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Violences confessionnelles: Des morts, des prières et de la colère

Amira Doss, Mardi, 09 avril 2013

Stupeur, crainte et détresse : l’ambiance est au noir dans les églises coptes du pays. Après les violences de Khoussous et de Abbassiya, les fidèles encore sous le choc se demandent comment réagir. Les plus âgés prient alors que les plus jeunes sont décidés à faire valoir leurs droits.

Coptes

Habillée de noir, Nadia, surnommée Oum Mina, est prostrée depuis les vio­lences de l’église de Khoussous. Elle s’est retirée dans un coin de son église à Choubra, un quartier habité en majorité par les coptes.

Dos au mur, elle tient une bible à la main et prie en silence. De temps en temps, elle lève ses mains vers le ciel, tout en laissant couler ses larmes. A côté d’elle, sa fille, la vingtaine, tente de la consoler. « Ma mère a trouvé refuge dans l’église et cela fait une semaine qu’elle est là. Elle refuse de rentrer à la maison, seule la maison de Dieu lui apporte la séré­nité. Elle ne cesse de répéter que seule la prière peut nous sauver », explique Thérèse.

Oum Mina ne connaît personnellement ni les mar­tyrs des violences de Khoussous, ni ceux tués lors des affrontements qui se sont déroulés devant la Cathédrale de Abbassiya, au Caire, au moment des funérailles des premiers. Mais elle ne peut s’empê­cher d’éprouver de l’amertume après tout ce qui s’est passé. Et elle n’est pas la seule.

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Au sein de l’église Mary Mina à Choubra, tout le monde est en deuil. C’est l’heure de la messe quoti­dienne qui a lieu chaque après-midi durant cette saison du jeûne copte. La foule est plus dense que d’habitude. Les portes de l’église sont grand ouvertes à tous ceux qui veulent présenter leurs condoléances aux coptes du quartier.

Les hommes attendent à l’entrée et les femmes habillées de noir assistent à la messe. Dehors, on peut apercevoir des femmes voilées venues soutenir leurs voisines de quartier et même quelques hommes barbus.

Les jeunes en colère

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Chez les jeunes, la colère n’est pas maîtrisée. Ils scandent : « Le sang des coptes n’est pas à brader, à bas le pouvoir du guide des Frères musulmans ! Ô croix nous nous sacrifierons pour toi avec notre âme et notre sang ».

Ici, les jeunes divisés en plusieurs groupes se sont partagé les tâches. Certains se rendent dans le quar­tier de Khoussous pour s’assurer que le calme est revenu dans les alentours de l’église et que les fidèles sont en sécurité. D’autres rendent visite aux familles des martyrs. D’autres encore distribuent des tracts annonçant les horaires des sit-in qu’ils organi­seront devant la Cathédrale pour dénoncer cette violence contre les coptes et réclamer la démission du ministre de l’Intérieur et celle du gouvernement.

« Ils sont tous impliqués dans ces incidents. Les forces de l’ordre n’ont pas bougé le petit doigt alors que les morts tombaient sous leurs yeux », s’insurge Hanna, étudiant en pharmacie.

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Un autre réplique : « C’est le même scénario de discrimination contre les coptes qui se répète, seuls les noms des endroits ont changé. A commencer par l’église Al-Qeddissine (les deux saints) d’Alexandrie en passant par Imbaba, Atfih, sans oublier les inci­dents qui se répètent en Haute-Egypte. A chaque fois, l’Etat entreprend les mêmes procédures. On crée des commissions d’enquête qui n’aboutissent à rien et l’affaire tombe dans l’oubli sans que les cou­pables soient condamnés. Et puis, on va voir dans les médias, des cheikhs et des prêtres se serrer la main et s’embrasser comme si rien ne s’est passé », s’indigne Michael, la trentaine.

Ce jeune critique également la politique adoptée par certaines chaînes de télé satellites appartenant aux Frères musulmans et qui ont déclaré que la cause de ces affrontements devant la Cathédrale, la semaine dernière, était le rassemblement de mani­festants coptes venus exprimer leur opposition à la politique adoptée par le nouveau pape.

« Au lieu de parler des baltaguis (hommes de main) du ministère de l’Intérieur qui jetaient des pierres à partir des toits des bâtiments adjacents, ils ont diffusé des mensonges. Pourquoi ces mêmes agents de police ont-ils déployé d’importants efforts pour protéger le siège de la confrérie ? », s’inter­roge Michael.

De son côté, le prêtre de l’église a annoncé aux fidèles que toutes les églises d’Egypte consacre­raient trois jours à la prière et au jeûne « pour que Dieu apporte sa miséricorde et son aide à son peuple. Faites circuler la nouvelle par SMS et sur Facebook au plus grand nombre de fidèles », annonce-t-il.

