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Abdallah Belheiq : L'armée nationale est au-dessus de toute polémique

Osman Fekri, Lundi, 10 octobre 2016

Fervent défenseur de Haftar, acerbe critique du GNA et du rôle international en Libye, le porte-parole du parlement libyen de Tobrouk, Abdallah Belheiq, donne son point de vue sur la situation en Libye.

Abdallah Belheiq
Abdallah Belheiq, porte-parole du parlement libyen de Tobrouk.

Al-Ahram Hebdo : Le parlement libyen refuse toujours d’accorder sa confiance au gouvernement de Fayez Al-Sarraj, sommes-nous ainsi face à un double pouvoir en Libye ?

Abdallah Belheiq : Le parlement libyen est la seule instance élue du peuple libyen et c’est à lui que revient, conformément à la déclara­tion constitutionnelle, la légitimation de l’exécutif. D’un point de vue légal et consti­tutionnel, le Gouvernement d’union nationale (GNA) restera illégitime tant qu’il n’obtien­dra pas la confiance du parlement. La com­munauté internationale doit respecter la loi et la Constitution libyennes, et il ne sera pas possible d’imposer une réalité rejetée par une grande partie des Libyens, de l’est comme de l’ouest du pays.

— Le conseil présidentiel a dénoncé, dans une déclaration, le fait que le parle­ment de Tobrouk a refusé d’accorder la confiance au gouvernement. Qu’en pensez-vous ?

— Aucune déclaration en ce sens ne nous est parvenue. La séance du parlement a été tenue en présence de 101 députés, le quorum était donc atteint. Il est vrai que certains membres du conseil présidentiel se sont exprimés à titre personnel, mais de son côté, le conseil présidentiel a salué plus d’une fois la décision prise à l’issue de cette séance, tout en affirmant oeuvrer pour la formation d’un nouveau gouvernement.

— Le conseil présidentiel dispose-t-il de forces sur le terrain pour la protection des installations pétrolières et stra­tégiques du pays ?

— Non, malheureusement. L’une des erreurs du conseil pré­sidentiel, c’est d’avoir compté sur des milices armées, dont beau­coup sont de tendance islamiste, pour contrôler la capitale. Ceci est contraire aux accords de Skhirat qui exigent l’évacuation des milices armées de Tripoli. Ce n’est toujours pas le cas, dix mois après la signature de ces accords. Et c’est le résultat des alliances secrètes que le conseil présidentiel conclut avec les milices armées pour pouvoir investir la capitale. Oui, elles ont réalisé ce qu’elles cherchaient, et elles ont réussi à entrer dans Tripoli, mais la ville est restée sous le contrôle de milices qui s’entre-tuent et qui pratiquent toutes sortes de meurtres, de rapts et de chantages. C’est une réalité que connaissent tous les pays arabes et occidentaux dont aucun n’a osé établir une ambassade ou un consulat à Tripoli. La situation n’a donc pas changé après l’entrée du conseil présidentiel, Tripoli reste aux mains des milices islamistes.

— Comment les choses ont-elles évolué jusqu’à avoir ce qui res­semble à un Etat bicéphale en Libye ?

— Tout a commencé quand les Frères musulmans ont refusé les résul­tats des élections législatives de juillet 2014 qu’ils ont perdues face au cou­rant laïque. Ils ont déclaré la guerre dans la capitale, détruit l’aéroport international, procédé à des arresta­tions par milliers, sapé les bâtiments des radios et télévisions proches du courant laïque, alors qu’à Benghazi, leurs milices terroristes ont pourchas­sé les forces de l’armée et de la police, et attaqué tous les commissariats de la ville.

Sur recommandation du ministère de l’Intérieur, le parlement s’est installé à Tobrouk, une ville jugée plus sûre que Benghazi. Les Frères musulmans et les com­battants du Congrès national général — au mandat expiré — ont continué leurs agisse­ments à Tripoli grâce au soutien de certains pays, comme la Turquie et le Qatar, et grâce à leurs connexions à la Banque Centrale. Et la situation perdure jusqu’à ce jour.

— Serait-il possible que le parlement siège en dehors de Tobrouk ?

— Conformément à la déclaration constitu­tionnelle, le siège du parlement libyen est à Benghazi. Il y sera installé prochainement après la déclaration de sa libéra­tion du joug des groupes terro­ristes. En attendant, la ville de Tobrouk est la plus sûre pour la tenue des séances.

— Certains demandent l’élec­tion d’un nouveau président de la Chambre des représentants à la place d’Akila Saleh. Quelle serait la réaction de Tripoli, des factions politiques libyennes et de la communauté internatio­nale face à une telle démarche ?

— Akila Saleh est un fin politicien. Il a dirigé les travaux du parlement avec sagesse et dextérité et je ne vois pas que son rempla­cement à l’heure actuelle serait bénéfique pour le pays. Bien au contraire, dans la mesure où il est difficile de trouver un suc­cesseur de ce calibre dans ces conditions cri­tiques et cruciales.

— Le budget du conseil présidentiel et du Gouvernement d’union nationale échappe au contrôle du parlement. Est-il moyen de remédier à cette situation ?

