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Amr Moussa : L’ensemble du monde arabe paye pour son laxisme face à l’accumulation des erreurs passées

Amr Zoheiri, Mercredi, 21 décembre 2016

L'ancien chef de la diplomatie égyptienne et l'ancien secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, analyse les dossiers-clés du monde arabe. Entretien.

Amr Moussa : L’ensemble du monde arabe paye pour son laxisme face à l’accumulation des erreurs passé

Al-Ahram Hebdo : Comment voyez-vous le monde arabe aujourd’hui, alors que de nombreuses crises res­tent sans solution, notamment en Syrie, en Libye et au Yémen, et qu’elles soulèvent de profonds désaccords ?

Amr Moussa : Aujourd’hui, dans le contexte des politiques arabes, on ne peut ni parler de visions communes ni de politiques claires, ni de scénarios prévus ou déjà établis. Les seuls pays qui possèdent des visions claires et savent ce qu’ils demandent et ce qu’ils préco­nisent sur le dossier syrien, en particulier, sont la Russie, la Turquie et l’Iran. En même temps, du côté arabe, on note un manque de lucidité et de clairvoyance.

En même temps, malgré la période de pas­sation du pouvoir aux Etats-Unis, ce qu’on peut constater est que les intérêts des Etats-Unis dans ce dossier et dans l’ensemble des dossiers concernant le Proche et le Moyen-Orient restent les mêmes, puisque les Etats-Unis détiennent une capacité à influencer les positions des acteurs des différents conflits, notamment les trois acteurs importants. Les grands perdants de ce contexte sont, sans aucun doute, l’ensemble des pays arabes, puisqu’ils sont complètement isolés, exclus, et leurs intérêts ne sont pas pris en considéra­tion. Et cela est bien clair, notamment, depuis les débuts des Printemps arabes. Les Etats arabes doivent faire davantage d’efforts pour être entendus et reconsidérés dans l’ensemble des instances internationales.

— Les accords sont rares au sein du Conseil de sécurité sur le dossier syrien. Quelle solu­tion alors ?

— Certes, chaque pays oeuvre dans le sens de ses propres intérêts en priorité, et en même temps, on peut clairement dire et redire que la politique de bonnes inten­tions ne peut pas être en soi-même définie comme poli­tique valable et applicable. Dans ce contexte, chaque pion avancé ou proposition légitime présentée d’un côté ou d’un autre pourrait être vu et considéré par l’autre côté comme une menace réelle et avérée pour ses propres inté­rêts. Et il ne faut pas, pen­dant ce temps, oublier que la destruction physique et réelle sur le terrain en Syrie, notamment dans beaucoup de villes, est véri­tablement catastrophique. De même, sur le plan humanitaire, c’est une vraie catastrophe, notamment avec l’afflux de réfugiés et de déplacés.

L’ajout du facteur du terrorisme internatio­nal, comme acteur indépendant muni d’une force de frappe, de destruction, capable de commettre les pires atrocités, change de nom­breuses données et rend l’ensemble de la communauté internationale sceptique. Et cela même s’il existe un devoir de sauver la Syrie.

— Estimez-vous qu’on puisse parler d’un projet fiable pour la reconstruction de la Syrie ?

— A l’état actuel des événe­ments, on n’y est pas encore, il est donc très tôt, pour ne pas dire impossible, d’en établir un calendrier ou de voir clair un plan de reconstruction. Mais, ce qu’on peut insister à dire est que c’est à l’ensemble des pays du monde arabe, les pays riches comme les pays pauvres, de mettre la main à la patte, la main à la poche, et de s’enga­ger à la tête des listes des pays impliqués dans la reconstruc­tion d’une future Syrie d’après-guerre.

— Comment percevez-vous la Syrie de l’après-guerre ?

— Je pense que la Syrie d’après-guerre ne ressemblera pas à la Syrie d’avant-guerre. Ces années de guerre vont laisser des traces et des blessures morales et physiques. Le plus important est de conserver l’intégrité de la Syrie. On peut s’inspirer du modèle de la reconstruction du Liban et de la formule poli­tique libanaise, où toutes les minorités eth­niques ou politiques participent au pourvoir, ont un rôle et une réelle existence. J’imagine que l’on peut s’inspirer de ce modèle équili­bré et démocratique.

