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La Constitution attend son heure

Samar Al-Gamal, Mardi, 29 mars 2016

La promulgation d'un certain nombre de lois s'avère nécessaire pour que la Constitution soit effective. Mais le Conseil des députés est occupé par sa nouvelle charte. Et il faudra sans doute attendre encore quelque temps avant que la loi fondamentale ne se concrétise.

La constitution attend so heure
(Photo : AP)

Le 2 décembre 2013, une nouvelle Constitution est rédigée en Egypte, et le 14 janvier 2014, en plein remous politiques, elle est plébiscitée par environ 39 % des Egyptiens appelés à se rendre aux urnes. Aujourd’hui, 80 jours après le début de la nouvelle session parlementaire, certains articles de cette Constitution ne sont pas appliqués. Pour les appliquer, il faut une sorte de « révolution législative », disent les juristes, car certains articles exigent la promulgation de nouvelles lois, et selon d’autres, il faut annuler ou modifier des lois en vigueur et qui sont aujourd’hui inconstitutionnelles. Mais avant même la mise en vigueur de la Constitution, des voix s’étaient élevées réclamant l’amendement de certains articles. « Malheureusement, cette Constitution n’a pas reçu l’intérêt nécessaire de la part des partis politiques et des députés indépendants. Elle n’a été mentionnée dans aucun programme », constate l’ancien vice-premier ministre Ali Al-Selmi dans son nouveau livre Les problématiques de la Constitution et du Parlement publié aux éditions Sama, 2015). Al-Selmi affirme que « la négligence est telle » que le Conseil des ministres est peu soucieux d’annoncer des plans ou des mesures pour faire respecter les engagements de la Constitution. Et « il n’existe aucun calendrier pour achever un tel agenda législatif ». S’adressant aux nouveaux députés, dimanche, pour étaler le programme de son gouvernement, le premier ministre Chérif Ismaïl a timidement fait référence à ce texte « sacré ». Alors qu’il a parlé d’un programme ambitieux en matière d’économie, Ismaïl a fait référence au « respect de la Constitution », aux moyens de « garantir l’indépendance des médias publics » et à « l’engagement du gouvernement à préparer des projets de lois » relatifs à la création des institutions de l’audiovisuel et de la presse, comme l’exige la Constitution. Il a aussi évoqué la volonté du gouvernement de redistribuer les dépenses publiques pour améliorer les services dans le domaine de l’enseignement et de la santé, mais sans faire la moindre allusion au fait que la Constitution stipule que ces deux secteurs reçoivent 10 % du PIB avec la recherche scientifique, et ce, à partir du budget de 2016/2017.

Des clauses restées lettres mortes

L’article 124 de la Constitution oblige le gouvernement à présenter son projet de budget au moins 90 jours avant le début de l’année fiscale, soit début avril, ce qui rend le respect de ce délai quasi impossible. Le gouvernement, devant d’abord obtenir la confiance du parlement, dispose de 2 mois seulement pour préparer son programme. Cette année aussi, l’enseignement obligatoire devrait se prolonger jusqu’au secondaire. Selon la Constitution, le gouvernement devait procéder graduellement depuis l’approbation du texte fondamental, il y a deux ans, à appliquer ce principe. L’ancien député Wahid Abdel-Méguid pense qu’il ne faut pas juger le gouvernement par son discours-programme devant le parlement. « Ce n’est qu’un discours de formalité. Une sorte de copier/coller qui est loin d’être le programme exécutif », dit Abdel-Méguid, qui estime qu’il faut attendre les projets de lois que le gouvernement proposera au parlement. Ce dernier porte la responsabilité de la mise en application de la Constitution. Cette dernière oblige, en effet, les députés à promulguer une série de lois avant la fin du premier terme législatif (lire page 4). « C’est-à-dire avant fin juillet, en comptant les vacances de juin pour le mois du Ramadan », explique Karim Abdel-Razeq, professeur de sciences politiques à l’Université d’Alexandrie.

Le parlement occupé

Mais le travail du parlement est presque en suspens. Depuis sa formation, les députés ont approuvé 340 lois sur les 341 promulguées par décret présidentiel depuis l’élection du président Abdel-Fattah Al-Sissi, puis, ils sont passés à l’élaboration d’une nouvelle charte formée de 440 articles, car 32 articles étaient jugés inconstitutionnels, et donc aucune « production législative » n’a pu voir le jour. « Le Conseil d’Etat a émis 3 remarques sur cette nouvelle charte, et ce mercredi, le parlement doit se réunir vers 17h pour approuver l’amendement », explique le député Ihab Al-Tamawi, du parti des Egyptiens libres. Une fois approuvée, elle sera déférée au chef de l’Etat pour la publier sous forme de loi dans le journal officiel, puis les députés commenceront à former les commissions de leur parlement. Une mesure qui devrait encore prendre environ deux semaines. Pour l’instant, le parlement travaille via des commissions extraordinaires formées tantôt pour l’examen des lois par décret, tantôt pour élaborer la charte, ou encore pour étudier le programme du gouvernement. « Après l’élection des commissions, on procédera à l’examen des législations, dont celles sur la justice transitionnelle et la construction des églises », précise Tamawi. Une volonté qui ne figure pas pour l’instant sur l’ordre du jour du parlement, comme l’indique Mohamad Abdou, député du néo-Wafd. « Le travail des députés n’a pas commencé et la Constitution est déjà activée. En tous cas, elle n’est pas un texte religieux sacré. S’il faut la modifier, on le fera », ajoute Abdou qui, tout comme Tamawi, s’élève contre les différentes formations qui disent avoir comme objectif la protection et la mise en application de la Constitution (lire page 5). « Seuls les députés ont le droit de parler au nom du peuple », dit Tamawi. L’un des juristes qui ont travaillé avec le président par intérim, Adly Mansour, et avec la « commission des dix » qui a élaboré les grandes lignes de la Constitution estime que « personne ne peut forcer le gouvernement ou le parlement à émettre l’une ou l’autre législation ». Le juriste, qui a parlé sous couvert de l’anonymat, précise qu’il « n’existe pas de mécanismes pour demander des comptes au parlement ». Diaa Rachwan, directeur du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram et membre de la commission des 50 qui a rédigé le texte fondamental, explique que durant les travaux, il avait proposé une sorte de « sanctions » pour celui qui ne respecte pas la Constitution, « mais finalement, l’idée a été rejetée, et aujourd’hui, c’est le parlement qui assume la responsabilité du non respect du texte », conclut Rachwan.

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