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Rami : Coran et Facebook, le salafisme moderne

Chahinaz Gheith , Dimanche, 19 mai 2013

Peut-on être salafiste et branché à la fois ? Rami est la preuve que oui : avec lui Twitter et barbe proéminente cohabitent sans se gêner. Portrait d’un religieux ouvert aux autres.

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Pour Rami, le salafisme n'est ni une doctrine, ni une secte mais une religion et un mode de vie.(photo:Hachim Aboul-Amayem)

Jean slim, sweat-shirt rayé et barbe imposante : Dr Rami Abdel-Moneim n’a pas l’allure d’un salafiste traditionnel. A 24 ans, il est kinésithéra­peute dans une clinique privée de Maadi et incarne l’image d’un salafiste ouvert.

Malgré son air sérieux et sa zibiba (marque religieuse sur le front, preuve de la prosterna­tion), il a un visage rayonnant toujours flanqué d’un sourire. Ses yeux, il les baisse quand une femme le croise.

Rami se revendique avant tout comme un musulman, sunnite. Un peu méfiant, sur la défen­sive, il accepte de parler de son engagement religieux. « Je suis le vrai islam, celui des salafs, littéralement des prédécesseurs, c’est-à-dire des compagnons du prophète Mohamad et des deux générations qui leur ont succédé », dit-il tout en arabe littéraire, « la langue du Coran ».

Il dit qu’on ne naît pas salafiste mais qu’on le devient. C’est paradoxalement sous l’ancien régime qu’il a décidé de rejoindre les rangs sals­fistes. Durant son adolescence, il a côtoyé des adeptes de cette mouvance dans les mosquées de son gouvernorat de Ménoufiya. « Mon seul but est d’imiter le prophète, salut et bénédiction sur lui. Cela ne signifie pas l’imiter seulement en se laissant pousser la barbe ou en sortant un bâton de siwak (un bois abrasif qui sert à se nettoyer les dents, ndlr). Le plus important, c’est d’imiter sa conduite et d’essayer de calquer sa façon de vivre ».

Sunnites ou salfistes : musulmans d’abord

Certains de ses collègues à la clinique refusent cette confusion flagrante des termes utilisés : islamistes, salafistes et sunnites, et préfèrent se limiter à se désigner comme musulmans. « Pourquoi faire des distinctions entre les musulmans et établir une hié­rarchie, alors qu’il n’existe pas de différence, en théorie, entre un sunnite et un salafiste ? Tous les deux suivent le chemin des pieux prédécesseurs ! », lance le docteur Ahmed Yousri, de tendance libé­rale.

Rami pense que le salafisme n’est ni une doctrine, ni une secte, mais bel et bien une religion et un mode de vie. Religion et vie quotidienne ne font qu’un : « Chaque fois qu’un problème se présente à moi, je consulte le Coran. C’est en quelque sorte un catalogue ou une recette, je n’ai qu’à appliquer ce qui est écrit, sans me triturer la cervelle ». Pour tout ce qui se présente à l’homme au cours de son existence, Rami considère que le prophète a prévu une solution, et c’est à la vie de s’adapter à la religion et non l’inverse.

Rami n’hésite pas à quitter son travail pour aller à la mosquée et prier. Passant sa journée au travail pour effectuer de longues séances répéti­tives et des programmes de rééducation pour enfants, il n’oublie pas de placer à côté de lui son portable pour écouter ou réciter les versets du Coran tout en tra­vaillant.

L’islam comme moteur

Rami ne prend pas comme exemple l’Arabie saoudite. Il explique être favorable à un Etat moderne qui respecte les grands principes de l’islam, à savoir la liberté et l’égalité de tous devant la loi. « Nous voulons être plus modernes que les Turcs ! », s’ex­clame-t-il. Une modernité dont on peut douter en constatant son refus d’écouter de la musique. « Tout ce qui pourrait éloigner mon esprit de la prière est interdit. Pas de chants, si ce n’est religieux, pas d’instruments de musique, pas de cinéma, et surtout pas de fréquentations de filles », dit-il.

Une grâce de Dieu que de résister à la tenta­tion. « Mais cela ne signifie pas que mon monde s’organise en vase clos, ou que je ne me préoc­cupe que de préparer ma vie dans l’au-delà, dédaignant les plaisirs terrestres, car j’ai mon sport et mes sorties avec mes copains ».

