Vendredi, 29 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > Sports >

« Les entraîneurs nationaux égyptiens et tunisiens n'ont rien à envier aux étrangers »

Propos recueillis par Amr Moheb, Mardi, 02 octobre 2012

Entretien avec le directeur technique national de la Fédération tunisienne de football, Kamel Kolsi.

 Les entraîneurs nationaux

Al-Ahram Hebdo : Tout d’abord, en tant qu’ancien joueur, instructeur de la FIFA et technicien ayant roulé sa bosse, que pensez-vous de l’évolution du football dans des pays comme l’Egypte ou la Tunisie ?

Kamel Kolsi : L’Egypte et la Tunisie sont deux grandes nations du football africain et arabe. Cela est une réalité que tout le monde vous confirmera. Ces deux pays sont toujours présents au devant de la scène, et ce n’est qu’exceptionnellement qu’ils ratent les grands rendez-vous continentaux ou régionaux.

— Mais encore ?

— En réalité, les Egyptiens, comme les Tunisiens, sont très ambitieux. Ils aspirent à mieux au niveau international et voudraient s’arrimer définitivement au peloton des très grandes nations du football. Mais les choses sont beaucoup plus complexes pour y parvenir. Pour ce faire, il faut d’abord commencer à asseoir une domination sur les plans continental et régional. Cela est en train d’être réalisé au niveau des clubs. La réussite des sélections passe automatiquement par celle des clubs.

— L’Egypte et la Tunisie viennent de faire la révolution. Pensez-vous qu’elle ait touché le football ?

— J’irai droit au but. Les révolutions égyptienne et tunisienne ont certes des aspects positifs qu’il serait long de citer. Mais en ce qui concerne le football, elles ont eu des impacts négatifs. Les championnats dans nos pays font de la peine. Un match de football est un spectacle. En Europe, on y vient en famille, en costume, etc. Dans nos contrées, un stade de football tend à ressembler à un champ de bataille. Pour cette raison, aussi bien en Egypte qu’en Tunisie, les autorités ont décrété le huis clos. Cette décision a sonné le glas de la régression de cette discipline. Sachez qu’un match de football sans spectateurs est comme un corps sans âme. Bien entendu, cela s’est répercuté sur le niveau technique du jeu. Mais le pire, c’est que les finances des clubs ont pris le coup le plus dur. Désormais, les clubs vivotent. Les sponsors ont disparu de la circulation. Pourquoi viendraient-ils s’il n’y a pas de public ou si la médiatisation des matchs n’est plus ce qu’elle était ?

— Cela a-t-il engendré d’autres problèmes ?

— En ce qui concerne le sport, ces révolutions ont constitué de vraies catastrophes. Il n’y a que des problèmes, et les responsables qui ne jettent pas l’éponge passent le plus clair de leur temps à chercher des sources de financement et sont souvent incapables de respecter leurs obligations financières.

— Si j’ai bien compris, ces problèmes découlent en partie de l’absence de sécurité dans les stades. Que pensez-vous de ce qui s’est passé à Sousse, dernièrement, et à Port-Saïd, il y a quelques mois ?

— A Sousse, tout se passait bien sur le terrain. Ce n’est pas normal qu’une défaite, même contre un concurrent traditionnel, vienne tout remettre en cause. Voyez les sanctions de la CAF. En Egypte, ce fut pire, puisqu’il y a eu de nombreux morts lors du match Masri-Ahli. C’est inadmissible qu’une minorité d’inconscients impose sa loi à une large majorité silencieuse d’Egyptiens et de Tunisiens qui refusent totalement ces dérives. Je vais être franc avec vous, je ne pense pas que cela soit lié aux Ultras des clubs seulement. Je pense que les fauteurs de troubles sont impliqués politiquement et qu’ils sont manipulés par des gens peu scrupuleux qui ne veulent pas voir nos pays retrouver leur stabilité et leur quiétude.

— Selon vous, quelle est la solution idoine pour sortir de cette impasse ?

— Tout d’abord, il faut qu’il y ait une séparation stricte entre la politique et le sport. Actuellement, le sport est pris en otage par les politiques. Ensuite, les forces de l’ordre ne doivent transiger avec personne. Tous ceux qui agiront en marge de la légalité devront payer. Il faut strictement appliquer les lois en vigueur. Il y a tellement de solutions pour sortir de cette impasse.

En Tunisie, on a dû arrêter le championnat pour 2 mois et il n’a repris qu’après le Ramadan, au moment où les autres pays ont commencé le Championnat 2012-2013.

— Passons à un volet qui vous concerne davantage. Que cherchez-vous à apporter au football tunisien à un moment où il s’en sort pas mal, et ce, en dépit de tous les problèmes que vous venez d’exposer ?

