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La Turquie à deux doigts de la présidentialisation

Maha Salem avec agences, Jeudi, 16 février 2017

Le Haut Conseil électoral turc a donné son feu vert à une consultation populaire sur la réforme constitutionnelle le 16 avril prochain. L'opposition dénonce une dérive autoritaire.

C’est officiel, le référendum sur la réforme constitutionnelle renforçant les pouvoirs du président Recep Erdogan sera tenu le 16 avril. Cette décision a été prise par le Haut Conseil électoral turc après que le président Erdogan eut validé le texte visant à remplacer le système parlementaire en vigueur par un système présidentiel. « La Turquie entrera dans une nouvelle ère au soir du 16 avril après le scrutin », a déclaré le vice-premier ministre, Numan Kurtulmus. Cette réforme constitution­nelle permettra notamment au chef de l’Etat de nommer et révoquer les ministres, promulguer des décrets et déclarer l’état d’urgence. Erdogan estime que cette révision est néces­saire pour garantir la stabilité à la tête de la Turquie, confrontée à une vague sans précé­dent d’attentats et à des difficultés écono­miques. « La parole et la décision sont désor­mais à la nation. J’espère que la campagne se déroulera d’une manière qui sied à une démo­cratie turque mature. Ceux qui disent oui, ceux qui disent non, tout le monde exprimera son opinion », a affirmé Kurtulmus.

Mais le texte suscite l’inquiétude d’oppo­sants et d’ONG qui accusent le chef de l’Etat turc de dérive autoritaire, notamment depuis la tentative de putsch de juillet dernier. A cause de cette tentative, les autorités ont lancé de vastes purges qui, dépassant la chasse aux putschistes présumés, ont frappé de plein fouet l’opposition pro-kurde et des médias critiques. Cette semaine encore, près de 4 500 fonction­naires, dont de nombreux universitaires répu­tés, ont été limogés. La police a dispersé ven­dredi à coups de grenades lacrymogènes des manifestants rassemblés à Ankara pour soute­nir ces universitaires.

Défendant cette réforme, le parti AKP au pouvoir, qui doit donner le coup d’envoi offi­ciel de sa campagne le 25 février, a expliqué que la présidentialisation du système permet­tra d’éviter la formation de coalitions gouver­nementales instables et rendra la conduite des affaires plus efficace au moment où la Turquie affronte des défis sécuritaires et économiques de taille. Mais ces arguments ne suffisent pas à convaincre les partis d’opposition social-démocrate (CHP) et pro-kurde (HDP), qui voient dans ce texte un symbole d’une dérive autoritaire du président turc. Le chef du CHP, Kemal Kiliçdaroglu, a mis en garde contre une « catastrophe » si la réforme constitu­tionnelle était validée par référendum, esti­mant que la séparation des pouvoirs serait abolie. « On va retirer les pouvoirs du parle­ment et les donner à une personne. On va livrer les tribunaux à une personne », a déclaré M. Kiliçdaroglu. L’examen du texte au parlement a déchaîné les passions et donné lieu à des rixes d’une rare violence dans l’hé­micycle, où un député a eu le nez cassé et une élue handicapée a été projetée au sol. Dans ce contexte de polarisation politique, qui s’ajoute à la série d’attentats qui frappe le pays, la campagne pour le référendum s’annonce par­ticulièrement tendue.

Plus de premier ministre

Aux termes de la réforme constitutionnelle, l’essentiel du pouvoir exécutif sera transféré au président Erdogan qui désignera un ou plu­sieurs vice-présidents. Le poste de premier ministre disparaîtra. En outre, elle autorise le président à intervenir directement dans le domaine judiciaire. Le chef de l’Etat choisira ainsi six membres du Haut Conseil des juges et procureurs (HSYK), chargé de nommer et de destituer le personnel du système judiciaire. Le parlement en choisira sept. Les tribunaux mili­taires, qui ont par le passé condamné à mort de nombreux officiers et même l’ancien premier ministre, Adnan Menderes, après le coup d’Etat de 1960, seront bannis, sauf exception. Selon la réforme constitutionnelle, l’état d’ur­gence sera instauré en cas « de soulèvement contre la patrie » ou « d’actions violentes qui mettent la nation en danger de se diviser ». Le président décidera d’imposer ou non l’état d’urgence avant de soumettre la question au parlement. Celui-ci pourra alors décider de le raccourcir, le prolonger ou d’y mettre fin. L’état d’urgence ne pourra initialement pas être mis en place pour plus de 6 mois, puis pourra être prolongé pour une durée maximale de 4 mois à la fois.

Le nombre de députés passera de 550 à 600. L’âge d’éligibilité pour devenir député sera abaissé de 25 à 18 ans. Les élections législa­tives et présidentielle seront simultanées et se dérouleront tous les cinq ans, contre quatre actuellement. Le parlement aura toujours le pouvoir d’élaborer, d’amender ou d’abroger les lois. Il supervisera les actions du président, mais ce dernier pourra promulguer des décrets dans les domaines relevant de la large sphère de ses compétences exécutives.

En revanche, le texte spécifie que le prési­dent ne pourra pas promulguer de décret sur des sujets déjà clairement régulés par la loi. Si le président de la République est accusé ou soupçonné d’avoir commis un délit, le parle­ment pourra exiger une enquête, mais devra recueillir une majorité des trois cinquièmes. Le projet de réforme constitutionnelle fixe au 3 novembre 2019 la date des prochaines élec­tions présidentielle et législatives. De même, le président sera élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Il ne sera plus obligé de rompre les liens avec son parti.

M. Erdogan, âgé de 62 ans, a été élu prési­dent en août 2014, après plus de dix ans passés en tant que premier ministre. Si le nombre maximum de mandats était réinitialisé à partir de l’élection de 2019, ce qui n’a pas encore été établi clairement, M. Erdogan pourrait rester au pouvoir jusqu’en 2029.

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