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Une longue histoire de relations secrètes

Aliaa Al-Korachi, Dimanche, 21 juillet 2013

Dans une profonde discrétion, les contacts entre les Frères musulmans et les différentes administrations américaines datent depuis les années 1950. A chaque époque ses intérêts dont les deux côtés ont largement tiré profit.

une longue histoire
Saïd Ramadan, l'homme fort de la confrérie, en visite à la Maison Blanche en 1953. (Photos: Al-Ahram)

Dans le bureau oval de la Maison Blanche, une délégation d’érudits islamiques et de dirigeants municipaux, pour la plupart provenant de pays musulmans, est reçue par le président américain Dwight Eisenhower en juillet 1953. Parmi eux se trouvait l’homme fort de la confrérie à l’époque de Gamal Abdel-Nasser, Saïd Ramadan, le beau-fils de Hassan Al-Banna (fondateur des Frères musulmans), appelé aussi à l’époque « ministre des Affaires étrangères de la confrérie ».

Cette réunion qui a pris comme titre officiel « conférence à l’Université de Princeton » n’était en fait qu’un programme de propagande secrète mené par la CIA, ayant pour objectif d’utiliser la religion comme arme dans les pays islamiques pour lutter contre le communisme.

Des documents de la CIA datant des années 1980 ont dévoilé que Washington suivait de près les activités des Frères musulmans en Egypte depuis 1947. Dans un document daté du 16 octobre 1947, un document avance qu’ « avec l’apparition de la confrérie, un nouvel élément s’est ajouté sur la scène de l’après la guerre mondiale ».

C’est pourquoi Washington n’a pas hésité à recourir aux Frères musulmans, hostiles aux politiques socialistes de Nasser. La confrérie menait alors une large campagne pour déformer le communisme en le désignant dans leurs fatwas en tant que « terrorisme » et « athéisme ». Un an après, Nasser réalise le danger que représente la confrérie et décide l’interdiction des Frères musulmans. Il expulse Saïd Ramadan du pays l’accusant d’être « agent des Anglais et des Américains ».

Deuxième tournant

La deuxième phase de la relation entre les Etats-Unis et la confrérie, comme relate l’historien Helmi Namnam, intervient en 2005, en pleine « guerre américaine contre le terrorisme », guerre déclenchée durant le deuxième mandat de Bush. Ce dernier renoue le contact avec les Frères et mène le même jeu que dans les années 1950 : les Etats-Unis les soutiennent pour faire office de pare-feu contre les extrémistes du djihad, comme ils les employaient autrefois contre le communisme.

L’administration Bush met au point une stratégie visant à établir des relations étroites avec des groupes musulmans en Europe, idéologiquement proche des Frères musulmans, se disant qu’ils pourraient être un « interlocuteur islamiste modéré » face aux groupes plus radicaux.

En 2006, une conférence à Bruxelles est organisée entre les Frères musulmans européens et les musulmans américains, notamment la Société islamique d’Amérique du Nord, considérée comme proche des Frères musulmans. Tout cela est soutenu par la CIA, qui qualifie la confrérie de groupe possédant « un dynamisme interne impressionnant et ayant un bon discours médiatique».

Pressions sur les régimes arabes

L’autre point dans cette stratégie est d’exercer des pressions sur les régimes arabes, les incitant à permettre aux mouvements islamistes, avec en tête les Frères musulmans, de participer à la vie politique afin d’éviter la propagation du terrorisme mondial. 2005 marque un tournant dans l’histoire de la confrérie. Sous la pression de l’administration Bush, Moubarak est contraint d’organiser le premier scrutin présidentiel multipartite du pays et des législatives relativement libres, qui permirent aux candidats officieux aux Frères musulmans de remporter 88 des 454 sièges du Parlement.

Deux ans plus tard, le poids des Frères musulmans au Proche-Orient prend de l’ampleur et le Département américain sous le slogan « Region is going islam » (la région s’islamise) approuve une politique de contacts entre des diplomates américains et des leaders ou des élus des Frères en Egypte mais également en Iraq, en Syrie et dans d’autres pays arabes.

Mais les circonstances et la date du rapprochement entre Washington et les Frères musulmans restent entourées d’un épais brouillard. La rencontre la plus importante fut celle organisée à la résidence de l’ambassadeur américain en Egypte Richard Dawny en avril 2007, où Saad Al-Katatni rencontre une délégation du Congrès américain. Le but de la visite, comme le déclare le porte-parole de la confrérie Hamdi Hassan, était de « débattre du programme idéologique de la confrérie ». Essam Al-Haddad et Mahmoud Ezzat, deux membres de la confrérie qui ont vécu longtemps aux Etats-Unis, parviennent à tisser des liens avec plusieurs institutions américaines, notamment des centres de recherches influents.

Une fois Obama au pouvoir, cette stratégie de rapprochement avec les Frères musulmans se poursuit. Le prouve le clin d’oeil américain à la confrérie : lors de sa première visite en Egypte, en 2009, Obama réclame la présence de députés islamiques lors de son discours. Des sphères intellectuelles américaines accusent l’administration Obama d’avoir changé la direction des financement des ONG civiles des droits de l’homme en faveur des mouvements islamistes.

Après la révolution, les contacts sortent de l’ombre. Le siège du parti, nouveau-né des Frères musulmans, Liberté et la justice, est la destination privilégiée des figures démocrates aussi bien que républicaines.

La révolution du 25 janvier est considérée selon Helmi Namnam comme la phase la plus dangereuse. Si autrefois ces relations avaient des fins tactiques à court terme, après la révolution les choses changent. Le choix des Américains de s’allier avec les Frères musulmans devient purement stratégique, car les Frères se présentent comme la force politique la plus organisée. Une stratégie qui a rapidement prouvé son échec.

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