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Politique: Le musellement des médias en cours

Aliaa Al-Korachi, Lundi, 18 février 2013

Le Conseil consultatif durcit le ton contre les médias. Une commission chargée d’évaluer leur performance entame ses activités et un projet de loi pour le contrôle du contenu des programmes est en plein débat

Journalistes
Les journalistes protestent contre les tentatives du régime de contrôler les médias. (Photo: Ahmad Abdel-Razeq)

Ces derniers jours, une pluie de déclarations virulentes contre les médias ne cesse de tomber dans le Conseil consultatif. « La plupart des invités aux émissions sont des non-spécialistes qui ne font qu’inciter à la violence dans la rue » ... « Laisser le libre choix au citoyen de suivre telle ou telle chaîne n’est que de l’impuissance » … « Les présentateurs deviennent des militants politiques et dirigent le débat en fonction de leurs orientations ».

C’est en fait une émission sur la chaîne Al-Tahrir, accueillant trois personnes cagoulées du Black Bloc (milice anti-Morsi), qui a mis le feu aux poudres chez les parlementaires. Son président Ahmad Fahmi a adressé une plainte contre cette chaîne, l’accusant « de promouvoir des groupes visant à renverser le régime » et a approuvé immédiatement la proposition de Mohamad Abdel-Latif, du parti Al-Wassat, de former une commission chargée « d’évaluer les pratiques des médias audiovisuels » au cours des deux derniers mois et de distinguer les chaînes appelant à « des actes terroristes ». La commission s’est lancée dans un débat sur une nouvelle déontologie. Une commission parallèle qui se chargera de « la presse écrite » verra bientôt le jour.

Ce n’est pas tout. Depuis quelques semaines, les séances de la Chambre haute du Parlement ont aussi abordé des propositions concernant un projet de loi pour déterminer le contenu des programmes dans les médias. Les propositions des députés islamistes sont même allées jusqu’à exiger la nécessité d’établir des règlements imposant aux chaînes de présenter, un mois à l’avance, une liste des invités et la nature même des sujets qui y seront débattus. « Une telle ingérence flagrante dans la liberté des médias est du jamais vu », s’insurge Hafez Abou-Seada. Mais Mahmoud Ammar, ex-député du Parti Liberté et justice, voit l’affaire d’un oeil positif. Pour lui, cette commission formée de spécialistes dans le domaine des médias devra enjoindre certains médias « partiaux », qui s’opposent sans la moindre preuve au courant islamique, de respecter les critères du professionnalisme. De plus, des positions sévères ont été prises contre les journalistes parlementaires en les empêchant deux fois de suite d’assister aux séances, les accusant « de déformer les informations et mettre le conseil dans une situation embarrassante ».

Bien que des assurances aient été affichées au début des travaux du Conseil consultatif de ne pas approcher le dossier des médias et de laisser cette tâche au nouveau Parlement, les voix s’élèvent actuellement pour la nécessité d’achever à la hâte un projet de loi spécial sur la création d’un conseil national de l’information. Ce conseil serait chargé de superviser la performance médiatique, qu’elle soit audiovisuelle ou écrite. La crainte que la législation ne soit instrumentalisée pour contrôler les médias et devenir une nouvelle épée de Damoclès n’est pas dissimulée. Et l’on se retrouve face à un nouvel épisode d’une série d’attaques récurrentes contre les médias.

La confrérie veut contrôler les médias

Pour Yasser Abdel-Aziz, expert en médias, beaucoup « d’indices » laissent entrevoir l’existence d’une stratégie des Frères musulmans, afin de contrôler les médias. « La confrérie considère les médias comme un milieu hostile qui vise son déclin », dit Abdel-Aziz. Les signes de cette volonté sont multiples. Plus d’une vingtaine de personnalités des médias, des présentateurs vedettes de télé aux simples journalistes, risquent ces jours-ci la prison en raison de poursuites intentées par des Frères musulmans et même par la présidence. La liste ne cesse de s’étendre : l’humoriste Bassem Youssef, la caricaturiste Doaa Al-Adl et le directeur du quotidien Al-Youm Al-Sabie sont les nouveaux sur la liste. « Les Frères musulmans ne se sont pas seulement contentés d’accuser et d’intenter des procès contre les médias, mais ils se sont mis à appliquer une politique de mainmise sur le champ médiatique tout entier », explique Abdel-Aziz.

Lignes éditoriales favorables aux Frères

D’ailleurs, peu après l’arrivée de Morsi au pouvoir, la nomination d’un ministre de l’Information affilié aux Frères musulmans, Salah Abdel-Maqsoud, a suscité beaucoup de critiques et a affiché la volonté de dicter des lignes éditoriales favorables aux politiques des Frères musulmans.

Le ministre n’a pas hésité dès les premiers jours à déférer des présentateurs critiquant le pouvoir devant une commission de discipline et à suspendre certaines émissions. Une liste noire des personnalités interdites d’antennes est d’ailleurs déjà établie. « Leur plan se déroule avec un grand succès dans les médias étatiques et renforce toujours leur allégeance au parti au pouvoir quelle que soit la nature de ce régime », explique Abdel-Aziz. Même les étincelles de révolte, de temps à autre, dans le bâtiment de Maspero (siège de la télévision et la radio publiques) lancées par des présentateurs refusant « la frérisation de Maspero » restent suivies de peu d’effet. Des pressions ont été aussi exercées sur les chaînes privées exigeant une intervention « équilibrée », soit la présence d’un invité islamiste au côté de celui de l’opposition, ou au moins la possibilité d’intervenir par téléphone.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier les menaces de fermeture de chaînes de télévision. En abusant de la possession par l’Etat du satellite NileSat, l’attaque est menée contre des chaînes privées sous prétexte de réglementer la diffusion. La fermeture de la chaîne Al-Faraeen et une enquête contre son propriétaire Tewfiq Okacha pour incitation « au meurtre du président Mohamad Morsi et au renversement du pouvoir » en sont un exemple.

La chaîne Dream TV, autre exemple, mise hors antenne pour des raisons techniques, ne peut toujours pas diffuser en direct malgré un verdict qui lui donne ce droit. Sur l’écran noir qui apparaît de temps à autre, la chaîne rappelle toujours que « le gouvernement de Hicham Qandil lui a interdit d’émettre, bien que (sa) diffusion soit légale. Cela ne fait que renforcer un plan pour la limitation des libertés et de la protection des médias ».

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