« Jusqu’à quand ? »

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Des jeunes musulmans se trouvent devant les églises pour les protéger et exprimer leur soutien aux coptes.
Que ce soit à l’église de Choubra ou ailleurs, la détresse se lit sur tous les visages. Un sentiment d’injustice, de colère et d’inquiétude pèse sur les coeurs. Partout on entend les mêmes paroles : « Jusqu’à quand ? ». Mais cette fois, l’affaire est plus grave.

La révolte a atteint son paroxysme chez les coptes et le danger semble imminent. « Le copte ne veut plus être un soumis ni un passif comme il l’était avant la révolution. Nous refusons toute agression contre les lieux de culte qu’ils soient musulmans ou coptes », dit Aïda, médecin.

Comme beaucoup d’autres, elle ne peut s’empê­cher d’exprimer sa colère face à tous ceux qui ont contribué à ces actes de violence contre les coptes et à ceux qui n’ont rien fait pour les arrêter. « C’est la première fois que les forces de l’ordre lancent des bombes lacrymogènes sur les coptes. C’est aussi la première fois que la Cathédrale, symbole du chris­tianisme en Egypte, est attaquée au vu et au su des agents de sécurité. Ces événements nous font revenir en arrière », regrette Guriguis, un avocat qui a assisté aux funérailles et aux accrochages qui les ont suivies.

Dans son église située rue Clot Bey au centre-ville, des réunions de prière sont tenues quotidienne­ment en cette période critique, pour demander l’aide de Dieu. Au seuil de l’église, des photos des martyrs sont accrochées sur les murs. Dessous on peut lire des versets de la Bible.

Une équipe de bénévoles distribue les noms des sites web coptes et appelle les fidèles à publier leurs témoignages et leurs points de vue sur les événements. D’autres proposent de créer des comi­tés populaires pour protéger les églises et refusent la présence des agents de sécurité qui, d’après eux, est inutile.

Pour Guirguis, le fait de jouer sur la question de l’unité nationale et de provoquer la sédition entre musulmans et chrétiens est la chose la plus dange­reuse qui puisse arriver au pays. Convaincu de cette réalité amère, cet avocat, la cinquantaine, tente de calmer les plus furieux et les appelle à recourir à la raison.

Mais son argument ne semble pas convaincre. La discussion s’acharne. « Comment voulez-vous que l’on puisse maîtriser notre colère alors que ceux qui nous tuent sont libres et que celui qui a brûlé la Bible a été acquitté ? Et que tous ceux qui n’hé­sitent pas à exprimer leur haine envers les coptes occupent des postes-clés dans le pays ? De quelle loi parlez-vous donc ? », répètent les jeunes. Ces derniers pensent qu’il est temps de voir la réalité en face et d’admettre que le pays fait face à un véritable danger.

De l’optimisme ...

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La présence timide de la police exacerbe les fidèles.
Dans l’église Qasr Al-Dobara située à la place Tahrir, le prêtre, contrairement aux autres, voit tout ce qui se passe avec optimisme. « Ces jours diffi­ciles seront une source de bénédiction et de solida­rité pour tout le peuple égyptien. Des dizaines de jeunes musulmans se sont dirigés vers la Cathédrale pour la protéger de toute agression, d’autres ont fait de même dans les églises de Choubra. Ces inci­dents dont nous sommes les victimes vont unir notre peuple. L’important c’est que nous puissions ensemble dépasser cette rude épreuve », lance le prêtre lors de la réunion de prière hebdomadaire.

« Je sais que ce n’est facile ni de vous demander d’être tolérants dans de telles circonstances, ni de demander à ceux qui ont perdu leurs proches d’être indulgents. Mais c’est l’occasion de démontrer que nous croyons réellement aux paroles de la Bible et que nous sommes prêts à les mettre en application. Ne laissez personne vous entraîner dans le piège de la haine ! », souligne-t-il.

Ce prêtre tient à rappeler que les coptes ne sont pas les seuls à souffrir de cette injustice et que le pouvoir est en train de tyranniser tous les oppo­sants, et surtout les révolutionnaires.

Aujourd’hui, les coptes, encore sous le choc, ne semblent pas prêts à accepter ce discours religieux qui les a toujours incités à pardonner à tous ceux qui les offensent. « Se contenter de prier ne pourra pas changer la réalité sur le terrain. Il faut briser le tabou de la peur et agir », tel est l’avis de Gaby, un cadre en marketing.

Un avis qui reflète l’état d’esprit de toute une génération. Gaby va continuer à prier, mais estime qu’il est urgent de revenir à l’esprit révolutionnaire. « Durant les 18 jours de la révolution, nous étions tous place Tahrir pour protéger les musulmans pendant leur prière. Il est temps de s’unir de nou­veau et de lutter pour nos droits. Pas en tant que coptes, mais en tant que citoyens égyptiens dignes de ce nom », ajoute-t-il.

Le journaliste Ahmed Al-Sawy, dans son éditorial du quotidien Al-Shorouk est du même avis : « La société doit jouer son rôle pour aider les coptes à se débarrasser de ce complexe de minorité et leur garantir tous leurs droits de citoyen »

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