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Défense : Des politiques en mutation

Ahmad Eleiba, Mardi, 06 décembre 2016

Le Proche-Orient témoigne de changements en politique de défense. Des changements qui remettent en question les anciennes formules où les Etats-Unis étaient les seuls maîtres.

Défense : Des politiques en mutation

Avec en arrière-fond quatre guerres, en Iraq, en Syrie, en Libye et au Yémen, et un conflit régional impliquant des parties arabes, iraniennes et turques, les exercices et manoeuvres militaires se sont multipliés tout au long de 2016 au Proche-Orient. On en compte 18, dont 8 menés par des pays arabes. Ces manoeuvres et exercices se sont intéressés à de nouvelles techniques de guerre, en matière notamment de la lutte antiterroriste, du déploiement rapide et de la guerre dans les zones habitées.

Parallèlement, les informations se sont succédé sur des achats d’armes à des sommes faramineuses, et ce, malgré la chute des cours du pétrole. Ainsi, l’Arabie saoudite a occupé la troisième place au niveau mondial dans les rapports sur les budgets d’armement, alors que l’Egypte a conclu plusieurs contrats d’armement au cours des deux dernières années pour la modernisation de son armée, dont notamment l’achat de navires de guerre de type Mistral, de sous-marins, d’avions de combat Rafale, en plus de l’acquisition de systèmes de surveillance des frontières et d’un satellite de télécoms militaire.

Ces indices montrent qu’un changement est en train de s’opérer dans le système de défense arabe. Surtout si l’on ajoute à cela la militarisation de la politique étrangère de la plupart des pays de la région. Ainsi, dans une démarche sans précédent dans l’histoire des pays du Golfe, l’Arabie saoudite mène une guerre au Yémen, et a évoqué la possibilité d’une intervention en Syrie. De leur côté, l’Egypte et les Emirats arabes unis soutiennent l’armée du général Khalifa Haftar en Libye, tout en cherchant à bâtir des alliances militaires régionales. Des évolutions qui, indépendamment de leur efficacité, montrent une volonté arabe de prendre les choses en main. Mais reste à savoir le pourquoi de cette nouvelle orientation, et s’il est vraiment possible pour les pays arabes, précisément ceux du Golfe, de se passer de tout soutien militaire américain et occidental.

Les changements américains en toile de fond

S’agit-il de l’accord iranien sur le nucléaire qui a donné l’impression d’un rapprochement américano-iranien qui ne manquerait pas d’avoir des conséquences sur les pays du Golfe ? « Les Etats-Unis ont changé et avec eux l’Europe. L’Arabie saoudite l’a vite réalisé et a commencé à changer ses politiques en conséquence. La première manifestation de ce changement a été l’intervention au Yémen, ce n’est pas une opération militaire qui vise simplement à restaurer la légitimité mais une mise en application de la nouvelle politique du Royaume. En fait, Riyad cherche à bâtir de nouvelles alliances dans les sphères arabe et musulmane, mais en ce faisant, elle prend soin de rester proche de ses alliés traditionnels, précisément les Etats-Unis. Même en ce qui concerne son intervention au Yémen, l’Arabie saoudite a obtenu l’aval du Conseil de sécurité et bénéficié du soutien logistique de ses alliés internationaux », explique l’analyste politique et éditorialiste saoudien, Jamal Khashoggi. Quant à un éventuel rapprochement entre les Etats-Unis et l’Iran, Khashoggi pense qu’il a été « trop exagéré ». Selon lui, le changement de la politique américaine consiste plutôt à un « désengagement » de la région, ce qui sans doute aura des conséquences sur les alliés des Etats-Unis.

Selon le professeur de sciences politiques, Abdel-Khaleq Abdallah, ledit désengagement américain peut s’avérer un choix stratégique, mais il est tout aussi possible que la situation change avec Donald Trump. « Quoi qu’il en soit, nous entrons dans une ère post-américaine. Le monde n’est plus unipolaire, d’où la nouvelle réalité du Moyen-Orient et les nouvelles politiques des pays du Golfe », ajoute le chercheur. Pour lui, le changement survenu dans la région concerne surtout les nouvelles menaces qui obligent les Etats à rehausser leurs capacités et à s’engager dans des alliances. « Mais il est important de réaliser que ces menaces dépassent les capacités des pays individuels. Les armées nationales, même les plus fortes comme celle de l’Egypte, ne sont pas en mesure de faire la guerre sur plus d’un front. Ces dernières années, les armées arabes se sont étirées sur de nombreux fronts, ce qui les a rendues plus fragiles face à des défis grandissants, surtout que les menaces en question sont de nature régionale et transétatique, sans parler de la menace iranienne », explique Abdallah. Et d’ajouter : « La politique étrangère arabe, y compris celle des pays du Golfe, s’est militarisée, pour la première fois, on voit l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis intervenir militairement dans un conflit dans un pays voisin ». Quant à la nature de cette nouvelle politique de défense, Adallah explique qu’elle est avant tout « collective », elle se fait avec la coopération entre plusieurs pays. « Or, les pays du Golfe ne sont pas au même niveau en termes de leur force militaire et diffèrent dans leur capacité à assumer les responsabilités de défense », note-t-il encore.

L’Otan s’invite

Ainsi, d’autres pays du Golfe s’accrochent à leurs alliés traditionnels, garants de la sécurité. Dans quelques mois, un centre d’entraînement de l’Otan sera inauguré au Koweït. Pour mémoire, ce pays est cosignataire avec Bahreïn, le Qatar et les Emirats arabes unis de la déclaration d’Istanbul de 2004 prônant un élargissement des missions de l’Otan vers le Golfe. Une déclaration que l’Arabie saoudite et le Sultanat d’Oman n’ont pas signée. Les événements du dernier quart de siècle, notamment l’annexion de leur pays par Saddam Hussein, ont convaincu les Koweïtiens que la structure de défense du Golfe est fragile et incapable de relever les défis sécuritaires régionaux, ce qui justifierait à leurs yeux de prendre part à des alliances militaires avec des pays en dehors de la région.

Malgré son opposition historique aux bases militaires étrangères et ses réserves sur l’élargissement des missions de l’Otan, Le Caire ne s’est pas trop démarqué de la tendance régionale de « militarisation » de la politique régionale. L’Egypte a non seulement diversifié ses sources d’armement en ayant recours à la France, à la Chine et à l’Allemagne, mais elle s’est aussi engagée dans un partenariat militaire avec la Russie qui a abouti à l’organisation de manoeuvres militaires conjointes en octobre 2016.

Bref, pour s’adapter à une nouvelle réalité et répondre à de nouveaux défis, les politiques de défense arabes ont subi des changements. Ceux-ci sont caractérisés par une volonté de diversifier les sources d’armement, de ne plus dépendre d’un seul allié traditionnel et de s’engager dans de nouveaux partenariats militaires avec d’autres acteurs internationaux.

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