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Les défis du second mandat

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 03 avril 2018

Réélu pour un second mandat avec un taux de 97,08 %, le président Abdel-Fattah Al-Sissi poursuivra son programme de réforme. De nombreux défis attendent le président sur plusieurs fronts, à commencer par les contraintes temporelles.

Les défis du second mandat
(Photo : AP)

« Je jure par Dieu Tout-Puissant de préserver le système républicain, de respecter la Constitution et la loi, de veiller entièrement aux intérêts du peuple et de préserver l’indépendance, l’unité de la nation et l’intégrité de son territoire ». Le président Abdel-Fattah Al-Sissi, réélu pour un second mandat, prêtera à nouveau serment pour entamer un second mandat. Officiellement, les cérémonies d’investiture du président devraient avoir lieu avant le 2 juin 2018, puisque le premier mandat expire le jour d’après. C’est devant le Conseil des députés, comme le stipule l’article 144 de la Constitution, que la prestation de serment du président sera prononcée avant son entrée en fonction, et non pas devant la Haute Cour constitutionnelle, comme c’était le cas en 2014, quand l’Egypte était sans parlement. Une fois les cérémonies terminées, le coup d’envoi du second mandat sera lancé. Quels sont donc les chantiers qui attendent le président lors de son second mandat ?

Le défi du temps

De nombreux défis attendent le président Abdel-Fattah Al-Sissi à l’aube de son second mandat. Selon Malek Awny, rédacteur en chef du magazine Al-Siyassa Al-Dawliya (la politique internationale), le premier défi à relever « c’est le temps ». Awny pense que 4 ans est « une période très courte », ce qui constituera « le grand défi » du président pour finaliser les grands projets de réformes très ambitieux qu’il a entamés, en parallèle et sur plusieurs fronts, dès ses premiers jours au pouvoir.

« Reconstruire la puissance égyptienne », telle était « la tâche immense » du premier mandat du président selon Awny, que ce soit par l’adoption de mesures pour redresser l’économie, la modernisation de l’armement, le redressement d’une infrastructure en ruine, la mise en chantier d’une multitude de méga-projets nationaux, ou encore en jouant un rôle très influent dans le règlement de plusieurs dossiers régionaux. Au cours des 4 ans passés, l’image de l’Egypte a complètement changé. « Avant 2013, tous les indicateurs étaient au rouge », dit Hassan Salama, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. Et d’ajouter: « Aujourd’hui, le second mandat du président commence sur des fondements plus stables. Il est question alors de la manière d’accroître l’efficacité et l’influence du rôle égyptien, tant sur le plan interne qu’externe ».

Vers une économie basée sur l'industrie

En matière de politique intérieure, le principal défi du président est d’ordre économique. En fait, le second mandat commence avec des indicateurs économiques très prometteurs. Hussein Eissa, président de la commission de la planification et du budget au Conseil des députés, déclare: « Le programme de réforme économique globale lancé par le gouvernement en avril 2016 et les lois qui l’ont suivi pour encourager l’investissement, aussi bien que la décision audacieuse de la dévaluation de la livre égyptienne, toutes ces mesures ont enregistré un succès remarquable ».

Selon les prévisions de la Banque mondiale, le taux de croissance devrait passer, en 2018, à 5,5%, contre 4,5% en 2017. Ce succès est appuyé par d’autres chiffres positifs, comme la réduction du taux de chômage, qui était de 11,9% au deuxième trimestre 2017, contre 13,4 % en 2012. Le volume des réserves monétaires a augmenté pour atteindre 37 milliards de dollars en 2018, contre 16 milliards de dollars en 2014. Le déficit de la balance commerciale au cours des deux dernières années a diminué de 20 milliards de dollars. Les exportations ont, quant à elles, témoigné d’une hausse de 4 milliards de dollars.

Si les politiques monétaires et fiscales ont donné jusqu’à présent des résultats positifs, le véritable défi réside dans la période à venir, comme l’estime Eissa. « Comment surmonter les obstacles qui entravent la transformation de l’économie égyptienne d’une économie monétaire en une économie opérationnelle basée sur l’industrie, l’agriculture et les services ? », s’interroge-t-il. Et d’ajouter : « Ce genre d’économie va donner une grande impulsion aux investissements, augmenter le nombre d’usines et accroître ainsi le nombre d’emplois pour les jeunes. Il mènera également à la baisse de l’inflation, ce qui aura un impact positif sur le niveau de vie de la majorité des Egyptiens ».

La justice sociale

Selon Hassan Salama, l’impact de ces chiffres économiquessur le quotidien du citoyen se fait à peine sentir. Ce dernier est confronté à la hausse des prix, notamment après la dévaluation de la livre égyptienne. Les Egyptiens se sont précipités aux urnes, comme l’indique Salama, pour la stabilité du pays et parce qu’ils espèrent améliorer leur niveau de vie et récolter les fruits des grands projets, dont la majorité prendra fin au cours des prochaines années. Selon un sondage réalisé par le Centre national des recherches sociales et criminelles (un centre de recherche universitaire gouvernemental), en réponse à la question « Qu’attendent les Egyptiens du nouveau président ? », 89,7% des personnes interrogées ont réclamé un équilibre entre les salaires et les prix. La sécurité et la stabilité viennent en deuxième position, avec un taux de 66,4%. Vient ensuite l’amélioration des services comme l’éducation et la santé, (43,7%) et, enfin, la justice sociale, avec un taux de 39,5%.