— Le conseil présidentiel exerce son pou­voir en dehors de la légitimité constitution­nelle, et c’est a fortiori le cas du gouverne­ment qui en est issu et que le parlement a refusé de reconnaître. Leurs dépenses, comme leurs décisions, n’ont aucun fonde­ment légitime.

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Le parlement libyen refuse toujours d'approuver le gouvernement de Fayez.

— Le chef du gouvernement d’union nationale, Fayez Al-Sarraj, a récemment demandé aux Etats-Unis de mener des frappes aériennes contre des positions de l’Etat islamique à Syrte. L’intervention améri­caine est-elle destinée, selon vous, à consolider le conseil militaire ?

— Bien entendu, les pays occidentaux, et plus particuliè­rement les Etats-Unis, soutien­nent le conseil présidentiel de toutes leurs forces, sans tenir compte du fait que le parlement n’a pas entériné l’accord poli­tique. Malheureusement, l’Occi­dent voit l’Etat islamique à Syrte, mais ne le voit pas à Benghazi où l’armée est en guerre depuis juillet 2014. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Italie ont refusé de donner leur aide à l’armée nationale à Benghazi, et l’ont offerte à des milices isla­mistes armées et à des mercenaires.

Cela dit, après trois mois de bombarde­ments et 200 raids aériens, les Etats-Unis n’ont pas réussi à trancher la bataille à Syrte contre 500 ou 800 combattants de Daech. Alors qu’à Benghazi, nos forces armées com­battent plus de 7 000 terroristes avec beau­coup plus de succès malgré le peu de res­sources, et en l’absence de toute aide, à part l’assistance logistique offerte par la France, l’Egypte et les Emirats. Ainsi, malgré tout le soutien militaire dont il bénéficie, le conseil présidentiel n’a réalisé aucun gain politique, parce que finalement, la volonté du peuple est plus forte que le soutien international.

— Justement, comment évaluez-vous la position de la communauté internationale vis-à-vis de la Libye et le rôle de l’émis­saire de l’Onu, Martin Kobler ?

— Malheureusement, la communauté inter­nationale et les superpuissances adoptent une politique de deux poids deux mesures et sou­tiennent certaines parties libyennes plutôt que d’autres. Cela se reproduit dans les poli­tiques de Martin Kobler qui s’immisce dans les politiques libyennes dépassant les limites de son mandat. En tant qu’émissaire onusien, son rôle est censé se limiter à la concertation et au rapprochement entre les parties. Or, il a commencé à agir comme un tuteur du peuple libyen. Tout récemment, il a demandé l’adop­tion d’une nouvelle loi de lutte contre l’im­migration clandestine, ce qui est une ingé­rence inacceptable dans les affaires libyennes. L’émissaire Kobler est devenu persona non grata en Libye, sa présence alimente les divisions entre les parties au lieu de les rapprocher. Dans les rues, les manifestants demandent son départ et brûlent ses portraits.

— Certaines parties deman­dent l’exclusion du général Khalifa Haftar et sa dispari­tion de la scène. Etes-vous d’accord ?

— Le général Khalifa Haftar a osé sortir alors que tout le monde se cachait des extré­mistes et des terroristes. Ceux-ci ont semé la terreur à Benghazi, Derna, Sabratha et Tripoli. Le général Haftar est sorti quand les islamistes ont multiplié les assassinats parmi les rangs des officiers et des activistes. Ce sont les Libyens qui ont demandé à Haftar d’agir, notamment en manifestant partout dans le pays. Il a répondu en lançant l’opération Dignité en mai 2014. Et quand il a commencé à réorganiser l’armée, des officiers et des soldats, venus de toutes les villes, ont répon­du à son appel. Haftar bénéficie du soutien de tous les Libyens, à l’exception de ceux proches des Frères musulmans qui n’ont jamais voulu d’une armée nationale. Sa nomination à la tête de l’armée a été la reven­dication des manifestants. Le parlement a exaucé ce voeu populaire et Haftar fut nommé commandant en chef de l’armée libyenne. Toutes les tribus lui ont prêté allégeance, et depuis, l’armée libyenne n’a cessé de gagner en force et de multiplier les victoires. La der­nière en date est celle de la libération des ports pétroliers des mains d’une milice hors-la-loi, qui a suspendu l’exportation du brut pendant trois ans, provocant des pertes de 100 milliards de dollars.

Le général Haftar et son armée nationale sont donc au-dessus de toute polémique. Nous n’accepterons jamais le retour à la case départ et au contrôle des milices extrémistes armées. L’armée nationale est le bouclier contre ces milices, et très prochaine­ment, Benghazi sera complètement libérée, et après elle Tripoli.

— Qu’attend la Libye de l’Egypte dans ces circonstances ?

— L’Egypte a beaucoup donné à la Libye et aux Libyens, que ce soit au niveau politique en soutenant le parle­ment légitime et en s’opposant aux projets hostiles, ou au niveau militaire en soutenant l’armée libyenne dans sa guerre contre le terrorisme. Le destin de l’Egypte est inséparable de celui de la Libye, ainsi que leur sécurité natio­nale … Aujourd’hui, nous attendons de l’Egypte davantage de soutien à notre parlement.

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