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Corne de l’Afrique : Une prolifération de bases militaires

Amira Samir, Mardi, 07 août 2018

La guerre au Yémen est devenue un facteur supplémentaire qui justifie la présence de bases militaires sur les rives de la mer Rouge, notamment dans les pays de la Corne de l’Afrique.

Corne de l’Afrique : Une prolifération de bases militaires
En 2017, la Chine a installé sa première base militaire outre-mer à Djibouti. (Photo : Reuters)

Neuf. C’est le nombre des bases militaires qui s’étendent sur les rives de la Corne de l’Afrique, l’une des entrées stratégiques de la mer Rouge. Ces bases se trouvent essentiellement à Djibouti, en Somalie et en Erythrée. La mer Rouge est une mer intracontinentale de 450 000 km2 qui relie l’Afrique du Nord au Moyen-Orient. Motsclés : Corne de l’Afrique, ports, puits de pétrole, ressources minières et énergétiques, trafics de marchandises, d’armes. « Au cours des dernières décennies, les puissances internationales et régionales ont tenté de consolider leur influence sur cette voie maritime vitale. Cependant, attisée par le conflit du Yémen, cette région a témoigné, ces dernières années, d’une rivalité sans précédent d’installation de différentes bases militaires sur les rives de la mer Rouge, en particulier sur les côtes de la Corne de l’Afrique », explique Amira Abdel-Halim, experte dans les affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al- Ahram. Et d’ajouter : « La mer Rouge abrite une trentaine de bases militaires étrangères, permanentes ou temporaires, dont neuf se trouvent dans la région de la Corne de l’Afrique. Cette présence militaire remarquable a été justifiée officiellement par la lutte contre le terrorisme et la piraterie dans cette région ».

A Djibouti, un vrai business

Cinq (des neuf) bases militaires se trouvent à Djibouti. Ce pays est l’un des pays les plus pauvres du monde, avec un taux de pauvreté de plus de 50 %, alors que les revenus de ses activités portuaires représentent 70 % du PIB. « Djibouti surplombe l’océan Atlantique, la mer Rouge, le Golfe arabique et le Cap de Bonne-Espérance, et se trouve à proximité du Canal de Suez. C’est pourquoi il se trouve au centre de cette rivalité d’installation des bases militaires dans la région », explique Hossam Sweilam, expert stratégique.

En fait, la plus ancienne base dans ce pays est la base française qui comprend quelque 2 000 militaires français. A savoir, Djibouti a obtenu son indépendance de la France en 1977. Djibouti accueille aussi la base militaire américaine du Camp Lemonnier. Il s’agit de la plus grande base militaire des Etats-Unis en Afrique, avec 3 200 militaires et plus de 3 000 civils sur une base de 200 hectares. Les opérations de piraterie, qui datent de 2008, ont conduit à une présence militaire internationale accrue dans le golfe d’Aden et dans l’océan Indien. Djibouti est devenu le centre de nouvelles formes de coopération militaire et maritime entre les forces de l’Otan et les forces de l’Union européenne. Depuis 2010, Djibouti accueille aussi la première base militaire du Japon en dehors de ses frontières, avec 400 militaires. Ces forces ont été créées principalement pour lutter contre la piraterie au large des côtes somaliennes. Ces dernières années ont parallèlement témoigné d’une montée en puissance de la Chine en renforçant ses relations commerciales avec le continent. Et en 2017, Pékin a installé sa première base militaire outre-mer en Afrique, à Djibouti à proximité de la base américaine de Camp Lemonnier.

D’ici à 2026, Pékin prévoit transformer cette base (qui devrait accueillir ainsi près de 10 000 hommes) en avant-poste militaire de la Chine en Afrique. Après l’éclatement de la guerre au Yémen, en mars 2015, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite ont élargi leur présence militaire dans le côté africain de la mer Rouge. Les Emirats ont établi une base militaire en Erythrée et une autre base à Berbera, en Somalie. Et l’Arabie saoudite a signé un accord avec Djibouti pour établir une base saoudienne dans le pays. De son côté, la Turquie a inauguré sa plus grande base militaire à l’étranger, en Somalie, en 2017.

L’experte pense que la présence de ces bases militaires pourrait changer l’équilibre des forces dans cette région. Puisque « l’Ethiopie n’est pas entrée dans la course des bases militaires dans la Corne de l’Afrique en raison de sa transformation en un Etat enfermé depuis 1993 après l’indépendance de l’Erythrée. Ce pays est également confronté à une concurrence considérable de la part des pays ayant des bases militaires à Djibouti, dont le port représente le principal débouché de l’Ethiopie avec le monde extérieur ».

A chacun ses intérêts

Cette prolifération des bases militaires dans cette région a suscité beaucoup de débats sur les bénéfices que pourraient attirer ces pays en accueillant sur leurs territoires ces bases militaires. « Certains Etats de la Corne de l’Afrique ont accepté d’accueillir des bases militaires étrangères sur leur territoire, à cause des crises économiques dont ils souffrent ainsi que des sanctions internationales imposées à certains d’entre eux, comme l’Erythrée et le Soudan. Certains pays tentent également d’obtenir le soutien de ces puissances extérieures pour faire face à leurs différends avec d’autres forces régionales ou internationales, comme le Soudan, qui s’est félicité de la création d’une base navale russe sur sa frontière maritime pour faire face aux attaques américaines répétées », explique Amira Abdel-Halim.

Pour d’autres analystes, les causes de la présence militaire étrangère dans la région sont internes. « Certes, plusieurs pays de la Corne de l’Afrique souffrent d’une instabilité politique, sociale et économique notable. Ils souffrent également de conflits internes, du sous-développement et de la sécheresse qui continuent de ravager la région. Cette accélération de la présence de bases militaires étrangères sur le continent noir résulte, en partie, de la fragilité sécuritaire de certains pays africains ainsi qu’à la faiblesse structurelle de leurs armées. Et, malgré les efforts déployés pour assurer les besoins sécuritaires, ceux-ci restent cependant insuffisants. C’est ainsi que certains de ces pays ont beaucoup besoin de l’appui d’autres forces régionales ou étrangères », explique Sweilam.

Si pour ces pays la présence des bases militaires leur apporte indépendamment des bénéfices économiques et sécuritaires, les risques ne manquent pas. « Cet amalgame des systèmes différents imposés par des acteurs extérieurs dans la région et où chacun vise essentiellement à défendre ses propres intérêts rend ainsi très difficile d’établir un système de sécurité collective et efficace dans la région de la mer Rouge », conclut Amira Abdel- Halim.

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