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Les ménages accusent le coup

Mardi, 22 mars 2016

La dévaluation de la livre égyptienne accroît la facture de la dette en dollars, augmente le déficit et pèse sur les réserves en dollars. Les ménages paieront la facture avec la hausse des prix. Malgré tout, les investisseurs préfèrent un dollar cher à une pénurie de billets verts.

Les ménages accusent le coup
Les prix devraient augmenter après la dévaluation. (Photo : AP)

Les répercussions de la hausse du prix du dollar sont calculées. Il n’y aura aucun préjudice pour le citoyen ». Ces propos du gouverneur de la Banque Centrale, Tarek Amer, ne trouvent pas vraiment écho chez Samia, qui en achetant un kilo de riz, d’une épicerie du quartier populaire de Arab Al-Maadi, est choquée en voyant le prix grimper de 4 L.E. à 6 50 L.E. en une semaine. Face à cette incessante flambée des prix, elle connaît la réponse par coeur : « C’est la folie du dollar … le prix du dollar a augmenté, alors pourquoi pas celui du riz ? ». C’est ainsi que l’épicier tente à chaque fois de justifier la situation. Femme de plombier et mère de 3 enfants, Samia opte à chaque fois pour un autre genre de riz moins cher mais aussi de moindre qualité.

L’essentiel pour Samia est que le prix ne dépasse pas les quelques pièces de monnaie qu’elle a en main. Pour Marwa, directrice dans une société dépendant du secteur public, cette flambée de prix est aussi alarmante puisque les prix de la viande, volaille et poisson ont également pris l’ascenseur, même si cette fois-ci l’augmentation est un peu plus lente par rapport à la dernière dévaluation d’octobre dernier. « Le prix des filets de poulets a grimpé au cours de deux mois de plus de 8 L.E., sous prétexte que 90 % de leur alimentation est importé », dit Marwa. Selon des experts, la crise du dollar va jeter aussi de l’ombre sur les produits industriels comme le ciment, mais aussi les vêtements, ordinateurs, électroménagers.

Les prix augmentent mais pas les salaires. C’est le casse-tête de chaque famille qui se trouve incapable de compenser la chute de revenus entraînée par l’augmentation des prix qui va réduire cette fois-ci le pouvoir d’achat d’au moins 14,5 %, soit le taux de la dévaluation de la livre égyptienne face au dollar. Une perte évaluée à environ 200 L.E. sur un salaire de 1 200 L.E., comme l’explique Mahmoud Askalany, président de l’association Citoyens contre le cherté de vie, qui prévoit une vague de hausses des prix « inévitable et généralisée » dans les jours à venir, puisque l’Egypte importe plus de 70 % de ses besoins alimentaires et industriels. Askalany croit que le gouvernement va à l’encontre des politiques socioéconomiques récemment adoptées par le ministère de l’Apprivoisement en coopération avec les forces armées pour instaurer une sécurité alimentaire en faveur des classes les plus démunies. « L’orage du dollar », selon Askalany, a malheureusement frappé de plein fouet tous ces efforts. Toutefois, selon Mohsen Adel, analyste financier, une partie « du choc inflationniste a déjà eu lieu, puisque la plupart des produits exposés actuellement dans les marchés ont été importés il y a deux mois avec des billets verts, dont la majorité est venue du marché noir ». Pour l’analyste, « si la décision prise par la Banque Centrale va accroître la confiance des investisseurs dans l’économie égyptienne, le gouvernement devra parallèlement prendre des mesures protectrices » pour les couches sociales pauvres et moyennes qui sont les plus touchées par la dévaluation de la livre égyptienne.

Aliaa Al-Korachi

Investissement : Retour de l’optimisme

Investissement : Retour de l’optimisme
La dépréciation est importante pour les nouveaux investissements. (Photo : Reuters)

Les investisseurs égyptiens ont accueilli positivement la décision de rendre le dollar disponible sur le marché, même plus cher. « C’est un pas très important suite auquel des entreprises ont commencé à prendre au sérieux la décision d’investir en Egypte », dit Alaa Ezz, secrétaire général de la Confédération des associations des hommes d’affaires égypto-européens. Pour Ezz, la décision en soi va mener à une hausse des investissements étrangers directs. « Imaginons un investisseur étranger qui a transféré des millions de dollars en Egypte juste avant la dévaluation : son argent va perdre 15 % de sa valeur avant même qu’il ne commence à s’installer. Les investisseurs étrangers attendaient précisément cette mesure avant de prendre la décision d’investir en Egypte », assure-t-il, disant que certains avaient acheté des terrains mais attendaient de voir évoluer le taux de change avant d’entamer leurs travaux de construction. « La hausse du prix du dollar n’est pas très importante pour les entreprises, dont le problème est essentiellement le manque de dollars indispensables à l’importation des matières premières », explique Mohamad Abou-Bacha, économiste à la banque d’investissement EFG Hermes. La dépréciation est importante pour rassurer les investisseurs mais il ne s’agit pas du seul facteur d’attraction des investissements. « Les investisseurs attendent le plan de réforme du gouvernement pour savoir quelles autres mesures il prendra », dit Abou-Bacha. L’Autorité d’investissement a prévu des Investissements Etrangers Directs (IED) entre 8 et 10 milliards de dollars pour l’année fiscale en cours, contre 6,4 milliards de dollars l’année dernière. La hausse des investissements est un facteur-clé pour la croissance. Le gouvernement avait révisé à la baisse en janvier dernier ses prévisions de croissance pour 2015/16 pour les ramener à un taux entre 4 et 4,25 % contre 5 % prévus.

