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Soudan : Une transition semée d’embûches

Mercredi, 02 septembre 2020

Un an après la signature de l'accord de partage du pouvoir au Soudan, les défis de la transition sont encore nombreux : le non-accomplissement des institutions de transition, le démantèlement de l’ancien régime, l’instauration d’une paix globale ou le sauvetage d’une économie en pleine crise.

Soudan : Une transition semée d’embûches
Le gouvernement soudanais et le Front révolutionnaire ont paraphé, le 31 août, un accord visant à mettre fin à 17 ans de guerre civile. (Photo : Reuters)

par Ahmad Amal*

Le 17 août 2019, un accord de partage du pouvoir au Soudan était signé entre le Conseil militaire de la transition et la Coalition pour la liberté et le changement, donnant ainsi un coup d’envoi d’une nouvelle ère de transition d’un peu plus de trois ans. Un an après, des problèmes profonds entravent toujours son essor. Liquider ces problèmes est le seul garant pour achever la transition prônée devant déboucher sur des « élections intègres et transparentes ». La formation incomplète des institutions de transition figure à la tête de ces défis. Premièrement, le Conseil de la souveraineté, qui pilote la transition, et qui est composé de 5 militaires, 5 civils, et d’un dernier membre choisi par consensus par les deux groupes, se trouve parmi ces organes. En effet, l’un des phénomènes remarquables dans la structure du camp civil est la réticence des grandes figures politiques de « la Coalition pour la liberté et le changement » de rejoindre le Conseil de la souveraineté. Car l’article 20 du document provisoire interdit aux membres des institutions de transition de se présenter aux futures élections. Quant au Conseil des ministres, la candidature de Hamdok au poste de premier ministre a été bien accueillie à la fois par les forces révolutionnaires soudanaises et par la communauté internationale. Mais les premières tractations pour la formation du gouvernement avaient dévoilé l’existence de divergences politiques profondes au sein de l’alliance au pouvoir. Ce qui a retardé la prestation de serment du gouvernement, du 28 août 2019, comme le stipule le document constitutionnel, au 8 septembre, marquant ainsi la première violation des règles de la transition au Soudan. A cause de la faiblesse de la performance de certains portefeuilles, le premier ministre a anticipé le pas aux manifestations du 30 juin 2020, réclamant « une réforme du gouvernement de transition », en procédant à un large remaniement ministériel. Le 9 juillet, Hamdok a accepté la démission de 6 ministres et a limogé le ministre de la Santé à cause de sa mauvaise gestion de la crise du Covid-19. D’un autre côté, un autre organe des institutions de transition fait toujours défaut : le Conseil législatif censé être formé de 300 élus. C’est le Conseil de souveraineté et celui des ministres qui exercent jusqu’à présent, à titre exceptionnel, cette fonction législative.

Toutefois, ce délai ouvre la possibilité d’un prolongement de la transition. En effet, ce parlement devrait accomplir la mission de réforme législative concernant la rédaction d’une nouvelle Constitution et la modification de toutes les lois rédigées par l’ancien régime avant la fin de la phase de transition à la fin de 2022.

Avancer lentement vers la paix

Instaurer « une paix globale » dans les régions est, ouest et sud du Soudan est une autre problématique de la phase transitoire. Le 12 octobre 2019, le Conseil de la souveraineté avait promulgué, un jour avant le lancement des négociations de paix avec le Front révolutionnaire à Juba, un décret pour la formation du « Conseil suprême pour la paix ». Ce conseil, présidé par le général Abdel-Fattah Al-Burhan, président du Conseil souverain de transition, est formé par les autres membres du conseil, le premier ministre, les ministres de la Justice et du Gouvernement fédéral ainsi que 3 experts. Conformément au document constitutionnel, la date butoir pour finaliser un accord de paix global avec les mouvements armés du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil bleu devait être février 2020 au maximum. Toutefois, les négociations ont été prolongées plusieurs fois. Finalement, le 31 août, le gouvernement soudanais et le Front révolutionnaire ont paraphé un accord de paix dans la capitale du Soudan du Sud, Juba, qui doit en principe mettre fin à 17 ans de conflit (voir sous-encadré). Pourtant, cette démarche demeure insuffisante pour établir une paix globale au Soudan, d’autant plus que deux principaux groupes, à savoir celui de Abdel-Aziz El-Helw, qui active dans les régions de Kordofan du sud et du Nil bleu, ainsi que celle de Abdel-Wahed Mohamad Nour, dans la région du Darfour, sont les grands absents de l’accord.

L’ancien régime toujours là

Autre question, bien que le démantèlement de l’ancien régime de Béchir soit l’une des missions essentielles des instances de transition, les mesures entreprises dans ce sens étaient graduelles et lentes. Ce processus a commencé par l’arrestation d’un nombre de grandes figures du régime du Salut, qui étaient membres du Congrès national et du mouvement islamiste. Cette démarche a été suivie par deux autres mesures ; la dissolution du Congrès national avant de confisquer tous ses actifs dans la capitale et dans les provinces et le démantèlement des unités paramilitaires de ce parti telles que « la Défense populaire » et la « Police populaire ». En décembre 2019, le président du Conseil de la souveraineté a annoncé la formation d’un comité ayant pour mission de lutter contre la corruption, et de récupérer les fonds spoliés par l’ancien régime. Pourtant, toutes ces mesures ont été jugées en deçà des attentes d’un large secteur de la rue soudanaise.

