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Police égyptienne: La grogne gagne du terrain

Ola Hamdi, Mardi, 12 mars 2013

En grève nationale depuis jeudi dernier, ils refusent d’être blâmés pour la répression des manifestants et accusent les Frères musulmans de vouloir infiltrer le ministère de l’Intérieur. Etat des lieux.

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(Photo:Ola Hamdi)

C’est en bloquant la route Al-Foustat sur laquelle il est situé que le commissariat du Vieux-Caire a lancé sa grève jeudi dernier, suite à la mort de l’un de ses officiers deux jours auparavant.

Ce même jour, le mouvement de contestation, qui secoue sporadiquement la police depuis plusieurs semaines, s’est soudain cristallisé. Des centaines de policiers se sont mis en grève au Caire, à Alexandrie, dans certaines provinces du sud, du Delta du Nil, du Canal de Suez et du Sinaï. A Port-Saïd, sous la pression populaire, les policiers ont déserté la ville, passée sous le contrôle de l’armée. On comptait une soixantaine de commissariats en grève ce lundi ainsi qu’une dizaine de camps des forces centrales de sécurité. Les grévistes accusent le président de les utiliser pour réprimer ses opposants et réclament la démission du ministre de l’Intérieur. Ils accusent aussi les Frères musulmans de vouloir les infiltrer.

Au commissariat du Vieux-Caire, les portes sont fermées. A l’entrée, une bannière annonce : « Notre commissariat est fermé jusqu’à la création d’une loi qui protège les policiers, officiers et soldats, et jusqu’à la démission du ministre ». Sur l’un des murs, une photo géante de leur collègue de 27 ans, Mahmoud Aboul-Ezz, tué par balle par des voleurs de voitures. Les conscrits, le visage sombre, écoutent les versets du Coran comme s’ils étaient à des funérailles. Les officiers sont aussi présents. De temps à autre, des discussions sont lancées, et parfois s’enveniment.

Tout le monde est présent, et tout le monde est en grève. « Nous réclamons un armement efficace et que justice soit faite à Mahmoud », explique Ahmad, officier. Abdel-Rahmane, un autre collègue, renchérit : « Comment veut-on qu’un commissariat, qui sert deux grandes zones et qui n’a que 6 armes automatiques et 97 pistolets dont la moitié ne fonctionne pas, assure la sécurité ? ». Selon les officiers, les équipements octroyés par le ministère sont en réalité dérisoires.

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L'officier Mahmoud Aboul-Ezz tué par les balles des voleurs de voitures.(Photo:Ola Hamdi)

Refus d’être stigmatisés par la population

Autre revendication fondamentale : le rejet de l’instrumentalisation de la police dans le conflit politique actuel. « Nous n’affronterons plus les gens. Les manifestants sont notre peuple et nos frères », assure Mohamad, officier de 28 ans. « Nous nous faisons humilier et nous ne pouvons pas nous défendre. Quel est notre péché ? Nous appliquons les ordres des officiers. Il y en a assez de cette haine et de cette souffrance », témoigne Ali, jeune conscrit, les larmes aux yeux. Il ajoute qu’il préférerait être dans l’armée car « le peuple aime l’armée ».

Faisant écho aux déclarations du colonel Mohamad Fawzi de la police du Caire, jeudi, Mohamad et d’autres collègues insistent sur le fait que « les Frères musulmans sont en train d’infiltrer le ministère ».

Ayman Al-Séidi, chef de ce commissariat dont les locaux précédents avaient été incendiés pendant les 18 jours de la révolution, insiste, lui, sur la pression psychologique vécue par les policiers : « Ils travaillent jour et nuit bombardés par les cocktails Molotov, sous le feu des chevrotines, assaillis par des voyous qui ont perdu toute peur et tout respect pour la police ».

« Pourquoi les morts de la police ne sont-ils pas considérés comme des martyrs de la révolution ? », renchérit Ahmad. « Nous payons le prix de l’instabilité. Le peuple doit nous soutenir, car si la police chute, c’est tout le peuple qui chutera », affirme, quant à lui, Hicham, officier. Al-Séidi ajoute : « On nous demande d’affronter les manifestants, et quand on le fait, on nous met en prison ». 181 policiers sont morts depuis le début de la révolution et 7 442 ont été blessés. En revanche, une poignée de policiers ont été soumis à enquête après des violences, et un nombre encore plus faible a été condamné à des peines de prison, dont 2 dans le verdict du massacre de Port-Saïd cette semaine.

Une grève mal perçue

Certains ont du mal à interpréter cette grève, conduite par les policiers mêmes qui perpétuent les méthodes répressives héritées de Moubarak. « Avant la révolution, entrer dans ce commissariat, c’était dire adieu à sa vie. C’est pour ça qu’il a été détruit pendant la révolte. Et aujourd’hui, ces mêmes policiers font grève, alors qu’ils n’ont pas changé leurs méthodes ? », lâche Abdou, homme âgé, propriétaire d’une boutique à Foustat. La grève des policiers a éclaté après plusieurs mois d’affrontements sanglants et meurtriers, suite au décret présidentiel du 22 novembre dernier. Le ressentiment contre les forces de sécurité enfle, alors que les abus policiers étaient à la base du soulèvement populaire de 2011, lancé un 25 janvier, jour de la fête de la police.

Sameh Abdel-Fattah, habitant du quartier, préfère livrer une vision de sortie de crise. Selon lui, il est temps d’abandonner la solution sécuritaire : « Je refuse l’instrumentalisation des forces de l’ordre à des fins politiques et je refuse leur demande d’armement. Cela multiplierait les violences, les morts et les blessés ». Convaincu que les policiers connaissent parfaitement les criminels, mais les laissent délibérément libres d’agir pour se venger d’un peuple qui s’est retourné contre eux, il renchérit : « Il existe d’autres outils et méthodes pour garantir un travail efficace de la police ».

Une réponse politique déconcertante

Il s’agit du premier mouvement de contestation de cette ampleur au sein des forces de l’ordre depuis 1986. Tandis que pour certains commentateurs cette grève représente une réelle menace pour le pays de basculer dans la violence, le ministre de l’Intérieur, Mohamad Ibrahim, est d’abord resté silencieux sur la question, répondant par le limogeage du commandant de la police antiémeutes et du chef de la sécurité de Port-Saïd.

Alors qu’il estimait samedi que les grévistes n’étaient qu’une minorité, Ibrahim multiplie les conférences de presse depuis dimanche, dans lesquelles il reprend à son compte les revendications des policiers alors qu’il est la première cible de leur colère : « Les forces politiques doivent laisser la police en dehors de la bataille politique et laisser les policiers remplir leur mission de sécurité ». Niant les cas de tortures récents, documentés par des activistes, il clame aussi, en contradiction avec les rapports légistes indépendants, que « pas une seule balle réelle n’a été tirée par la police depuis l’anniversaire de la révolution ». Il ne répond en revanche pas aux accusations de frérisation de son ministère .

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