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Ali Abdel-Nabi : Des fuites radioactives sont improbables

Racha Darwich , Mercredi, 09 mars 2022

Dr Ali Abdel-Nabi, ancien vice-président des centrales nucléaires, revient sur l’éventualité d’un accident nucléaire en Ukraine.

Ali Abdel-Nabi

Al-Ahram Hebdo : Quelles sont les craintes   d’un accident nucléaire en Ukraine à cause du conflit actuel avec la Russie ?

Dr Ali Abdel-Nabi : Tout d’abord, il convient de préciser que toutes les armes nucléaires qui étaient en possession de l’Ukraine quand elle était un Etat soviétique ont été renvoyées à la Russie après la séparation de l’Ukraine en 1991, à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique. Depuis, l’Ukraine ne dispose que de réacteurs nucléaires pour la production de l’électricité. Ceux-ci produisent près de 51,2 % de ses besoins. Les 15 réacteurs ukrainiens sont tous de fabrication russe du genre VVER, alors que deux autres sont sous construction. La Russie n’a aucun intérêt à détruire les réacteurs nucléaires ukrainiens, que l’Ukraine soit sous occupation russe ou pas, car ce sont des produits russes et l’Ukraine continuera ainsi à dépendre de la Russie tout au long de la durée de fonctionnement de ces centrales à cause des pièces de rechange. Quant aux craintes actuelles, il est possible que les centrales nucléaires subissent des attaques par erreur, que ce soit de la part de la Russie ou de l’Ukraine. Elles peuvent aussi être victimes d’une attaque terroriste pour faire accuser la Russie. Au cas où une attaque viendrait à détruire l’enceinte de confinement renfermant et protégeant le combustible nucléaire, ou les entrepôts du combustible non utilisé ou irradié, au cas où cette attaque causerait l’arrêt du système de refroidissement par eau ou détruirait la cuve sous pression où se trouve le combustible nucléaire, des parties du combustible nucléaire et d’autres matières radioactives sortiraient du coeur du réacteur et du circuit primaire dans l’environnement entourant la centrale. Cependant, l’éventualité que des matières nucléaires radioactives sortent à l’environnement entourant la centrale, que des gaz nucléaires radioactifs se répandent dans l’air ou que des matières radioactives se répandent dans le sol et atteignent les eaux souterraines, est faible et peu fiable.

— Quelles seraient les conséquences d’une possible fuite radioactive en Ukraine ?

 — Une fuite radioactive est une fuite de matières nucléaires radioactives provenant du coeur de la centrale nucléaire à l’alentour du site de la centrale ou bien des lieux de stockage du combustible nucléaire nouveau ou irradié. Ces matières peuvent être solides, liquides ou gazeuses. Les matières solides lourdes se répandront dans les alentours du site de la centrale, alors que les matières légères se répandront dans l’atmosphère. L’étendue de leur propagation dans l’atmosphère dépendra des conditions météorologiques, en particulier de la vitesse et de la direction du vent. Au pire, les matières radioactives pourraient traverser les frontières de l’Ukraine et atteindre ses voisins européens. Les matières liquides se répandront dans le sol et atteindront peut-être les eaux souterraines avec quelques matières solides.

 — Pourquoi l’attaque contre le bâtiment administratif de la centrale nucléaire de Zaporijjia a-t-elle fait autant de bruit dans le monde ?

 — Il s’agit d’une sorte de guerre de propagande. Chaque partie lance des accusations contre l’autre. Pour l’Ukraine, il s’agit d’un moyen de dissuasion de la Russie. Elle tente de provoquer une panique mondiale pour que la Russie ne poursuive pas son avancée et occupe les villes ukrainiennes.

— Cela signifie-t-il que les centrales nucléaires ukrainiennes sont conçues de sorte à résister aux attaques militaires ?

 — En fait, les centrales nucléaires sont composées de deux parties, une partie nucléaire qui se trouve dans l’enceinte de confinement, et une autre partie conventionnelle qui comprend la turbine, le générateur et le condensateur. L’enceinte de confinement est conçue de sorte à résister à la chute d’avions et de missiles, aux tremblements de terre, aux inondations et aux tsunamis. Plus elle est solide, plus son coût est élevé. Les enceintes de confinement russes résistent à la chute d’un avion de 5,7 tonnes, alors que celle d’Al-Dabaa en Egypte supportera jusqu’à 400 tonnes. Mais les autres parties du réacteur sont aussi très importantes, car elles ont un impact direct et grave sur la sécurité du réacteur. Si elles sont détruites, l’eau de refroidissement sera coupée des générateurs de vapeur, la température et la pression de l’eau de refroidissement du coeur du réacteur augmenteront. Et si l’ordinateur qui fait fonctionner la centrale ne parvient pas à gérer cet accident dès le début, l’éventualité d’un accident nucléaire devient très forte, comme celui de la centrale de Three Mile Island en Pennsylvanie, le 28 mars 1979. Cet accident peut produire la fusion du coeur du réacteur qui engendre la formation d’une bulle d’hydrogène qui reste bloquée dans le plafond de l’enceinte de confinement, jusqu’à ce qu’elle soit absorbée par des dispositifs spéciaux. Mais si la bulle d’hydrogène est exposée à l’oxygène, il y aura une grave explosion et des incendies, ainsi qu’une catastrophe nucléaire similaire à la catastrophe de Tchernobyl en 1986 et de Fukushima en 2011.

— La production de l’électricité à partir de l’énergie nucléaire peut-elle devenir une alternative au gaz naturel russe pour l’Europe ?

— Les centrales nucléaires sont la seule alternative aux centrales électriques fonctionnant à l’énergie fossile comme le gaz, le charbon ou le pétrole. Tout pays peut compter sur l’énergie nucléaire pour produire jusqu’à 75 % de l’électricité dont il a besoin. C’est d’ailleurs le cas de la France, qui compte à 72 % sur l’énergie nucléaire pour produire l’électricité et qui jouit donc d’une grande stabilité dans son équation énergétique. C’est ainsi que la production de l’électricité à partir de centrales nucléaires pourrait tout à fait devenir une alternative au gaz russe pour les pays européens.  

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