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Ahmed Al-Fitoury : La Libye vit actuellement un état de ni guerre ni paix

Osman Fekri, Mardi, 20 février 2018

A l'occasion de la commémoration de la révolution libyenne du 17 février 2011, Ahmed Al-Fitoury, politologue et rédacteur en chef du journal libyen Al-Mayadine Al-Libiya Al-Mostaqella, revient sur la situation en Libye. Selon lui, le pays est aujourd’hui proche d’une solution.

Ahmed Al-Fitoury

Al-Ahram Hebdo : Pourquoi la révolution libyenne a-t-elle pris une tournure chaotique ?

Ahmed Al-Fitoury : Kadhafi a gouverné le pays d’une main de fer pendant quatre décennies. Dès les premiers jours, la révolution pacifique des Libyens a été confrontée aux forces militaires. Un fait qui a transformé en l’espace de quelques jours la révolution en une affaire internationale, ce qui a donné lieu à plusieurs résolutions internationales dont la plus célèbre est la résolution du Conseil de sécurité 1973 de mars 2011. Cette résolution a donné lieu à une coalition internationale pour la protection des civils. Le régime a alors imposé aux Libyens la guerre civile. Mais, même après sa chute et après les élections du 7 juillet 2012 qui ont marqué la victoire du courant civil, la guerre a continué et les Libyens ont refusé le courant politique qui a pris comme paravent un couvert religieux sous la direction des Frères musulmans et qui s’est emparé de la capitale par la force. La guerre est alors devenue une guerre par procuration. On se bat pour le compte de telle ou telle partie à cause de la contradiction des intérêts et la concurrence acharnée sur le pétrole.

— Quelles sont les conséquences de l’ingérence étrangère dans la crise libyenne ?

— Nous pouvons dire que l’indépendance de la Libye a vu le jour en vertu d’une résolution onusienne. C’était après la guerre libyenne contre l’occupation italienne et après la Seconde Guerre mondiale, précisément en 1949. C’était la première résolution onusienne du genre promulguée pour affirmer l’indépendance d’un pays. Cet arrière-plan historique et les ingérences internationales après la résolution du Conseil de sécurité numéro 1973 en mars 2011 ont internationalisé la question libyenne. Ceci a favorisé les convoitises de parties locales comme le courant religieux relativement faible, mais qui a trouvé un soutien régional de la part du Qatar et de la Turquie. Etant donné que la région est entrée par le Printemps arabe dans la spirale de la guerre contre l’extrémisme religieux et notamment Daech, la Libye est devenue un champ de bataille. Les grandes puissances se sont livrées à des batailles contre le terrorisme. Elles ont aussi organisé des conférences internationales dans lesquelles chaque partie présentait les solutions qui lui convenaient et écartait les autres parties.

— Quel est l’avenir des organisations terroristes en Libye ?

— Il est certain que le terrorisme international a trouvé une terre fertile en Libye. Le pays ne possède ni d’armée ni même un appareil de sécurité central depuis la révolution de 2011. Selon des déclarations tunisiennes officielles, plus de 3 000 terroristes tunisiens ont trouvé refuge dans cette vaste Libye. De plus, l’immigration forcée a aggravé la situation et on a vu apparaître des phénomènes comme le trafic humain, le trafic d’armes, de drogue et de pétrole. Bien plus, la Libye est devenue une plaque tournante du terrorisme international, un lieu de transit des terroristes. Le courant politique à l’idéologie religieuse qui veut s’emparer du pouvoir s’est approprié les richesses du pays. La majorité des dirigeants de l’organisation Ansar Al-Charia en Libye sont étrangers. Il en est de même pour Al-Qaëda et d’autres. Par conséquent, lorsque nous parviendrons à un règlement politique, le terrorisme international ne trouvera plus les facilités locales ni même régionales dont il jouit aujourd’hui, notamment dans le sud du pays.

— A votre avis, quel sera le destin de l’accord de Skhirat ?

— Depuis son annonce en décembre 2015, Skhirat était cliniquement mort à cause des objections qui se sont dressées contre cet accord et sa formulation. Dès la conclusion de l’accord, j’ai écrit une série d’articles dans lesquels j’ai dit que l’accord n’est pas né d’une véritable entente.

— Quelle sera l’issue des élections parlementaires et présidentielle prévues pour la fin de l’année ? Mèneront-elles à un nouvel équilibre politique et militaire en Libye ?

— Les élections libyennes jouissent d’une unanimité au sein des acteurs locaux, régionaux et internationaux qui perçoivent ces élections comme une baguette magique entre les mains du magicien Ghassane Salama. Mais il s’agit d’une baguette virtuelle qui n’a aucune présence sur le terrain bien que le Haut Commissariat libyen des élections déploie d’énormes efforts pour préparer ces élections et que les Libyens se soient inscrits auprès du commissariat. Cependant, les élections libyennes peuvent apporter des surprises comme ce fut le cas lors des trois dernières élections.

— Quels sont les obstacles ?

— La question libyenne paraît la plus simple parmi les causes compliquées du Moyen-Orient comme la Syrie. Tout le monde dit que la Libye ne représente plus de priorité, même le secrétaire général de la Ligue arabe.

— Les élections permettront-elles le retour des partisans de Kadhafi sur la scène politique ? Quel est l’avenir politique de Seif Al-Islam Kadhafi ?

— Il faut se poser la question : est-ce que Kadhafi possède un projet politique ou partisan ? Khafadi dans son Livre vert avait prédit l’expansion du chaos après ce qu’il eut semé dans le pays et concrétisé dans sa vision du non-Etat. Ce non-projet peut-il avoir des partisans ? La réponse se trouve dans ce que Kadhafi a fait durant les quatre décennies de son pouvoir. Ses pratiques ont fait qu’il ne pouvait plus avoir de partisans. Il reste les intérêts et les crimes commis par ceux qui ont travaillé avec lui et qui sont maintenant en dissidence. Par ailleurs, Kadhafi possède de nombreux fils qui vivent dans les prisons ou qui sont poursuivis pour les crimes qu’ils ont commis. Figurent parmi eux Seif Al-Islam, qui est l’icône médiatique de ceux qui se battent pour le pouvoir en Libye et qui représente une marchandise avariée et désuète.

— Quand est-ce que la Libye sortira de sa crise actuelle ?

— Toute crise politique a tôt ou tard une solution. Cependant, les tergiversations mènent à la dérive de toutes les parties. La Libye vit actuellement un état de ni guerre ni paix. Par conséquent, la solution évidente maintenant est l’organisation des élections. La Libye se trouve maintenant aux portes de la solution. Ce qui place toutes les parties dans une situation d’attente. Bien que la situation profite à l’envoyé spécial de l’Onu et à toutes les parties, le temps les a fait entrer dans la machine des grandes pertes. C’est pourquoi tout le monde réclame ouvertement ou implicitement un rôle américain.

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