09 mars 2022

Trente ans après la fin de la Guerre froide et l’avènement d’un monde unipolaire, la guerre en Ukraine dévoile les disfonctionnements du système international. Si un retour en arrière n’est plus de mise, le monde va sans doute témoigner d’importantes mutations. Analyse.

Le monde face   sa laideur
(Photo : AP)

Semaine II. La guerre se poursuit. L’Ukraine résiste, mais jusqu’à quand ? La Russie, quoique mise au ban, persiste et signe (voir article page 4). Le monde est en ébullition. Au-delà du conflit militaire lui-même, l’offensive russe contre l’Ukraine a dévoilé les défaillances des relations internationales. Les a remises en cause. A quoi sert l’arme des sanctions ? A quoi sert l’Otan ? A quoi sert l’Onu ? Quelle est la force de l’Union Européenne (UE) ? La superpuissance américaine de ce monde unipolaire suffit-elle pour faire le « gendarme » ? Le monde est-il en train de changer ? Trop tôt pour répondre à toutes ces interrogations, sans doute. Il n’en demeure pas moins que le monde témoigne d’un chamboulement dont on ne mesure pas encore les conséquences à moyen et long termes.

Lors de sa création en 1945, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Organisation des Nations-Unies s’est donné pour objectif prioritaire le maintien de la paix et de la sécurité mondiales. Mais son Conseil de sécurité a été formé justement en fonction des résultats de cette guerre dévastatrice, avec ses 5 membres permanents alors vainqueurs de la guerre et leur fameux droit de veto. Dès lors, l’instauration de la paix dans les différents pays du monde via le Conseil de sécurité et l’intervention internationale sont restées tributaires de l’accord de ces cinq membres. On a alors témoigné des imperfections de ce système. L’exemple le plus flagrant est la question palestinienne : la communauté internationale étant jusqu’à ce jour incapable de bâtir les fondements d’une solution définitive au Proche-Orient, malgré un processus de paix lancé voilà près de 3 décennies. Un processus né des ruines de la fin de la Guerre froide.

Or, justement, pendant cette Guerre froide qui a opposé l’Ouest à l’Est, dirigée de 1946 à 1991, année de la chute de l’Union soviétique, un certain poids et contrepoids régnait dans les relations internationales, malgré la course à l’armement et les années d’« équilibre de la terreur ». La dissolution de l’URSS a ensuite donné lieu à un monde unipolaire, dirigé par la superpuissance américaine et ses alliés. Avec toutes les défectuosités et les difformités qu’il a engendrées.

L’Onu et l’Otan victimes de leurs propres systèmes

Aujourd’hui, avec l’offensive russe en Ukraine, l’Onu se heurte à son impuissance. Avec la Russie membre permanent du Conseil de sécurité, aucune résolution ne peut être votée. Seule l’Assemblée générale a déploré, la semaine dernière, « l’agression » russe, exigeant un retrait immédiat. Mais si les termes du texte sont énergiques et la résolution votée avec une majorité écrasante (141 voix pour, 5 contre et 35 abstentions), les résolutions de l’Assemblée générale n’ont aucun caractère contraignant. Et face à cette impasse, certains, comme le Royaume-Uni, sont allés jusqu’à souhaiter retirer à Moscou son siège au Conseil de sécurité. Une chimère sans doute …

Autre disfonctionnement : l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a survécu à la Guerre froide, pas le Pacte de Varsovie. Les deux alliances — l’Otan pour l’Ouest, le Pacte de Varsovie pour l’Est — qui se présentaient tous deux comme des alliances militaires à caractère « défensif », se sont fait face tout au long de la Guerre froide, avant que le Pacte de Varsovie ne soit dissous en 1991. Et que l’Otan n’entame une politique d’élargissement vers l’Est, malgré un accord tacite que cela ne se produirait pas. Il y a 30 ans, les frontières de l’Otan étaient situées à 1 200 kilomètres de Saint-Pétersbourg ; aujourd’hui, elles ne sont qu’à 100 kilomètres. L’origine du conflit actuel …  Or, si l’Otan est coeur et âme solidaire de l’Ukraine, sa marge de manoeuvre est restreinte. D’où son refus — très mal vu par Kiev — de créer une zone d’exclusion aérienne en Ukraine. Ce serait prendre le risque, bien trop grand, d’un élargissement du conflit, voire d’une troisième guerre mondiale. Vladimir Poutine l’a rappelé : toute fermeture du ciel serait la ligne rouge à ne pas franchir.

Quant à l’UE, la grande fierté des Européens depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle est encore moins efficace. Face à un conflit qui se déroule sur son territoire, elle ne peut que multiplier les sanctions contre la Russie. En espérant que la troisième guerre mondiale, si elle a lieu, ne se déclenchera pas encore en Europe, comme c’était le cas en 1914 et en 1945 ….

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