Al-Ahram Hebdo : Que pensez-vous de la menace américaine concernant l’intervention militaire en Syrie ?
Mustafa El-Labbad : Je crois que le maximum que le président américain peut envisager est une frappe punitive aérienne par l’intermédiaire de missiles contre le régime, de telle manière à ce que le régime d’Assad ne chute pas et que les rapports de forces ne soient pas modifiés sur le terrain.
— Quel est donc, selon vous, l’objectif de cette frappe, si ce n’est pas la chute du régime de Bachar ?
— L’objectif est que le président américain Barack Obama préserve sa crédibilité, étant donné qu’il a considéré l’usage de l’arme chimique comme une ligne rouge pour l’Administration américaine. Obama ne veut pas actuellement provoquer la chute du régime syrien en place, parce que l’alternative serait les groupes djihadistes extrémistes. Il ne veut pas, au même titre, soutenir Al-Assad, parce que sa victoire signifierait une influence grandissante de l’Iran et du Hezbollah dans la région. Ainsi, l’option la plus convenable pour les intérêts des Etats-Unis est de parvenir à faire un équilibre entre le régime et l’opposition sur le terrain.
— Quels sont les motifs présentés par Obama au Congrès pour discuter la décision d’une éventuelle frappe contre le régime de Bachar ?
— Le président américain sait parfaitement bien qu’il ne pourra pas arracher de résolution au Conseil de sécurité pour couvrir la frappe à cause de l’opposition de la Russie et de la Chine. C’est pour cette raison qu’il a essayé de former une coalition occidentale constituée de l’Angleterre et de la France. Le Parlement britannique a, de son côté, refusé de participer à cette frappe, et le Parlement français en discutera le mercredi 4 septembre. C’est pour cette raison qu’Obama a décidé, dans son allocution prononcée samedi dernier, de transférer le dossier au Congrès, parce qu’il se sentait sous pression et assiégé. Alors que la Constitution lui permet de déclencher des frappes sans l’approbation du Congrès. Obama veut s’attirer un soutien plus large sur le plan interne. Et si le Congrès refuse le principe de l’attaque, Obama sera ainsi dispensé d’adresser des frappes à la base. N’oublions pas que 143 membres du Parti du thé au Sénat ont affiché leur refus à une éventuelle frappe.
— Et quel serait, selon vous, l’impact d’une attaque contre la Syrie sur les pays de la région, notamment l’Iran, Israël et la Turquie ?
— Il faut savoir que le fait d’adresser une frappe militaire punitive n’aura pas tellement d’influence sur l’équilibre régional. De plus, la situation actuelle en Syrie profite à Israël, car si les capacités de la Syrie sont brisées, celle-ci sortira de l’équation du conflit arabo-israélien pour des dizaines d’années. Quant à l’Iran, c’est parfaitement dans son intérêt de garder le régime syrien comme allié, du moins jusqu’à la conclusion d’un accord avec les Américains au sujet de son dossier nucléaire. La nouvelle escalade en Syrie ne fait qu’embarrasser le nouveau président Hassan Rohani, qui opte pour une politique d’ouverture sur l’Occident. La Turquie, quant à elle, a affiché très tôt son hostilité à l’égard du régime syrien. Elle se trouvera à l’avant-garde des bénéficiaires en cas de chute, à travers son influence et son emprise qu’elle maintiendra sur le nord de la Syrie.
— Quels sont les scénarios éventuels après la frappe sur la Syrie ? Et comment cette dernière pourra-t-elle réagir ?
— En cas de frappe punitive, la Syrie pourra répliquer à travers ses moyens de défense aérienne. Mais il faut savoir que l’objectif visé par cette attaque déterminera en grande partie la réplique qu’entreprendra la Syrie. Si le régime syrien ressent qu’il est menacé de chute, il agira différemment et portera des frappes violentes à son voisinage jordanien, turc et israélien. Il utilisera tous les moyens dont il dispose.
— Quelles sont les similitudes entre la Syrie actuelle et l’Iraq, en ce qui a trait à la position américaine, arabe et celle de la communauté internationale ?
— Il y a une grande différence du point de vue de la méthodologie même de la comparaison. L’Iraq vivait un état d’isolement politique avant son occupation. Tous les pays voisins lui étaient hostiles. Même les vols aériens étaient interdits au sud et au nord du pays. La Syrie, quant à elle, est membre d’une alliance dirigée par l’Iran. Son régime jouit d’un soutien iranien, iraqien, voire libanais. Aucun de ces pays cités ne se trouve sous embargo aérien. Donc, la position américaine est différente, parce qu’elle ne vise pas jusqu’à maintenant la chute du régime syrien. Alors que la Turquie soutient toute forme d’éventuelle frappe. Et c’est à ce niveau-là que sa position est différente de celle adoptée dans le cas iraqien, en 2003. Les positions arabes sont aussi divergentes qu’en 2003.
— Parlons des pays arabes, pourquoi, à votre avis, la position de l’Arabie saoudite n’a-t-elle pas beaucoup changé de celle adoptée pour l’Iraq ?
— Tout simplement, parce que l’Arabie saoudite et les pays du Golfe pensent que le régime syrien est la grande porte de la politique iranienne dans la région. Ils veulent entraîner sa chute, afin de contrer l’influence iranienne dans la région. L’Iraq avait occupé le Koweït en 1990 et a menacé les intérêts du Golfe. C’est pourquoi l’Arabie saoudite soutenait à l’époque la frappe.
— L’Egypte a annoncé officiellement son refus de toute opération militaire. Cette position engendrera-t-elle une quelconque influence ?
— L’Egypte possède toujours une influence morale non négligeable dans la région comme dans le monde arabe. Même si l’Egypte n’a plus le même pouvoir qu’elle détenait depuis des années au niveau du dossier syrien. Il faut savoir que si le président destitué Mohamad Morsi tenait toujours les rênes du pouvoir, l’Egypte aurait probablement participé à cette frappe, surtout après le boycott qu’il avait affiché à l’attention de la Syrie peu avant sa destitution.
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