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Le clergé chiite, acteur de poids sur la scène politique iraqienne

Mardi, 22 mai 2018

Les législatives iraqiennes ont mis en avant le rôle central des hauts dignitaires chiite+s dans la vie politique en Iraq.

Le clergé chiite, acteur de poids sur la scène politique iraqienne
Le taux de participation a été 44,52 %, le plus bas depuis la chute de Saddam Hussein en 2003. (Photo : Reuters)

Sameh Rashed

Spécialiste des affaires régionales à Al-Ahram

Les élections législatives ira­qiennes ont apporté une surprise avec la victoire de la coalition « La Marche pour la réforme » qui regroupe le courant d’Al-Sadr et une panoplie d’autres forces aux tendances politiques éloignées du confessionnalisme et du secta­risme. La véritable surprise ne réside pas dans les orientations d’Al-Sadr ou de sa coalition avec des forces non religieuses, mais plutôt dans le vote de l’électeur iraqien qui a adopté une tendance différente qui peut s’expliquer par le recul et la faiblesse des forces traditionnelles. Les Kurdes se sont repliés sur leurs divergences internes et assument encore l’échec de leurs tentatives de séparation. Partant, la composante kurde n’avait aucune présence évidente dans les dernières élections. Quant aux sunnites, ils ne possèdent aucun pouvoir après la chute de l’Iraq de Saddam Hussein et l’oc­cupation américaine de ce pays. Ils souffrent d’une marginalisation officielle aux niveaux économique et médiatique. De plus, ce sont eux qui ont assumé le fardeau le plus lourd dans la lutte contre Daech, alors que les milices chiites du Hachd Al-Chaabi ont obtenu non seulement le pouvoir et la renom­mée mais aussi l’armement et le financement.

Quant aux factions tradition­nelles au sein des chiites, la plus grande composante de la société iraqienne, leur poids a aussi connu un recul dans la rue iraqienne, sur­tout du point de vue de la confiance et de la popularité. Et ce, à cause de la corruption, de la détérioration de l’infrastructure, de la médiocrité des services publics et de l’absence de tout contrôle gouvernemental. De plus, la seule préoccupation des hommes politiques traditionnels était de préserver leurs postes et de former des fortunes. L’électeur a alors perdu toute confiance en ces dirigeants traditionnels car ils ont continué à jouer sur la corde du confessionnalisme pour attirer l’électeur.

Le rôle de la référence religieuse

Dans la doctrine chiite, la poli­tique se mêle à la religion. Avec l’apparition du principe de wélayat al-faqih ou les conservateurs de la jurisprudence lors de la Révolution iranienne de Khomeiny en 1979, les oulémas chiites ont acquis un rôle fondamental dans la vie poli­tique, notamment dans la formation des gouvernements.