En fait, le gouvernement a multiplié, au cours des quatre dernières années, les programmes de protection sociale, notamment avec le programme Takafol we Karama. L’approvisionnement pour les plus démunis a aussi augmenté, passant de 21 L.E. par mois en 2014 à 50 L.E. en 2017. Et plus récemment, en janvier dernier, un nouveau certificat d’investissement nommé Aman a été lancé. Il s’agit d’une assurance-vie qui s’adresse essentiellement aux travailleurs temporaires et saisonniers. Toutefois, Salama pense que les politiques d’aides gouvernementales ne suffisent pas. Il s’agit de solutions de courte durée, afin d’atténuer les répercussions de la réforme économique sur le citoyen. Le défi réside dans la question de la justice sociale avec une vision plus profonde: « Elaborer une stratégie permettant une autonomisation économique des classes moyenne et pauvre, pour devenir partenaires dans le processus de développement », dit Salama.

Donner une impulsion à la vie politique

« Réorganiser et donner plus de vitalité à la vie politique », voilà un enjeu de taille du second mandat présidentiel, estime Ayman Abdel-Wahab, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, tout en soulignant qu’il s’agit aussi « de la mission la plus difficile du président, qui devra préparer la scène de l’élection présidentielle de 2022 ». Avis partagé par Awny, qui estime que la bataille électorale actuelle a dévoilé la fragilité des partis politiques et de l’opposition, qui étaient « incapables d’exercer le travail politique d’une manière rationnelle et efficace ».

Beaucoup d’analystes s’attendent à une nouvelle ère politique sous le second mandat du président Sissi. Le défi consiste donc à entamer une réforme politique, comme l’estime Abdel-Wahab. Pour ce faire, ajoute le chercheur, il faudra commencer par « réviser la loi sur les partis pour réglementer la création des partis, dont le nombre a dépassé la centaine sans aucune présence dans la rue, ni un siège sous la coupole. Par ailleurs, le président Sissi devra commencer son second mandat en organisant un dialogue national avec les dirigeants politiques afin de parvenir à un consensus sur les réformes politiques nécessaires ». Pour Awny, il est important de « paver le chemin devant les élections municipales, qui pourraient contribuer à l’émergence d’une nouvelle classe politique et de candidats aptes à présenter de réels programmes électoraux, loin des enchères politiques ».

Le défi du terrorisme

Khaled Okacha, expert sécuritaire, estime que le défi du terrorisme figurera sans doute en tête de l’agenda présidentiel du second mandat. Quelques mois avant l’élection présidentielle, en novembre dernier, l’opération Sinaï 2018 a été lancée, avec pour objectif d’éradiquer complètement le terrorisme, non seulement dans la péninsule, mais aussi sur l’ensemble du territoire égyptien. Cette opération, la plus vaste jamais menée par l’armée et les forces de police, se poursuit toujours avec succès.

En fait, le développement des capacités de l’armée et de la police a largement contribué à la réduction du nombre d’opérations terroristes en Egypte. Le nombre a baissé progressivement de 650 en 2015 à 50 seulement en 2017. Toutefois, Okacha pense que « la menace terroriste persiste et représente un défi immense pour le président, tant qu’elle n’a pas été complètement éliminée à l’échelle régionale en plein chaos ». Il poursuit: « La confrontation militaire et sécuritaire sera toujours en première position pour fragiliser les groupes terroristes. Cependant, l’Etat va poursuivre parallèlement sa lutte contre le terrorisme sur deux autres fronts: le premier est de faire face aux idées terroristes et le second est celui du développement global du Sinaï. Déjà, un plan de développement du Nord-Sinaï a été annoncé, dont le coût est estimé à 275 milliards de L.E. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi, lors de sa visite, la semaine dernière, d’une base aérienne dans le Sinaï, a annoncé la fin des travaux de création d’un aéroport civil dans le Sinaï ».

Renforcer le rôle régional de l’Egypte

Pour ce qui est de la politique étrangère, les questions diplomatiques épineuses ne manquent pas pour les années à venir. « Assurer la sécurité hydrique » sera le grand défi de la diplomatie égyptienne au cours du second mandat du président, comme l’estime Awny. Ce défi nécessite une révision des politiques hydriques de l’Egypte, selon le spécialiste. « L’Ethiopie vient de déclarer son intention de produire de l’électricité au cours de la saison des crues, entre juillet et septembre prochains. Une telle démarche va certainement menacer la part hydrique de l’Egypte, puisqu’on n’a pas pu parvenir jusqu’à présent à conclure un accord définitif concernant le remplissage du barrage. La politique du nouveau premier ministre éthiopien envers ce dossier reste encore, pour l’Egypte, la grande inconnue », dit Awny, avant d’ajouter: « Pour faire face à cette menace, l’Egypte devra assurer des relations équilibrées avec les autres pays riverains du bassin ».

Sur le plan arabe, former un axe arabe en adoptant un projet régional de « reconstruction de l’Etat arabe », notamment des pays en crise comme le Yémen, la Syrie et la Libye, constitue « un autre enjeu de taille pour assurer la sécurité de l’Egypte », affirme Awny. L’Egypte doit également renforcer son partenariat stratégique avec les pays du Golfe pour faire front contre les pays qui parrainent le terrorisme, en particulier le Qatar. Idem avec la Grèce et Chypre, pour faire face aux convoitises turques dans le gaz en Méditerranée.

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