Pour lui, salafisme et modernité ne se contredi­sent pas, puisque toute chose est licite tant que le texte ne l’interdit pas.

Présent sur Facebook et Twitter pour être en contact avec le monde, il n’allume jamais la télé­vision, qui ne diffuse selon lui que des men­songes.

Il méprise la politique et pense qu’on ne doit pas sortir de chez soi pour crier sa foi. Pourtant, Rami estime que l’accession de Morsi au pou­voir est un acquis : « Avant la révolution, j’étais contraint de me raser la barbe et de ne pas m’af­ficher publiquement comme salafiste. La police pouvait m’arrêter si des agents me voyaient faire la prière dans la mosquée ».

Dans la clinique où il travaille, chrétiens et musulmans, hommes et femmes, cohabitent et travaillent côte à côte. « Chacun vit comme il veut et je n’oblige personne à devenir salafiste. Si des gens sont intéressés par ma foi, je n’ai que la parole pour les convaincre … », conclut-il .

Le nouveau visage de l'islam radical

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Aujourd'hui, les jeunes salafistes se sentent plus proches de la rue que leurs représentants.(photo:AP)

Quand on dit salafiste, la figure du djihadiste n’est jamais très loin dans l’imaginaire collectif. En fait, le salafisme est composite et regroupe quatre grands courants à savoir : Al-Salafiya Djihadiya qui juge légitime l’usage de la violence, Al-Salafiya Ilmiya qui souhaite purifier l’idéologie islamiste, la Daawa wal Tabligh qui se consacre au prêche. Al-Takfir wal Hijra, quant à lui, est en rupture totale avec une société impie. Cependant, la différence entre les quiétistes et les djihadistes devient aujourd’hui beaucoup plus claire. Avec le Printemps arabe, les salafistes sont sortis de l’ombre. Autrefois discrets dans les mosquées qu’ils fréquentaient, les voilà aujourd’hui plus contestataires.
Autrement dit, si les salafistes partagent un certain nombre de valeurs sociales conservatrices, ils ne forment pas pour autant un groupe monolithique. Leurs entités et leurs rassemblements ne se font pas seulement dans les mosquées, à travers l’Appel salafiste (plus importante organisation salafiste d’Egypte) ou dans leurs partis politiques comme Al-Nour (la lumière) et Al-Fadila (la vertu). Leur présence est partout. La nouvelle génération commence maintenant à être ouverte aux autres. Elle est très proche de la rue et crée des groupes sociaux communautaires. Elle tente de changer la mauvaise perception du salafisme et de lutter contre le préjugé d’un salafisme totalitaire, archaïque et coupé de la société.
Une ouverturesur les autres
« Il faut rappeler aux autres salafistes qu’ils n’ont pas le monopole absolu de la vérité religieuse. Il faut encourager les salafistes à interagir régulièrement et de manière significative avec les autres », explique Mohamad Al-Choréhi, jeune salafiste et membre du bureau exécutif de l’Appel salafiste au Caire. Il cite en exemple Salafiyo Costa, ce groupe de jeunes salafistes qui a réussi à changer l’image traditionnelle des salafistes. Grâce à Internet, les jeunes salafistes ont acquis une nouvelle vision.
C’est sur la Toile que des personnalités émergent, des leaders s’autoproclament, des disputes éclatent et des dissensions apparaissent lors de batailles théologiques. Ils se rassemblent, discutent et échangent leur point de vue avec les autres. Ils ont leurs pages sur Facebook et Twitter qu’ils ont créées pour faire savoir qui sont les vrais salafistes. Citons à titre d’exemple, Je suis salafi, La voix du salafi, Salafistes mais sympas, Salafi akher haga, la Coalition des nouveaux salafistes, etc. Des pages où ils postent des vidéos humoristiques, organisent des événements et tiennent des séminaires à travers toute l’Egypte. Leur réponse face à ceux qui les soupçonnent d’avoir un plan caché se veut rassurante. « Nous encourageons le dialogue et acceptons les autres dans le cadre d’une coexistence pacifique », conclut Mohamed Tolba, fondateur de Salafiyo Costa .

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