Durant toutes les années qui ont suivi l’occupation américaine, la référence chiite a joué un rôle essentiel dans l’orientation de la politique et la formation des gou­vernements consécutifs en Iraq. On entend par le terme de la réfé­rence les grands oulémas chiites, c’est-à-dire que la référence regroupe plus d’un ouléma, cha­cun représente une faction ou une sous-doctrine. Après l’occupa­tion, chacune de ces factions a formé une institution, un parti ou un organisme politique qui lui permet d’exercer une influence directe sur la vie politique. Les dernières années ont témoigné de différentes alliances entre ces entités politiques. Mais à cause des différences confessionnelles, des puissances externes ont influencé leur formation ou ont soutenu des entités politiques chiites aux dépens d’autres. Il s’agit bien sûr de l’Iran qui sou­tient fortement le parti d’Al-Daawa, sa principale aile poli­tique en Iraq. Ce parti regroupe plusieurs courants politiques à l’arrière-plan chiite dont le plus important est le Conseil suprême islamique dirigé par Ammar Al-Hakim, le leader chiite proche de Téhéran. Il regroupe également un autre courant dépendant de la tendance chiite de Ali Sistani, la tendance chiite la plus influente en Iraq dont les idées et principes sont différents de ceux de l’Iran sur le plan confessionnel et poli­tique. Nombreux sont les diffé­rends qui sont apparus entre Sistani et Téhéran. Cependant, les évolutions en Iraq après l’occupa­tion ont poussé les deux parties au rapprochement et à la coordina­tion afin de garantir l’hégémonie chiite sur la politique et le pouvoir en Iraq. Ce qui s’est concrétisé dans le parti d’Al-Daawa. L’influence et le rôle de Téhéran sont apparus clairement dans la coordination entre les forces chiites au cours des élections par­lementaires de 2015. Les listes du courant d’Al-Daawa ont connu un recul et les coalitions de l’ex-pre­mier ministre Nouri Al-Maliki n’ont pas réussi à remporter une majorité leur assurant la forma­tion du gouvernement. Ce sont les listes du courant d’Iyad Allaoui qui ont alors remporté la première place. Allaoui est chiite, mais il est en désaccord avec Téhéran. Il possède d’étroites relations avec les Etats-Unis où il a vécu en exil pendant de longues années. Il pos­sède également de bonnes rela­tions avec les pays arabes. L’Iran est alors intervenu et a regroupé les listes chiites pour former un bloc majoritaire au parlement et a réussi à placer Haïder Al-Abadi à la tête du gouvernement. Les fatwas de Sistani ont alors joué un rôle primordial dans la coalition des listes chiites en vue de former un seul bloc parlementaire.

Il semble que les choses se répè­tent dans les élections d’au­jourd’hui. Sistani a encouragé les électeurs à participer aux élections. Il a tenu à s’adresser aux mentalités des électeurs et non pas à leur sens confessionnel. Il a établi un lien entre l’invitation aux urnes et la nécessité de s’éloigner des corrom­pus, confirmant que la participation aux élections est le meilleur moyen d’affronter la corruption et d’amé­liorer les conditions de vie.

Bref, la référence chiite joue un rôle politique central dans la poli­tique iraqienne, non seulement pour préserver l’hégémonie chiite sur le pouvoir mais aussi pour pré­server les équilibres au sein du tissu chiite iraqien lui-même, d’une part, et au sein de la relation déli­cate avec Téhéran, d’autre part.

Un gouvernement national ou confessionnel ?

Moqtada Al-Sadr est le seul lea­der chiite iraqien aux origines arabes. Bien qu’il n’ait pas pour­suivi ses études religieuses qui lui permettent d’émettre des fatwas, il jouit d’une large popularité parmi les Iraqiens. Il a alors mené les der­nières élections avec une large coa­lition politique et non pas confes­sionnelle. Ses listes électorales ont regroupé des partis communistes, des forces laïques, des activistes de la société civile et des organisations privées. Bien plus, ses listes connues sous le nom de « La Marche pour la réforme » ont regroupé des candidats sunnites. Il est donc difficile de dire qu’un cou­rant chiite a remporté les dernières élections. Bien que le courant d’Al-Sadr soit à l’origine une force chiite, sa performance politique et son rôle en Iraq au cours des der­nières années ne sont pas fondés sur une référence confessionnelle. Le discours d’Al-Sadr a toujours été plus large que l’identité confession­nelle. Il adoptait une vision natio­nale plus large.

Il est difficile de déterminer l’identité du prochain gouvernement iraqien. Al-Sadr et ses partenaires dans les listes sont loin de l’Iran et il existe une forte hostilité entre Washington et lui, ainsi que de lon­gues années d’affrontements san­glants. C’est pourquoi, le courant d’Al-Sadr et ses partenaires non confessionnels préfèreront certaine­ment la ligne indépendante avec laquelle ils ont mené les élections. Par ailleurs, les références chiites (Sistani et Al-Hakim) effectuent une coordination entre les listes chiites afin de former un bloc parlementaire jouissant d’une majorité pour pou­voir former le gouvernement et choisir son chef.

La nouveauté apportée par les élections de 2018, soit le recul de la priorité confessionnelle chez l’élec­teur iraqien, est encore insuffisante pour changer les équilibres en Iraq. La référence chiite demeure une partie fondamentale dans l’orienta­tion de la politique et la répartition des postes.

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