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Mourir pour voir le jour

Yasser Moheb, Mardi, 02 avril 2013

Dans son premier long métrage, Al-Khoroug lil-nahar (sortir au jour), la réalisatrice Hala Loutfi énonce les données de sa philosophie humaine : dépasser notre malheur pour retrouver la joie.

Mourir
Une jeune fille s'occupant de son père malade.

Différent, c’est bien le mot pour qualifier Al-Khoroug lil-nahar. Premier long métrage pour la jeune réalisatrice égyptienne Hala Loutfi, l’oeuvre dépeint le quotidien ennuyeux d’une jeune fille qui s’occupe de son père malade, avec sa mère infirmière. Une vie fastidieuse, où tous les éléments de joie sont absents, laissant les protagonistes dans un état de lassitude, aspirant à pouvoir retrouver un jour leur paix intérieure. L’oeuvre dépeint alors les liens au sein d’une famille, les problèmes de la perte de l’espoir, de l’absence de rêves, et finalement le thème de la mort. Le jour semble être donc une métaphore de la vie aspirée, avec la joie tant attendue. Et le seul moyen pour l’atteindre, d’après la trame, c’est la mort, que ce soit du père malade, ou discrètement de tout un système général terne et oppressif. Une thématique qui pourrait être donc prise pour un cliché dramatique, mais qui est réalisée et discutée habilement et d’un regard neuf par la cinéaste.

A travers quelques données dramatiques, loin du discours narratif traditionnel, on se trouve face à une oeuvre sur les vrais sentiments ; un métrage assez contemplatif, qui nous présente avec objectivité l’histoire de ces personnages desquels on se sent parfois proche.

Les premiers plans du film renferment donc le programme d’une oeuvre dénuée de tout espoir. L’isolement est bien le premier sentiment qui enveloppe le film et ne le quitte pas jusqu’à sa fin. Solitude de la jeune fille dans sa vie monotone, de la mère dans son austérité apparente et sa faiblesse innée, du père de famille malade, préférant dormir pour rester seul et loin de ses maux et de la peine qu’il cause involontairement à sa famille.

Sortir au jour fait partie de ces films accordant toute l’importance à leur thème plus qu’aux personnages en tant que héros. Un drame psychologique qui tient ses promesses. On s’attache très vite à ces rares personnages de l’oeuvre, puisqu’il n’est pas difficile de s’identifier à tous leurs doutes et leurs angoisses sur la vie.

Bonnes idées artistiques

Côté visuel, la réalisation est bourrée de bonnes idées artistiques et idéologiques, et rend le visionnage du film attractif et contemplatif, même avec le sombre total dominant. S’approchant du style de l’école Dogma 95, cherchant la simplicité et l’éloignement de tous ornements ou procédés artistiques artificiels, le film n’a pas de bande musicale, se servant uniquement de la bande sonore taillée talentueusement par le directeur du son, Abdel-Rahman Mohamad, pour refléter les sonorités naturelles de l’entourage. Même recours au naturel, recherché par le directeur de la photo, Mahmoud Loutfi, qui n’a utilisé aucun élément d’éclairage supplémentaire, se contentant de l’éclairage naturel des lieux du tournage, dans une expérience presque première de son genre dans le nouveau cinéma indépendant. Un rythme assez lent qui vient s’ajouter au dialogue rare dans le film, formant deux éléments qui, avec moins d’excès, pourraient également exprimer les sens voulus, peut-être même d’une façon plus simple et commode.

Pour le casting, il s’avère très fidèle au thème principal. Donia Maher, dans le rôle de la jeune fille, et Salma Al-Naggar, dans le personnage de la mère, excellent toutes deux à dégager leur for intérieur, même pendant les nombreux moments de silence sur la bande-son. Un sentiment assisté certes par le travail de la monteuse, Heba Adel, qui ne fait que 83 coupures seulement tout le long des 110 minutes, afin de laisser la voie libre face au sentiment de monotonie qui dévore les protagonistes.

Pour le rôle masculin principal, la note ne sera pas objective. On y trouve un personnage qui nous manque tous, puisque l’acteur qui a campé le rôle principal du père malade dans le film est notre cher collègue et l’un des illustres journalistes, fondateurs d’Al-Ahram Hebdo, feu Ahmad Loutfi, qui s’est éteint il y a un peu plus d’un an. Comme s’il avait décidé de jouer à l’écran ce qu’il irait vivre quelques mois après, puisqu’il a également souffert avant son décès d’une maladie qui lui a fait perdre la conscience. Toutefois, et loin de toute cordialité personnelle, il a été remarquable dans le rôle de l’homme souffrant de faiblesse, et qui attend la mort comme un enfant attend la fête. C’est ainsi que Monsieur Ahmad, comme on l’appelait tous, prouve encore une fois et même après sa disparition, la pluralité de son talent et sa richesse tant artistique qu’humaine.

Bref, Sortir au jour est un film divergent sur la dépression, sans concession, mais avec de l’espoir. Pas merveilleux mais touchant, avec pour avantage de ne pas aller trop loin dans les clichés du genre.

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