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Egypte: La justice en conflit avec le régime

Héba Nasreddine, Mardi, 30 avril 2013

Le début de la crise entre le judiciaire et l'exécutif remonte aux premiers jours de l'investiture de Morsi. L'escalade a touché plusieurs institutions.

La justice
Après avoir pris des décisions à leur encontre, les islamistes ont assiégé la HCC pendant un mois. (Photo: Bassam Al-Zoghby )

La Cour constitutionnelle

Créée en 1979, la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) est la plus haute juridiction d’Egypte. Composée de 19 juges et présidée par Maher Al-Béheiri, elle est chargée d’examiner la constitu­tionnalité des lois. Elle remplace la Cour suprême créée par l’ancien président Gamal Abdel-Nasser, dix ans auparavant.

Depuis la révolution de 2011, elle est controversée par les Frères musulmans, après avoir pris des décisions à leur encontre, notamment la dissolution du Parlement dominé par les islamistes en 2012. Elle doit également examiner la validité de l’assemblée constituante et du Conseil consultatif (Chambre haute du Parlement), également dominés par les islamistes. Les travaux de la HCC ont été suspendus pendant un mois suite à une grève ouverte pour protester contre les « pressions » du camp islamiste qui a bloqué l’accès des juges aux bâtiments.

La crise s’aggrave avec l’élaboration du projet de Constitution qui réduit le nombre des juges à 11. Ainsi, le prési­dent peut se débarrasser de ses « adver­saires » au sein de cette cour, telle Tahani Al-Guébali, sa vice-présidente accusée d’adopter des prises de position « hostiles aux Frères musulmans ». La HCC dénonce aussi l’atteinte à son indépendance par la Constitution, en accordant au président de la République le droit de nommer le président de la HCC et ses membres, tout en réduisant les prérogatives de celle-ci en matière de contrôle constitutionnel. En février dernier, la HCC a décidé de rejeter cinq articles du projet de loi électorale repor­tant ainsi les élections législatives qui étaient prévues en avril. Résultat : le fossé entre la HCC et le régime ne fait que s’élargir.

Le Haut Conseil de la magistrature

Créé en 1984, c’est l’instance chargée des affaires administra­tives de la magistrature. Il est présidé par le président de la Cour de cassation et composé de six autres membres (le président de la Cour d’appel du Caire, le procureur général, les deux plus anciens vice-présidents de la Cour de cassation et leurs homo­logues de la Cour d’appel).

La loi relative au pouvoir judiciaire rend obligatoire son avis concernant la nomination des juges, du procureur général, des premiers avocats généraux et de tous les membres du Parquet général.

Sa confrontation avec le nouveau régime a été entamée avec la déclaration constitutionnelle qualifiée d’ « attaque sans pré­cédent contre l’indépendance judiciaire ». Le Conseil a appelé Morsi à retirer dans sa déclaration tout ce qui touchait au pou­voir judiciaire pour garantir son indépendance. Mais face à son intransigeance, le Club des juges a appelé au boycott du référen­dum sur la Constitution en décembre dernier. Un appel rejeté par le Conseil. Le limogeage de l’ancien procureur général, toujours selon cette déclaration, a amplifié la crise entre ce Conseil et le nouveau régime. Mais le Conseil se contente d’ap­peler le nouveau procureur général à présenter sa démission.

Le procureur general

La loi 142 de l’année 2006 sur le pouvoir judi­ciaire a libéré le Parquet général de l’autorité du ministre de la Justice et le fait dépendre du procu­reur général. En principe, le poste de procureur général est occupé par le plus ancien des membres du Parquet, qui devrait être choisi par le Haut Conseil de la magistrature. Le Conseil propose le nom de trois personnes au président de la République qui, à son tour, en choisit un. Pourtant, suite à la déclaration constitutionnelle de novembre 2012 lui accordant des pouvoirs excep­tionnels, le président a démis l’ancien procureur, Abdel-Méguid Mahmoud, et l’a remplacé par Talaat Abdallah, sans consultation des magistrats. Une forte contestation a alors éclaté dans les milieux judiciaires, suivie d’une grève générale du Parquet contre la « politisation de la justice ».

Fin mars, la justice a ordonné l’annulation du limogeage de Mahmoud et son retour à son poste. Abdallah refuse de céder tenant à terminer ses 4 ans de mandat et a fait appel à cette decision.

Le Club des juges

Fondé au Caire en 1939 comme une simple association pour conso­lider les liens entre ses membres, il s’est rapidement transformé en syndicat judiciaire officieux pour les magistrats. L’Egypte compte aujourd’hui 25 clubs. L’adhésion au Club n’est pas obligatoire (environ 9 500 membres). Son conseil d’administration est com­posé de 15 membres élus par l’As­semblée générale pour 3 ans : cinq juges de cassation et d’appel, dont le président ; cinq présidents et juges des tribunaux de première instance et cinq membres du Parquet général.

Ce Club a mené un mouvement de contestation contre le nouveau régime, appelant à une grève des tribunaux et des parquets dans toutes les provinces contre la déclaration constitutionnelle de novembre 2012. Ses revendica­tions sont bien définies : il ne tient pas au retour de l’ancien procureur général, mais proteste contre la violation du principe de la sépara­tion entre les pouvoirs. Suite au siège de la Haute Cour constitu­tionnelle par les partisans de Morsi, le Club a accentué sa pro­testation en annonçant le boycott du référendum sur le projet de Constitution. Aujourd’hui, la crise atteint son apogée avec la discus­sion d’un projet de loi sur le pou­voir judiciaire qui, selon Ahmad Al-Zend, président du Club des juges, n’est qu’une tentative de « frérisation » de l’institution judi­ciaire.

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