Marwa Hussein

Le problème du déficit commercial

Le problème du déficit commercial
Le gouvernement souhaite freiner les importations qui épuisent les réserves.

Pour un pays exportateur, la dévaluation de la monnaie locale peut être un avantage, lui permettant des prix plus compétitifs sur le marché international. Au contraire, un pays importateur peut connaître plus de déséquilibre de sa balance commerciale. L’Egypte est un importateur net, mais une série de mesures récentes a visé à freiner les importations qui épuisaient les devises étrangères devenues rares, afin de limiter le creusement du déficit de la balance commerciale. De plus, « le nouveau prix de la livre rend l’investissement plus important que les importations. Cela va encourager l’investissement, et bien sûr l’exportation. La Banque Centrale d’Egypte (BCE) a montré qu’elle visait à réguler le marché et ouvrir l’économie aux marchés étrangers », dit Mohamad Zaki El-Sewedy, président de la Fédération des industries égyptiennes. De leur côté, « les importateurs de produits autres que ceux de base ne trouvent pas de dollars dans les banques et ont toujours recours aux bureaux de change et au marché noir », dit Ahmad Chiha, président de la division des importateurs au sein de la Fédération des chambres de commerce. En ajoutant que les consommateurs sont ceux qui endurent la hausse des prix.

Depuis février, 23 catégories de produits sont interdites à l’importation si les sociétés étrangères qui les vendent ne possèdent pas de registre auprès de l’Autorité de contrôle des importations et exportations. La liste comprend certains produits laitiers, les huiles, le textile et le prêt-à-porte. Fin décembre, la BCE a en effet pris une décision exigeant que les importateurs de tout produit final, à l’exception des médicaments et des laits pour enfants, placent en banque un dépôt en espèces équivalent à 100 % du montant de la facture, contre 50 % auparavant. Ce sont ces mesures imposées sur les importations qui rendent possible, aux yeux de certains, le fait que la dépréciation de 2016 ait un effet plus tangible sur la balance commerciale que la dépréciation historique de 2003. « Il y aura une hausse des exportations mais cela prendra environ six mois à se matérialiser », estime El-Sewedy. Le déficit de la balance commerciale de l’Egypte a atteint 38,8 milliards de dollars en 2014/15, contre 34 milliards de dollars l’année précédente.

Marwa Hussein

La dette en augmentation

La dette en augmentation
La relance du tourisme pourrait fournir des ressources nancières au gouvernement. (Photo : AFP)

Depuis que la BC a lancé 1,9 milliard de dollars sur le marché la semaine dernière, il est question de savoir si les réserves toléreront plus de dévaluation de la L. E. « Il est difficile de dire si les réserves toléreront une autre dévaluation », estime Alia Al-Mahdi, experte économique et ex-doyen de la faculté des sciences politiques et économiques de l’Université du Caire. « C’est pourquoi il faut mener un effort au niveau de l’économie : tourisme, importations et exportations, production, transferts des Egyptiens de l’étranger, investissements … Sans ces flots constants de devises, la livre peut chuter encore plus », dit-elle. Un rapport de l’experte économique, Riham Al-Dessoqi de Arqaam Capital, prévoit toutefois que la dévaluation mènera à la disponibilité du dollar, engendrera donc plus d’investissements et une augmentation des réserves en dollar. La Banque Centrale a aussi annoncé qu’elle visait des réserves de 25 milliards de dollars fin 2016, les réserves étant de 16,5 milliards fin février. La dévaluation affecte aussi le coût de la dette. Elle accroît donc le déficit et pèse sur les réserves. Une dévaluation élèvera la facture de la dette étrangère payée en dollars. Car la valeur du dollar stipulée dans le budget augmentera. La dette étrangère a augmenté de 1,7 % lors du dernier trimestre de l’année fiscale. Elle est maintenant de 47,8 milliards de dollars. « La dévaluation de la livre signifie que les obligations financières en dollars sont plus élevées. Au lieu d’être de 7 ou 8 L.E., le dollar est à environ 9 L.E. La dette a donc augmenté de 14 %, ce qui n’est pas rien », explique Al-Mahdi. Elle prévoit que le déficit du budget atteindra 12-13 % alors que dans les prévisions pour l’année fiscale qui commence en juillet 2016, le gouvernement visait un déficit compris entre 9 et 9,5 %, selon une déclaration du ministre des Finances en novembre dernier. Mais selon un rapport de l’agence de notation Moody’s publié vendredi dernier, « la dévaluation aura un effet limité sur la dette du gouvernement à cause des niveaux bas des dettes indiquées en monnaie étrangère ». Sous Moubarak, après la guerre du Golfe de 1991, l’Egypte avait commencé à emprunter en livres égyptiennes. Ainsi, du point de vue du gouvernement, la marge est encore large pour emprunter en dollars, puisque les dettes en monnaie étrangère sont un faible pourcentage du PIB.

Hana Afifi

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