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Ashraf Nabhan : Témoin des joies et des douleurs de femmes

Lamiaa Alsadaty , Mercredi, 23 février 2022

Professeur d’obstétrique et de gynécologie, Ashraf Nabhan sait joindre la joie de vivre au sens de la rigueur professionnelle. Il vient d’être nommé parmi les 2 % des meilleurs scientifiques du monde par l’Université de Stanford.

Ashraf Nabhan

Qui ne court pas après le temps ? Et qui n’aimerait pas que les journées soient extensibles pour faire ce à quoi il doit renoncer faute de temps ? Ashraf Nabhan fait exception. Professeur, gynécologue, sans compter encore une longue liste de postes, entre autres membre du groupe d’élaboration des lignes directrices de la santé reproductive et de recherche à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), et directeur du Centre Egyptien des preuves factuelles de la médecine, Nabhan sait bien gérer son temps, avoir une vie sociale tout en étant productif et en mesure d’accomplir les tâches qu’il s’est fixées. « La gestion du temps est importante pour planifier les tâches à accomplir. Il est nécessaire de tenir compte de plusieurs facteurs tels le caractère urgent d’une activité, la nécessité (ou non) de la mener à bien, etc., le respect des délais, en prenant l’habitude de bien gérer notre temps, nous pourrons améliorer notre efficacité et notre satisfaction professionnelle », explique-t-il avec simplicité. Ainsi, il trouve le temps pour assister à des concerts à l’Opéra, surfer sur Facebook, sortir avec des amis ou aller boire un bon chocolat chaud dans son café préféré à Al-Korba, le coin chic d’Héliopolis. Mais comment avoir du temps libre avec toutes ses responsabilités ? « Personne n’est occupé 24h/24. Il y a sans doute quelques moments où l’on est libre. La question est donc comment profiter de ces quelques moments ? ».

Né dans une famille, un père conseiller au Conseil d’Etat et une mère femme au foyer, il leur est toujours reconnaissant et ne cesse de le souligner. De son père, il a retenu la sociabilité et, par conséquent, toute une série de compétences telle la capacité de maintenir et de partager une communication, la confiance en soi et l’assertivité. De sa mère, l’amour du dessin. Et de tous les deux l’amour de la musique et de la lecture. Il n’oublie quand même pas le rôle assumé par sa grand-mère et sa tante avec qui il a vécu de bons moments durant son enfance et son adolescence. « Mon père, en raison de son travail, était obligé de partir et maman l’accompagnait toujours. Les femmes, à l’époque, ne laissaient jamais leurs époux seuls », souligne-t-il.

Ses parents ont décidé de l’inscrire au lycée privé Amoun, au moment où il était courant qu’on inscrive les enfants dans des écoles publiques. Il se souvient encore de Bahéya Karam, la propriétaire de l’école, qui était à l’origine inspectrice de langue anglaise, qui a reçu la médaille des pionniers en 1975 et qui a présidé la section réservée à la femme à l’Organisation afro-asiatique de coopération. « Elle faisait partie de la délégation qui a accompagné le ministre de la Culture Youssef Al-Sébaï à Chypre pour assister à la conférence du soutien de la cause palestinienne », raconte-t-il avec fierté. Un temps sans égal du point de vue principes et valeurs.

« Ma tante était enseignante et formatrice de sciences dans mon école. Toutefois, elle ne m’a jamais indiqué ce qu’arriveraient comme questions à l’examen ». Ashraf était un vrai génie. « Un jour, en 1979, deux grandes personnes ayant l’air très sérieux sont venues voir mon père, après s’être assurées que je suis Ashraf Nabhan, élève en brevet à l’école Amoun. Elles étaient deux responsables du ministère de l’Education qui me cherchaient, car j’ai eu 100% en brevet, et que j’étais classé le premier au niveau de la République. Un résultat inhabituel à l’époque et, en plus, celui d’un élève inscrit dans une école privée. Elles m’ont dit que je les avais épuisées, car mon adresse n’était pas assez précise, et donc elles ont eu beaucoup de peine à me trouver ».

Son parcours est brillant : un sans-faute donc qu’il doit évidemment à son intelligence, mais aussi à son travail sans relâche et à sa persévérance. « Mon père a voulu que je m’inscrive en ingénierie. Il voyait que j’avais de la rigueur, du raisonnement et de la méthode et qu’il fallait absolument les investir, alors que selon lui, la médecine dépendait du par coeur ». Mais il serait faux d’attribuer son choix professionnel aux simples circonstances de la vie. Depuis l’adolescence, il n’a cessé de se passionner pour le dessin des molécules et des cellules. Et s’est décidé très tôt à devenir médecin.