— On parle souvent de confrontation sunnites-chiites dans la région. Qu’en pen­sez-vous ?

— Aujourd’hui, l’ensemble du monde arabe paye pour son laxisme face à l’accumu­lation des erreurs passées qui remontent, dirais-je, depuis les dernières années du règne du roi Farouq d’Egypte. Certes, une catastrophe, et des pseudo-Etats. Rappelez-vous les années 1940, au moment du mariage du Shah d’Iran et de la princesse Fawziya d’Egypte, aucune voix ne s’est levée dans la presse, mention­nant une incohérence cultu­relle dans ce mariage. Je ne respecte pas les politiques tenant pour but de creuser un fossé entre les sunnites et les chiites. Cette différence est d’un ordre religieux et non pas politique. Et cela doit rester au sein d’un islam unique.

— Oui mais justement, en Iraq, les cli­vages sunnites-chiites sont à la base des clivages politiques ...

— Après l’invasion de l’Iraq, cette thèse a été avancée pour alimenter la division et investir le chaos. Les gouvernements de l’Iraq oeuvrent pour évacuer ce désordre, redresser l’esprit national et vaincre l’obscurantisme créé par les groupes djihadistes. Et la vraie question est : qui a créé l’Etat Islamique (EI), qui est derrière ce groupe ? Cela pose beaucoup de points d’interrogation. Et la réponse de cette ques­tion serait très utile pour pouvoir vaincre le terrorisme interna­tional extrémiste et djihadiste.

— Les récentes évolutions régio­nales alimentent aussi les velléités kurdes. Qu’en pensez-vous ?

— Il faut saluer et respecter la décision nationale sage des Kurdes d’Iraq, qui se voient comme composante fondatrice de l’identité nationale iraqienne, qui se considè­rent Iraqiens en premier lieu, et qui portent comme l’ensemble des citoyens iraqiens la responsabilité de reconstruire un pays fort et uni. La question kurde dans d’autres pays, notamment en Turquie, est soumise à d’autres lectures, d’autres contextes et d’autres visions. Mais, ce qu’on peut dire sur cela est que cette question est complexe.

— Avec les crises arabes actuelles et le désengagement international, notamment américain, la cause palestinienne semble avoir été oubliée. Pensez-vous qu’une reprise du processus de paix soit possible ?

— En effet, aujourd’hui les espoirs pour aboutir à une solution de deux Etats sont minimes. Cela nous rappelle le lapin en course derrière une carotte tenue toujours à la même distance de lui, il n’y arrive donc jamais malgré tous ses efforts pour la rattraper. Il ne faut pas perdre de temps, ne pas lésiner sur les efforts pour concrétiser la solu­tion des deux Etats, et ce, en prenant en compte la nécessité de conserver l’essentiel des droits du peuple palestinien.

Aujourd’hui, certains évoquent le transfert de l’ambassade amé­ricaine à Jérusalem, ce serait une erreur fatale, une énorme faute historique. Une telle décision ne peut être prise (si elle l’est) sans que l’ensemble de la communauté inter­nationale réagisse et de manière forte. Car elle risque de provoquer un retour à la violence.

Qu’attendez-vous du prochain secré­taire général des Nations-Unies, Antonio Guterres ? Pensez-vous que l’Onu soit à même de régler toutes ces questions en sus­pens ?

— Je pense qu’Antonio Guterres est doté d’une grande expérience. C’est une personne ouverte au monde, et qui a parfaitement rem­pli sa mission à la tête de l'UNHCR. J’espère qu’il réussira à accomplir aussi bien sa tâche en tant que grand secrétaire des Nations-Unies comme nombreux de ses prédécesseurs, comme à titre d’exemple, Koffi Annan, qui restera dans les annales des Nations-Unies comme un grand secrétaire qui a pu activer un rôle important au secrétariat des Nations, en dépit de la domination des plus grands pays. Je suis donc optimiste pour le mandat de Guterres.

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