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Abdullah Fathi, sous-secrétaire du Club des juges: « Nous ne faisons pas confiance aux promesses du président »

Osmane Fekkri, Mardi, 30 avril 2013

Abdullah Fathi, sous-secrétaire du Club des juges, affirme que la magistrature est prête à saisir la Cour pénale interna­tionale si les tribunaux et les domiciles des juges sont assiégés par des manifestants, suite à l’appel de certains islamistes.

Abdullah Fathi
Abdullah Fathi

Al-Ahram Hebdo : L’assemblée générale des juges a adopté de nou­velles recommandations. Lesquelles ?

Abdullah Fathi : Nous refusons toutes les formes d’affronts adressées aux juges dont les manifestations organisées par les partisans des Frères musulmans. Ainsi, nous avons décidé que le travail dans les cours et les tri­bunaux ne serait pas suspendu. Un sit-in sera organisé à l’intérieur des cours et des bureaux du Parquet sans entraver le travail, si les demandes de l’Assemblée générale ne trouvent pas d’échos.

Nous avons également décidé de déposer une plainte auprès de la Cour pénale internationale si une semaine s’écoule sans réponse à ces demandes. Dans tous les cas, l’Assemblée géné­rale est en réunion permanente pour affronter cette attaque et les tentatives de faire passer la nouvelle loi de l’au­torité judiciaire, en cours d’examen devant le Conseil consultatif.

L’Assemblée générale considère le projet de loi proposé nul et non ave­nue de sens et a décidé de bloquer les débats au Conseil consultatif en appe­lant l’Organisme international chargé de l’indépendance des magistrats et des avocats, afin qu’il examine les violations commises en Egypte. Nous avons également réclamé que le prési­dent Morsi présente des excuses aux juges suite aux manifestations aux­quelles ont appelé les Frères musul­mans.

— Y a-t-il eu une proposition faite à l’Assemblée générale pour demander aux forces armées de protéger les juges ?

— Effectivement, il y a eu une telle proposition, mais elle a été rejetée par l’Assemblée. Les juges d’Egypte n’ont pas besoin de protection, car la magistrature est le troisième pouvoir de l’Etat après l’exécutif et le législa­tif. Nous n’accepterons surtout pas de la considérer comme l'une des institu­tions étatiques relevant du pouvoir exécutif. C’est précisément ce que veulent les Frères musulmans qui tentent par tous les moyens de domi­ner toutes les institutions du pays.

— Les juges sont-ils accusés de rejeter le projet de loi pour défendre leurs intérêts personnels ?

— Nous défendons le pouvoir judi­ciaire pour pouvoir défendre par la suite les droits des citoyens. Le juge ne doit être dominé par aucune cou­leur politique. L’ancien régime de Moubarak a échoué à ce niveau mal­gré la tyrannie de ses appareils de sécurité.

A l’époque de Moubarak, les juges étaient des ardents défenseurs des droits des Frères musulmans contre le président et son régime. Et en 2005, c’est grâce à la position des juges que les Frères ont pu obtenir des sièges au Parlement. Ce sont également les juges qui ont supervisé les élections présidentielles dont est sorti vain­queur Mohamad Morsi. La position des juges émane de leur volonté de défendre l’Etat de droit.

— Pourquoi l’Assemblée géné­rale a-t-elle refusé d’adresser un appel au président de la République ?

— Parce que le président Morsi est à la tête de l’autorité exécutive qui a elle-même porté atteinte à l’indépen­dance de la justice et au principe de la séparation des pouvoirs. Le président est parfaitement conscient de ce qui se passe et il aurait pu intervenir s’il l'avait voulu.

— Mohamad Morsi a pourtant assuré qu’aucune loi concernant les juges ne sera discutée sans eux ...

— Il est difficile d’être trompé deux fois de la même façon. Ce n’est pas la première fois que le président formule des promesses. Dans des crises précé­dentes concernant les juges, il s’était réuni avec le Haut Conseil de la magistrature. Mais nous avons été surpris par le fait que les lois propo­sées étaient totalement différentes des promesses faites. Il a promis de retirer les projets de loi, puis le Conseil consultatif a annoncé son intention d’en discuter. Nous n’avons aucune confiance en ces promesses.

Les juges sont critiqués pour avoir fait appel à des institutions internationales ...

Ce n’est pas vrai. C’est l’Union internationale des magistrats qui s’est adressée à nous à cause de la violation flagrante commise par le régime, alors que l’Egypte est signa­taire de chartes internationales rela­tives à la justice. Parler de l’interna­tionalisation de la crise et du recours à l’étranger n’est pas correct. C’est le non-respect des chartes et des droits de l’homme qui provoque une réaction internationale. Je parle des appels lancés par les islamistes appe­lant à assiéger les cours et les domi­ciles des magistrats.

Si l’Etat manque à son devoir de défendre les juges et les institutions judiciaires, cela sera considéré comme un crime international. Mais nous n’aurons recours à la Cour pénale internationale que si un tel scénario se produit. Pour l’instant, nous n’avons pas l’intention d’intenter un procès contre l’Egypte comme le prétendent les islamistes.

Je veux dire ici qu’il y a eu une crise similaire en Hongrie, car l’Etat avait tenté de baisser l’âge de la retraite des juges de 70 à 67 ans. L’Union interna­tionale des magistrats est rapidement intervenue et la décision n’a pas été appliquée. C’est le rôle de l’Union de défendre les magistrats dans le monde entier, et elle a assuré son soutien à la magistrature égyptienne.

— Comment jugez-vous la posi­tion du Haut Conseil de la magis­trature face à la crise ?

Malgré sa décision de ne pas signer présent à l’Assemblée géné­rale, le Haut Conseil a publié un communiqué recommandant le rejet de la nouvelle loi. Nous tiendrons dans les prochains jours une réunion conjointe. Les décisions prises par l’Assemblée générale sont contrai­gnantes pour tout le monde, mais nous comprenons la position délicate des membres du Haut Conseil.

— La décision du ministre de la Justice de démissionner peut-elle changer la donne ?

— Il est clair qu'Ahmad Mekki a été exposé à de fortes pressions. Il était l’un des éminents juges du courant de l’indépendance contre le régime de Moubarak. Je trouve étonnant qu’il ait accepté dès le début ce portefeuille. Pourtant, les violations touchant la magistrature depuis qu’il a pris ses fonctions dépassent de loin celles ayant mar­qué l’époque de Moubarak. De toute façon, c’est sa décision. Le choix du ministre de la Justice est une question politique et nous n’avons pas le droit d’intervenir.

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