Vendredi, 29 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > Egypte >

Que va faire le général ?

Najet Belhatem, Mardi, 30 juillet 2013

Il est pratiquement impossible de garder la tête froide en ce moment en Egypte. Les éditorialistes tentent vainement des analyses face à une réalité qui a l’air de dépasser tout le monde.

Il y a des instants dans l’Histoire qui ressemblent à une déferlante qu’aucune tentative aussi rationnelle ou sage et aussi folle ou irréfléchie, soit-elle, ne peut endiguer. Et pendant ces instants-là, il est difficile, voire impossible de demeurer lucide tant la force du torrent est forte et brutale, les eaux sont troubles et les éléments en présence s’entrechoquent. C’est l’instant que vit l’Egypte actuellement.

« Il semble que la prochaine bataille est celle qui consiste à préserver son humanité en premier lieu et le gagnant sera celui qui aura résolu l’équation : affronter le terrorisme des Frères musulmans sans faire de victimes, ou au moins avec un minimum de morts. C’est une bataille qui impose à tous de répondre à la question : doit-on condamner toute effusion de sang ? Ou alors y a-t-il des personnes qui méritent la mort en châtiment pour leurs crimes ? », écrit le célèbre activiste Ahmad Douma dans un article publié par le site d’information en ligne 24.

Dans cet article intitulé « Comment affronter le terrorisme des Frères musulmans sans effusion de sang », il pose une problématique que la sortie de millions d’Egyptiens suite à l’appel du général Al-Sissi, demandant un mandat populaire pour faire face au terrorisme, n’a pas résolu : « Peut-être que la solution que nous avons proposée aux forces armées comme moyen d’éviter des morts, qui consiste à appeler les manifestants de Rabea Al-Adawiya à sortir du sit-in en toute sécurité, et puis à arrêter les chefs impliqués dans des assassinats et dans la torture, peut nous éviter le pire. Mais il semble aussi que cette solution est la moins réaliste, vu que les personnes se trouvant dans le sit-in des Frères tirent à bout portant sur tous ceux qui osent s’en approcher. Que feraient-ils alors si ceux qui s’en approchent ont la volonté de disperser le sit-in ? ».

Tout le monde face à l’inévitable

La problématique paraît donc insoluble sur la base de données pacifiques. D’autant plus que tous les indices montrent que les sit-in des Frères sont devenus des bases arrière d’actes de violence et de séances de torture contre quiconque est jugé anti-Morsi. « Si les Frères adorent l’effusion de sang et y voient leur chemin vers le pouvoir, la majorité des Egyptiens ont la responsabilité d’empêcher la réalisation de ce scénario », écrit le porte-parole du Front National du Salut (FNS), Khaled Daoud, dans le quotidien Al-Tahrir.

De la rhétorique qui montre que les partis libéraux n’ont pas de solution à la crise. Et qu’en fait, tout le monde sait au fond de lui que l’inévitable devra bien avoir lieu. « Au-delà du mandat que lui a accordé le peuple apparaît le dilemme de Abdel-Fattah Al-Sissi dans sa tentative de limiter les cercles de la violence et du terrorisme, sans entacher les forces armées de sang. Et cela est dur face à une confrérie qui cherche la confrontation et qui veut porter les deux casquettes en même temps, celle du terroriste et celle de la victime », relève Abdallah Al-Senawi dans le quotidien Al-Shorouk.

Le dilemme demeure entier, même si des voix appellent à recourir aux voies démocratiques et à permettre une réconciliation nationale avec les courants religieux honnis par une majorité de la population. « Le résultat catastrophique de tout cela est illustré par la généralisation du fascisme et d’une hystérie commune contre la droite religieuse et l’émergence d’un état de dualité en ce qui concerne les droits de l’homme », s’insurge Amr Hamzawi dans Al-Shorouk, où il qualifie ses détracteurs, et ils sont majoritaires, « d’oiseaux des ténèbres ».

Ce camp parmi l’élite qui veut faire prévaloir la notion des droits de l’homme et des mécanismes démocratiques est hué de partout d’autant plus que rien sur le terrain ne vient soutenir sa thèse, surtout les agissements de la confrérie des Frères musulmans d’un côté, et la vague de recours à la fibre nationaliste d’un autre.

« Qu’est-ce que ce déferlement de chansons nationalistes anciennes et nouvelles diffusées par les chaînes de télévision jour et nuit ? Et qu’est-ce que cette apologie répétitive consacrée aux forces armées ? », note Nasser Abdel-Hamid dans le quotidien Al-Masry Al-Youm, tout en précisant que cela devrait le rendre heureux, puisque ces chaînes s’attaquent à l’ennemi qui est les Frères, mais en même temps, comment cautionner ces dérives ?

Le dilemme ce n’est pas celui d’Al-Sissi seulement, mais de tout le monde ou du moins de ceux qui gardent un brin de lucidité. Comment gérer le conflit entre ses propres convictions concernant la démocratie et les libertés, etc. et la situation créée par un groupe, en l’occurrence les Frères musulmans qui ont prouvé depuis plus d’un an par a+b que leurs idées reposent sur l’exclusion de l’autre ?

« Sommes-nous devant un autre Nasser ? »

Au milieu de cette déferlante, le général Al-Sissi est hissé en héros national. « Sommes-nous devant un autre Nasser ? », écrit Al-Senawi dans Al-Shorouk. « Je n’ai rien à voir avec Nasser, a dit Al-Sissi. Mais la comparaison a sûrement dû lui effleurer l’esprit, lui le nassérien pour qui Nasser est l’idéal … Mais cela ne veut pas dire qu’il pense à se présenter à la présidence car, selon les informations de sources sûres, il n’a pas l’intention de demander la présidence et y voit un manquement à son rôle et à la popularité qu’il a gagnée ».

Mais d’autres ont décidé de prendre les devants, ainsi l’écrivain et journaliste Mohamad Ragab a annoncé le lancement d’une campagne nationale pour proposer la candidature du général Abdel-Fattah Al-Sissi à la présidence. « Après ces dizaines de millions qui sont sortis à l’appel d’Al-Sissi, il est clair qu’il est le plus apte à diriger l’Egypte », a écrit le journaliste dans son communiqué rapporté par le site d’Al-Akhbar Al-Youm.

Au-delà de cette information anodine mais significative, le général Al-Sissi s’est forgé une réputation en or auprès des Egyptiens à tel point que son nom est donné aux nouveau-nés comme à Port-Saïd, où un père qui a appelé son bébé Al-Sissi a reçu la visite du chef de troisième armée, le général Oussam Askar, qui lui a offert un cadeau. Et à tel point que les femmes y voient désormais le symbole de la virilité, au point qu’une journaliste a écrit dans Al-Masry Al-Youm qu’un homme comme lui n’a qu’à cligner de l’oeil pour voir ses voeux exaucés et qu’elle, en tant que femme, « n’a aucun inconvénient à être troisième ou quatrième épouse, ou même concubine avec un tel homme ». L’article a fait le buzz sur le Web entre internautes outrés et d’autres ravis, alors que beaucoup d’islamistes y ont vu, on ne sait pourquoi, une critique satirique à l’égard du général !

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique