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Libye : Derna, une victoire rapide, mais ...

Sabah Sabet avec agences, Mercredi, 20 juin 2018

Lancée il y a plus d’un mois par l’armée nationale libyenne, la bataille pour le contrôle de la ville de Derna touche à sa fin. La libération de ce dernier bastion islamiste n’est cependant pas à même de pacifier la Libye.

Lybie

Assiégée depuis 2015, la ville côtière de Derna, à l’est de la Libye, est depuis un mois le théâtre d’une offensive militaire menée par l’Armée Nationale Libyenne (ANL, autoproclamée). Objectif : « libérer » ce bastion des terroristes et reprendre cette ville, seule région de l’est libyen à échapper au contrôle de l’ANL. Selon l’ANL, plus de 90 % de Derna a été libéré au cours des derniers jours, l’armée prévoyant de prendre le contrôle total de la ville dans les jours à venir. Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, lundi 11 juin, le maréchal Khalifa Haftar, le commandant de l’ANL, a annoncé que la bataille touchait à sa fin avec l’entrée de la deuxième phase de l’offensive. « La fin des groupes terroristes à Derna approche », a-t-il affirmé, en promettant une victoire décisive de l’armée dans cette ville côtière située à plus de 1 000 km à l’est de Tripoli. Le 7 mai dernier, le maréchal Khalifa Haftar avait lancé une offensive de grande envergure sur cette ville qu’il assiège depuis près d’un an, aux mains de milices islamistes et djihadistes depuis 2015. En fait, Derna, qui échappe au contrôle des autorités libyennes depuis la révolution de février 2011, est sous le contrôle d’une coalition hétéroclite de milices terroristes et djihadistes. Ces combats opposent les forces pro- Haftar et « ce qui reste des bandes terroristes dans certaines ruelles et avenues du centreville », a dit à l’AFP le général Ahmad Al- Mesmari, porte-parole de l’ANL. Il a ajouté que l’ANL « continuait à avancer » malgré des « poches de résistance » et « le recours des terroristes aux attentats suicide ».

En effet, une double attaque suicide avait visé, lundi et mardi 11 et 12 juin, des forces de l’ANL à Chiha, dans le sud de Derna. En libérant Derna des djihadistes, l’est libyen sera entièrement sous la coupe du maréchal qui a déjà combattu les djihadistes à Benghazi et sa banlieue. Alors que la guerre contre les islamistes à Benghazi a duré près de trois ans, les choses à Derna paraissent prendre une tournure plus rapide.

Eradiquer le terrorisme, mission difficile

Selon Ziyad Aql, chercheur et spécialiste de la Libye au Centre des Etudes Politiques et Stratégique (CEPS) d’Al-Ahram, explique que la libération de Derna est une grande victoire de l’ANL, ce qui va renforcer la position de Haftar. « Ce n’est pas pour autant la fin de l’existence des groupes armés et terroristes en Libye. Ce qui va s’achever, c’est la centralisation géographique de ces organisations. C’est-à-dire qu’ils n’auront pas de contrôle géographique sur le terrain, ils vont se disperser dans d’autres régions », explique le chercheur, en ajoutant qu’une fusion peut avoir lieu entre ces groupes. D’autres analystes estiment que la question n’est pas si simple que cela. Cité par l’AFP, Federica Saini Fasanotti, de l’institut Brookings à Washington, est toutefois sceptique à l’idée d’une victoire rapide. « Je ne suis pas sûre que cette offensive lui (Haftar) apportera une victoire rapide en terme militaire. Socialement, c’est déjà un désastre », a-t-elle ajouté, en rappelant que la ville de Benghazi n’était toujours pas pacifiée près d’un an après l’annonce par l’ANL de sa libération des groupes djihadistes. Reste à savoir quelles seront les retombées politiques d’une victoire de Haftar à Derna, et si elle renforcera la position de Haftar qui s’oppose au gouvernement d’union nationale basé à Tripoli et reconnu par la communauté internationale et l’Onu. Fin mai, le président français Emmanuel Macron a réuni les principaux protagonistes de la crise libyenne, dont le maréchal Haftar.

Ceux-ci ont endossé une déclaration orale prévoyant l’organisation d’élections législatives et présidentielle le 10 décembre. Les analystes estiment toutefois que la fragmentation du pays rend les promesses fragiles. « Dans ce contexte de non-confiance et le climat tendu entre les partis rivaux, les élections ne pourront pas avoir lieu. Et même si elles se tiennent, elles vont mener à plus de conflits », conclut Aql.

Bataille autour des sites pétroliers

Outre Derna, l’ANL est aussi sur un autre front de guerre, non moins décisif : les zones pétrolières du nord-est de la Libye. La Compagnie nationale libyenne de pétrole (NOC) a fait état, lundi 18 juin, de « pertes catastrophiques » après la destruction de deux réservoirs dans la plus importante zone industrielle pétrolière du pays à cause de violents combats entre groupes rivaux. Dans un communiqué sur son site Internet, la NOC a déploré « la perte des réservoirs de stockage n°2 et n°12 au terminal de Ras Lanouf à la suite de l’attaque menée, jeudi 14 juin, par les milices d’Ibrahim Jadhran ». La capacité de stockage de Ras Lanouf, qui était de 950 000 barils de brut, est désormais réduite à 550 000 barils, selon la NOC. Des groupes armés avaient attaqué, jeudi 14 juin, dans le nord-est du pays les terminaux de Ras Lanouf et Al-Sedra au coeur du Croissant pétrolier.

Depuis, l’ANL tente de les chasser de la région. Ibrahim Jadhran commandait par le passé les Gardes des Installations Pétrolières (GIP) chargés de la sécurité du Croissant pétrolier. Il avait réussi à bloquer les exportations de pétrole depuis cette région durant deux ans avant d’en être chassé par l’ANL en septembre 2016. Il était réapparu jeudi, jour de l’attaque, dans une vidéo sur les réseaux sociaux, affirmant avoir formé une coalition — la « force de libération du Croissant pétrolier » — pour reprendre les sites pétroliers. L’ANL a annoncé, dimanche 17 juin, une « grande offensive » pour chasser les milices d’Ibrahim Jadhran du Croissant pétrolier, situé à environ 650 km à l’est de la capitale Tripoli.

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