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L’UNRWA comme outil de pression

Amira Samir, Mardi, 18 septembre 2018

L’UNRWA traverse une crise financière sans précédent depuis la décision américaine d’arrêter ses contributions financières. Un coup dur pour les réfugiés palestiniens.

L’UNRWA comme outil de pression
L’UNRWA est devenue un intervenant essentiel auprès de millions de Palestiniens. (Photo : AFP)

Les chefs de la diplomatie des pays membres de la Ligue arabe se sont réunis au Caire, le 11 septembre en cours, pour un sommet largement consacré à la situation de l’Agence des Nations-Unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens (UNRWA), mis à mal depuis la décision, fin août, du président américain de ne plus verser la part d’aide des Etats-Unis. Les ministres arabes ont fortement dénoncé la suppression des financements américains à l’UNRWA et ont examiné les moyens de soutenir l’agence financièrement. Selon le directeur de l’agence onusienne, Pierre Krähenbühl, plusieurs pays arabes, dont l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Qatar, ont déjà annoncé une contribution ponctuelle de 50 millions de dollars chacun pour pallier ce manque. De même, la Jordanie, qui accueille plus de 2,2 millions de réfugiés palestiniens, a appelé à une conférence, le 27 septembre à New York, pour soutenir l’UNRWA.

« Nous avons toujours besoin d’environ 200 millions de dollars pour combler le déficit de cette année », a déclaré, au Caire lors d’une conférence de presse, le directeur de l’agence onusienne, qui a assisté aux réunions de la Ligue arabe. « Fin septembre, l’UNRWA n’aura plus de sou, y compris pour les écoles et les centres médicaux », avait de son côté averti, fin août, Chris Gunness, porte-parole de l’agence.

Créée il y a 70 ans au lendemain de la création d’Israël en 1948 qui a poussé environ 1 million de Palestiniens à l’exode, l’UNRWA est devenue un intervenant essentiel auprès de millions de Palestiniens. En effet, depuis 1949, les réfugiés palestiniens qui vivent dans 58 camps reconnus par l’UNRWA, dont 19 en Cisjordanie, sont sous l’assistance de cette agence. L’UNRWA est entièrement soutenue par des contributions volontaires venant des pays membres de l’Onu. La situation financière de l’agence était déjà assez difficile avant même la décision de Trump. L’année dernière, le déficit de ses comptes se chiffrait à plusieurs dizaines de millions de dollars.

L’agence fournit des aides à plus de 3 millions de réfugiés sur les 5 millions enregistrés. Elle possède des camps renfermant des écoles et des centres de santé, dans les territoires palestiniens, au Liban, en Jordanie et en Syrie. Les aides se traduisent notamment par la fourniture des obligations alimentaires, des besoins fondamentaux du peuple palestinien, un accès à l’éducation et aux soins de santé. Les installations provisoires de l’UNRWA sont devenues de vrais quartiers urbains. Selon l’AFP, plus de 520 000 enfants étudient dans les écoles de l’UNRWA (54 % de son budget va à l’éducation) qui fournit également des soins et une aide sociale. L’agence emploie plus de 20 000 personnes au Proche-Orient, en majorité des Palestiniens.

Coup de grâce au droit de retour

Officiellement, les Etats-Unis ont justifié leur décision par le caractère « irrémédiablement biaisé » des activités de l’UNRWA. Les Etats-Unis, comme Israël, accusent l’organisation de perpétuer le conflit israélo-palestinien en entretenant l’idée que de nombreux Palestiniens sont des réfugiés dotés du droit au retour sur les terres qu’ils ont fuies ou dont ils ont été chassés lors de la création de l’Etat hébreu, ainsi qu’à leurs descendants. Israël et les Etats-Unis s’opposent également au fait que les Palestiniens puissent transmettre le statut de réfugié à leurs enfants. L’UNRWA estime le nombre de réfugiés palestiniens à 5 millions alors que Washington et Tel-Aviv n’en reconnaissent pas plus que 500 000. Mais officieusement, c’est une carte de pression supplémentaire. « La décision de l’Administration américaine cible clairement la question des réfugiés et le droit de retour. Elle intervient dans le contexte de la liquidation de la cause palestinienne et de l’élimination de ce droit. L’Administration américaine cherche à fermer toutes les institutions qui soutiennent les droits des Palestiniens », explique Aya Abdel-Aziz, chercheuse au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, en affirmant que les Etats-Unis font fi de toutes les résolutions et de tous les accords internationaux entre les deux parties. Plus concrètement, la décision de Trump constitue une véritable menace aux conditions de vie des réfugiés, déjà précaires, vu que les Etats-Unis étaient les plus grands contributeurs à l’UNRWA avec 350 millions de dollars versés en 2017.

En fait, la décision américaine entre dans le cadre d’une politique visant à infléchir les Palestiniens. Suite à la décision américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, le 6 décembre dernier, et à celle, palestinienne, de ne plus reconnaître le rôle de médiateur des Américains, Washington avait conditionné le versement de centaines de millions de dollars, à la reprise du dialogue. En janvier 2018, Washington n’a versé à l’agence que 60 millions de dollars à l’UNRWA contre 350 millions de dollars en 2017, le 24 août, les Etats-Unis annoncent également l’annulation de plus de 200 millions de dollars d’aide, et le 31 août, ils décident d’abandonner tout bonnement leur participation au financement de l’agence onusienne. « D’une part, la décision reflète l’alignement total des Américains sur les Israéliens, de l’autre, c’est une carte de pression sur l’Autorité palestinienne pour la pousser à revenir à la table de négociations avec les Israéliens », explique Ayman Chabana, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. Même son de cloche chez Atef Saadaoui, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, qui estime que l’Administration Trump cherche à en finir à sa manière avec les problèmes en suspens, tels Jérusalem, les réfugiés et les colonies israéliennes. « Trump sait que les Etats-Unis maintiendront leur rôle de médiateur principal, faute d’alternative. Il cherche donc à exercer le plus de pression possible sur les Palestiniens pour qu’ils présentent de nouvelles concessions », conclut-il.

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