A la faculté, il a poursuivi sa distinction. « Ma mère m’a conseillé de choisir l’ophtalmie, une spécialité dont le rythme me permettrait, selon elle, de profiter de la vie ». Mais il a opté pour la gynécologie. Mais pourquoi cette spécialité en particulier ? D’un caractère jovial et enjoué, Ashraf Nabhan devient immédiatement sérieux quand on lui parle de la médecine, notamment de la gynécologie. Sa voix baisse de quelques tons, sa posture se redresse et il semble oublier la cohue d’un café cairote un lundi soir. Il est concentré et professionnel. « Les accouchements sont un grand moment d’émotion et une grande étape dans la vie d’une femme. C’est une ambiance particulière, une étape de la vie importante dans laquelle nous, les gynécologues, accompagnons les parents. C’est très dynamisant pour l’esprit ». Un grand moment sans doute : voir une femme qui se met tout d’un coup à pleurer comme une Madeleine en entendant le coeur de son bébé, et partager avec lui ce moment si magique qu’est la naissance d’un enfant.

En outre, il aime particulièrement le côté psychologique, le contact avec les gens dans sa fonction de gynécologue. Un caractère qu’il a hérité de son père. « Les autres pratiques chirurgicales visent à repousser les frontières de la mort. Il s’agit d’une lutte de bras de fer avec Azraël. Mais les gynécologues aident des bébés à venir au monde », sourit le gynécologue qui apprécie tellement la vie qui a pu, un jour et sans la moindre hésitation, arrêter l’autoroute Al-Nasr à cause d’un chat qui la traversait. Un vrai ailurophile dont l’affection ne se borne pas à ceux qui habitent son appartement.

Le sens de la vie permet de lui trouver une saveur particulière. Il présente enfin une dimension plus réflexive qui se comprend comme une appréciation pour vivre sa vie avec une certaine sagesse. La vie n’aurait donc de sens que pour une personne qui la prend en main. Il assume une responsabilité sociale en tant qu’acteur principal du système de santé, l’interlocuteur officiel du patient. Il est celui qui fait le lien entre les connaissances scientifiques et la pratique médicale. De ce fait, Nabhan n’hésite pas à parler avec son barbier pour le convaincre que l’excision n’est autre qu’une mutilation. Une conscientisation menée par les médecins et les médias incluant la population est, indéniablement, exigeante.

En tant que professeur, faire apprendre à ses étudiants comment faire une recherche scientifique lui est un élément primordial. « Je ne cesse de leur répéter qu’il n’existe pas de modèle de réponses, et qu’il faut plutôt faire travailler leur cerveau pour être apte à justifier la raison pour laquelle ils ont choisi telle réponse », souligne-t-il fermement.

Nabhan saisit toute occasion pour aborder le grand problème que connaît la médecine en Egypte : le manque des lignes directrices, c’est-à-dire une norme de soins. « L’intérêt de la présence d’une norme de soins est de mettre en place une base reconnue par tous les médecins appartenant à une spécialisation donnée pour une maladie déterminée. Ceci contribuera à une certaine transparence et à éviter le gaspillage des médicaments. Il se peut qu’une malade, après avoir fait le suivi chez un médecin, change d’opinion et va chez un autre médecin qui, à son tour, lui prescrira de nouveaux médicaments. Or, on n’est pas dans une course ».

En 2020 et 2021, Ashraf Nabhan a été nommé par l’Université de Stanford parmi les 2 % des meilleurs scientifiques au monde. Le rapport a été préparé par une équipe d’experts, dirigée par le professeur John Ioannidis, éminent professeur à l’Université de Stanford. La base de données des meilleurs scientifiques a été créée pour fournir des analyses à jour et accessibles au public. La base de données fournit des renseignements normalisés sur le nombre de publications et le nombre de citations d’un chercheur, que ce soit au niveau individuel ou collectif, ce qui reflète, par conséquent, l’impact de ses travaux.

« Etre reconnu par un groupe est très important pour n’importe quel individu. Ce sentiment génère de la confiance, de l’estime de soi et nous aide à nous définir en tant qu’individus. C’est exactement comme le chef d’orchestre qui se sent ravi en écoutant les applaudissements du public », conclut Ashraf Nabhan modestement.

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