Loin du volet juridique, les bases populaires du régime du Salut sont toujours capables d’influencer négativement le cours de la transition au Soudan, et ce, en attisant les tensions entre les différentes composantes civiles dans certaines régions soudanaises. A l’est du pays, la ville de Port-Soudan a été témoin, depuis juin 2019, de vagues renouvelées de luttes intestines entre les tribus d’Al-Nouba et de Béni Amer en août de la même année et, plus tard, en janvier et août 2020. La province de Kassala a été également secouée par des vagues successives de violence qui ont atteint un pic en mai dernier, ensuite en août 2020. A l’ouest du pays, la région du Darfour a été aussi le terrain de violence en octobre 2019, puis en décembre. Cette perturbation sécuritaire de large envergure prévoit, au cas où elle s’aggrave, de saper toute la transition et de faire profiter directement aux vestiges du régime du Salut.

L’impact de la crise économique

Le PIB du Soudan connaît une baisse graduelle depuis 2015. Il a même atteint des taux négatifs dans les deux dernières années pour se chiffrer à -2,2 % et -2,5 % respectivement. Le recul a entraîné une inflation galopante ayant atteint plus de 80 % en 2020. Cette situation détériorée a fait que le gouvernement a perdu tout contrôle sur le marché, surtout au niveau du taux de change. L’écart du taux de change entre le marché officiel et le marché parallèle, dans lequel le dollar s’échange à 200 livres soudanaises, est énorme.

Ces mauvaises conditions économiques ont eu des répercussions politiques multiples. Il a été imposé au gouvernement de transition d’esquisser le plan d’une réforme globale de l’économie soudanaise visant à régler les déséquilibres structurels en réduisant les subventions sur le carburant et le pain, parmi d’autres mesures difficiles. Ces situations ont contribué à minimiser le plafond de l’appui populaire et politique aux politiques socioéconomiques du gouvernement Hamdok.

Le Soudan se trouve toujours sur la liste noire américaine des Etats parrainant le terrorisme. Raison pour laquelle les soutiens financiers internationaux trouvent du mal à s’acheminer, que ce soit de la part des institutions financières mondiales ou des pays donateurs. Malgré la participation des représentants de 40 Etats et organisations internationales à la Conférence des partenaires du Soudan le 25 juin dernier, il n’en demeure pas moins que les profits sont limités. A titre d’exemple, l’Union européenne a présenté au Soudan 600 millions d’euros sous forme d’aides, desquels 250 millions étaient destinés au soutien des investissements. Il s’agit d’un chiffre extrêmement petit par rapport aux besoins de l’économie soudanaise.

Bref, les évolutions au Soudan depuis la signature de l’accord de partage du pouvoir ont démontré la persistance des multiples difficultés qui menacent la longue transition au Soudan qui devrait s’achever en 2022. Ainsi, 4 mesures s’imposent comme une nécessité afin de développer la performance des institutions du pouvoir de transition, à savoir la finalisation de la formation des institutions de transition ; parvenir à un accord de paix global avec les mouvements militaires sans exception ; disloquer le régime du Salut et donner un élan à l’économie pour améliorer les niveaux de vie des Soudanais.

*Chef du département des études africaines au ECSS

Nouvel accord pour la paix

Après dix mois de négociations, le gouvernement sou­danais et les principaux groupes armés du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil bleu ont paraphé un accord de paix lundi 31 août à Juba, capitale du Soudan du Sud. Parmi ces groupes figure le Front révolutionnaire souda­nais, qui regroupe quatre groupes armés. Cet accord doit en principe mettre fin à 17 ans de conflit. A Darfour, la guerre débutée en 2003 a fait dans les premières années au moins 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l’Onu, alors que le conflit au Kordofan du Sud et au Nil bleu, qui a éclaté en 2011 à la suite de l’indépendance du Soudan du Sud, a affecté un million de personnes.

En fait, les négociations pour la paix ont débuté en novembre dernier à Juba. L’accord a également été paraphé, en tant que témoin, par le chef de l’Etat du Soudan du Sud, Salva Kiir. Ce dernier avait pris place à la tribune, sous une banderole précisant « Comité de médiation pour les pourparlers de paix », aux côtés du général Abdel-Fattah Al-Burhan, qui préside le Conseil souverain à la tête du Soudan, et le premier ministre soudanais, Abdallah Hamdok. L’accord comprend 8 protocoles qui ont été déjà paraphés. Il s’agit notamment des protocoles relatifs à la sécurité, à la propriété foncière, à la justice transitionnelle, aux réparations et compensations, au développement du secteur nomade et pastoral, au partage des richesses ainsi qu'au partage du pouvoir et au retour des réfugiés et des déplacés. Le document prévoit notamment le démantèlement des groupes armés, leur intégration dans l’armée régulière ou encore la participation de ces mouvements au gouvernement de Khartoum. Il mentionne aussi une justice pour les crimes commis durant la guerre civile au Darfour et la coopération de Khartoum avec la Cour pénale internationale à La Haye. L’accord a été paraphé et non signé, afin de laisser la porte ouverte à deux principaux groupes rebelles qui ont décidé de boycotter la cérémonie : le Mouvement de Libération du Soudan (MLS) de Abdel-Wahid Nour, et le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord de Abdelaziz Al-Hilu. Plusieurs accords de paix précédents, notamment ceux de 2006 à Abuja, au Nigeria, et celui de 2010 au Qatar, n’ont pas été appliqués sur le terrain.

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