— Si la Tunisie est généralement présente en Coupe du monde et en Coupe d’Afrique, elle le doit avant tout à la qualité du travail de ses entraîneurs. Ils font un meilleur travail que les étrangers. En 2004, si le Français Roger Lemerre a remporté la CAN avec la Tunisie, c’est parce qu’il avait un adjoint tunisien de valeur à ses côtés en la personne de l’entraîneur actuel de l’Espérance, Nabil Maaloul. Ce dernier avait d’excellents rapports avec les joueurs. Lemerre n’aurait rien obtenu sans lui, car il ne comprenait pas bien la mentalité des joueurs tunisiens.

— Cela explique-t-il que la sélection actuelle soit aux mains du Tunisien Sami Trabelsi ?

— Sami Trabelsi a été un joueur international et a un vécu footballistique qui l’a aidé à devenir un bon coach. Il est arrivé à la tête de la sélection par un concours de circonstances. Il devait assurer un court intérim, et au cours de ce laps de temps, il a réalisé de belles choses. Ensuite, la Tunisie a pris option pour la qualification à la CAN 2013 après le nul ramené la semaine dernière du Sierra Leone. Pour les éliminatoires de la Coupe du monde 2014, la Tunisie a réalisé deux victoires.

— Quelles sont, d’après vous, les facteurs qui sont derrière la réussite de Sami Trabelsi ?

— Il y a plusieurs recettes pour disposer d’un groupe compétitif. Avec la sélection de Tunisie, Trabelsi a su motiver ses joueurs qui s’entendent très bien entre eux. En outre, il y a un amalgame entre la génération montante de Youssef Msakni et Bilel Ifa, avec la génération plus âgée, composée notamment d’éléments jouant en Europe.

— Que préconisez-vous comme solution pour assurer l’évolution du football en Tunisie ?

— Ce que je peux vous dire, c’est qu’en dépit de tous les aléas et des obstacles rencontrés ces derniers mois, le football tunisien est sur la bonne voie. S’il arrive à s’en sortir, c’est grâce particulièrement au travail de ses techniciens qui constituent la base de l’édifice. Pour cette raison, je leur accorde toute mon attention. La formation est également mon credo. D’ailleurs, dans ce contexte, nous n’hésitons pas à demander l’assistance de la CAF et de la FIFA. Sachez que les entraîneurs tunisiens font partie des meilleurs du continent et du monde arabe. Ils sont demandés, notamment par les pays du Golfe où la qualité de leur travail est reconnue. Ce qui me rassure, c’est que la majorité des clubs tunisiens est coachée par des techniciens tunisiens. Outre le volet des entraîneurs, je focalise également mon attention sur la formation des plus jeunes. Avant, on commençait la formation à partir de l’âge de 10 ans. Maintenant, on prend les choses avec sérieux dès l’âge de 6 ans. La direction technique, la Fédération et la tutelle œuvrent pour apporter un soutien aux clubs.

— Et pour l’Egypte ?

— Comme en Tunisie, l’absence du public a causé du mal aux clubs. Le niveau technique s’en est ressenti, et cela explique en partie que l’Egypte soit absente des CAN 2012 et 2013. Le parcours de Zamalek en Ligue africaine des champions est également édifiant à cet effet. Voilà un club qui regorge de talents et qui a été incapable de se qualifier pour les demi-finales de la compétition. En réalité, ce qui lui a manqué c’est son public et de la compétitivité. Cela a abouti à une crise de résultats. Un grand entraîneur comme Hassan Chéhata a dû rendre le tablier, et c’est tellement dommage. Maintenant, l’équipe est dirigée par un étranger, et il faut lui laisser un minimum de temps pour mettre en œuvre ses idées. Sachez qu’il n’a pas de baguette magique. Pour le reste, je ne me fais pas de soucis, Zamalek est un grand club et il saura faire face à cette conjoncture. D’une façon générale, les choses devraient s’améliorer avec le retour des supporters.

— Que pensez-vous du choix du sélectionneur Bob Bradley ?

— Comme je vous l’ai déjà dit, je suis un farouche adversaire de ceux qui ne croient pas dans les compétences nationales. Ma conviction est également valable pour le football égyptien. L’Egypte possède de bons joueurs, un fonds de jeu, mais aussi de bons entraîneurs. Si la sélection ne s’est pas qualifiée pour la CAN, la faute incombe à un concours de circonstances défavorables. Avec tout le respect que je dois au sélectionneur Bob Bradley et au football américain, je peux vous dire franchement qu’en termes de football, ils ne sont pas supérieurs aux Egyptiens. Et puis, il n’y a qu’à tirer les enseignements de l’Histoire. L’Egypte a réalisé ses meilleures performances avec des techniciens égyptiens tels Mahmoud Al-Gohari et Hassan Chéhata.

— Votre mot de la fin ?

— A mon avis,les entraîneurs nationaux égyptiens et tunisiens n’ont rien à envier aux étrangers. La force et les traditions footballistiques en Egypte et en Tunisie permettent à ces deux nations de rejaillir rapidement après un échec.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique