Immédiatement après la formation du nouveau Parlement, quelques députés ont décidé de former «
une coalition de justice sociale ». Ce bloc parlementaire comprend jusqu’à présent 15 députés et a pour objectif de «
mettre en vigueur les articles sur la justice sociale dans la Constitution ». Cinq ans après la révolution du 25 janvier, la question est encore d’actualité. Si pour certains, la formation de ce bloc offre une lueur d’espoir pour réaliser un des idéaux de la révolution, pour l’ancien député Wahid Abdel-Méguid, «
la présence de ce bloc ne serait que symbolique et pourrait ne pas jouer de rôle efficace dans un parlement élu essentiellement via l’argent politique ».
Pain, liberté, justice sociale, scandaient les manifestants contre le régime de Hosni Moubarak. A l’époque, le peuple réclamait un niveau de vie adéquat, un travail, de meilleurs soins médicaux et une répartition équitable des services publics. Pourtant cinq ans après, le terme « justice sociale » est devenu un lourd fardeau pour les gouvernements successifs. « La lutte pour la justice sociale a réalisé une certaine victoire après le 25 janvier. A l’époque du conseil militaire qui assurait l’intérim, les ouvriers avaient obtenu une bonne partie de leurs droits. Et cela était dû à la pression populaire : augmentation de salaires, primes, assurances médicales, etc. », explique Hussein Soliman, chercheur en économie au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Pourtant, quelques mois plus tard, les faits ont changé. Nous sommes revenus à la situation d’antan », ajoute-t-il
La situation n’a pas beaucoup changé à l’époque des Frères musulmans, qui ont succédé au Conseil militaire. Beaucoup d’Egyptiens avaient misé sur les Frères pour améliorer la santé et l’éducation et obtenir une augmentation des subventions. Mais les sit-in et les grèves ont continué. Et même après le départ des Frères, les demandes en vue d’une plus grande justice sociale ont continué à être exprimées, mais timidement. « Aujourd’hui, les revendications essentielles n’ont pas beaucoup changé. Elles ont trait aux augmentations de salaires, au développement de l’éducation et de la santé. Beaucoup d’Egyptiens ont abandonné le combat pour la justice sociale en faveur d’autres objectifs à leurs yeux plus importants, comme la lutte contre le terrorisme, la sécurité et la stabilité de l’Etat. Et cela est un indice négatif », reprend Hussein Soliman. Depuis son arrivée au pouvoir, l’actuel premier ministre, Chérif Ismaïl, a annoncé que le programme de son gouvernement « assurait la justice sociale à travers des plans à court et à moyen termes ». Pourtant, en cinq ans, les Egyptiens ont connu une baisse des subventions à l’énergie et une augmentation des factures d’électricité et d’eau potable.
Les gouvernements successifs restent fidèles aux politiques capitalistes de l’époque de Moubarak qui avaient créé un large fossé entre les couches sociales. Théoriquement, la nouvelle Constitution oblige le gouvernement à augmenter le budget de l’éducation et de la santé. Cependant, ses articles n’ont pas été traduits en mesures concrètes. Le budget consacré à l’éducation, à l’enseignement universitaire et à la recherche scientifique reste très modeste. Il est estimé à 7 % du PIB. Quant à la santé, le gouvernement a alloué à ce secteur 42 milliards de L.E. dans le budget 2014/2015, alors que si on se réfère à la Constitution, le budget aurait dû être de 63 milliards. Et en dépit de la mise en place d’un salaire maximum, les gouvernements n’ont pas réglé les disparités entre les revenus. « Le concept de justice sociale a beaucoup changé au cours des cinq dernières années. Avant la révolution de Janvier, le taux de croissance était relativement élevé, environ 8 %. Mais, les richesses du pays allaient à la classe la plus aisée. Or, après le 25 Janvier, le taux de croissance a chuté à 1,8 % », indique Ahmad Abdel-Hafez, directeur du département d’économie à l’Université du 6 Octobre. Il estime que l’arrivée de Abdel-Fattah Al-Sissi au pouvoir a permis une certaine amélioration. « Pour la première fois, le gouvernement accorde une importance au social. Les fruits de cette politique ne seront ressentis que dans les 3 ou 4 prochaines années », estime Abdel-Hafez. La sociologue Nadia Radwan partage ce point de vue et parle « d’indices prometteurs en faveur des pauvres ». « Les impôts progressifs peuvent être une bonne solution pour réaliser la justice sociale », propose-t-elle. Beaucoup reste à faire cependant pour tenir la promesse de la justice sociale.
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