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25 Janvier : Sur le front de la révolte

Mardi, 22 janvier 2013

Leur participation à la révolution a été remarquée en 2011, et depuis, elles n’ont pas quitté la scène. Agressées, battues, certaines ont même sacrifié leur vie. Aujourd’hui, alors que Moubarak est tombé, elles sont de nouveau dans la rue pour revendiquer leurs droits.

25 Janvier

« Guerre des sexes ... hommes femmes », c’est ainsi que Salma Saïd, activiste, tweet la rencontre du groupe hashtag #jan25 sur Twitter. Comme plusieurs femmes et jeunes filles, Salma Saïd utilise ce mot-clé pour mobiliser toute la gent féminine afin qu’elle se rende à Tahrir, place emblématique de la révolution du 25 janvier 2011. Comme beaucoup d’autres, elle est prête à sacrifier sa vie pour la cause de la femme égyptienne. Depuis le début de l’année 2013, Salma, 27 ans, membre du groupe Non aux procès militaires des civils et du collectif Mosserin (déterminés), a écrit sur son compte : « Moi, jeune femme égyptienne, je vais me rendre à la place Tahrir le 25 janvier et je compte tenir une banderole sur laquelle seront indiquées mes revendications. Nous les femmes, nous ne nous sentons pas en sécurité. Toutes les femmes sont désormais menacées. Pour cette raison, il faut nous rejoindre et revendiquer vos droits, mes droits, ceux de nos familles. Le 25 janvier, je descendrai dans la rue pour dire non au projet stérile de la Constitution. Oui au respect des droits de la femme dans la prochaine Constitution ».

25 Janvier
Les femmes n'hésitent pas de descendre dans les rues malgré leurs blessures.

Cette activiste a connu des risques mettant en danger sa vie. Salma n’a pas baissé les bras et sent qu’elle a une mission à accomplir. Cette militante a été blessée le 5 février 2012 par des balles tirées à partir d’un véhicule blindé. Elle a été blessée au visage, à la poitrine et aux jambes, alors qu’elle filmait ces véhicules de police qui tentaient par la force de disperser les manifestants dans la rue Al-Falaki, au centre-ville du Caire. Salma est l’une des voix les plus influentes de la scène politique. Aujourd’hui, elle encourage les jeunes filles et les femmes à descendre dans la rue. Elle diffuse sur Facebook et Twitter des vidéos sur le martyr Khaled Saïd, icône de la révolution de 2011, mort sous la torture le 6 juin 2010 à Alexandrie.

Elle publie constamment les photos des martyrs de la révolution, à commencer par Tahrir, Mohamad Mahmoud, en passant par Magles Al-Wozara (Conseil des ministres), et Port-Saïd, sans oublier ceux qui sont tombés à Ittihadiya (devant le palais présidentiel) le 5 décembre 2012. Salma et son groupe d’amisont écrit des dizaines de tweets, disant : « Il ne faut pas avoir peur. Combien de temps va-t-on se perdre dans la peur ? ».

Une série d’actions révélant à quel point la femme est active. Elle utilise tous les médias pour diffuser l’information, mobiliser les gens et même organiser des événements.

Le rôle des femmes dans la vie politique égyptienne a été remarquable lors de la révolution. Elles ont dénoncé l’injustice, l’oppression et ont scandé aux côtés des hommes : « Pain, liberté, justice sociale et dignité humaine ».

Un militantisme féminin qui ne date pourtant pas d’hier. Durant la Révolution de 1919, les femmes aristocrates non voilées ont côtoyé les femmes voilées et sont sorties pour réclamer le départ des troupes britanniques. Quelques années auparavant, elles avaient revendiqué leurs droits les plus élémentaires au siège du Congrès nationaliste à Heliopolis, guidées par la légendaire Hoda Chaaraoui (1879-1947). « Les femmes ont osé défier tout le monde, pour la première fois, elles se sont révoltées contre les traditions conservatrices et les tabous imposés aux femmes par la société qui les a toujours exclues de toute action politique », précise Ghada Chahbandar, militante des droits de la femme.

Coup d’éclat

25 Janvier
Cette présence importante des femmes dans les rues augure d'une nouvelle révolution, le 25 janvier 2013.

En 1923, les femmes égyptiennes ont créé l’Union féministe égyptienne, pour lutter pour leurs droits, alors qu’elles faisaient partie du Mouvement national de la libération. L’Union féministe égyptienne a vu le jour en mars 1923. Quatre ans plus tard, Hoda Chaaraoui fait un coup d’éclat en retirant publiquement le voile qui lui couvrait le visage.

Et une série d’acquis se succède. L’Université du Caire accueille ses premières étudiantes en 1928, et sept ans plus tard, l’Egypte compte plusieurs diplômées de la faculté de médecine. La Révolution de 1952 a donné plein d’espoir aux femmes de la jeune génération incarnée par Dorriya Chafiq. Fondatrice de la revue Bint Al-Nil (la fille du Nil), elle est la première femme à avoir reçu un doctorat de philosophie à la Sorbonne.

« La période nassérienne a largement favorisé l’émancipation de la femme. Elles se sont imposées, de plus en plus nombreuses, dans la vie professionnelle et la vie politique. Cette époque a connu la première députée au Parlement en 1957, la première ministre en 1962 », raconte Fardous Al-Bahnassi, activiste dans le domaine des droits de la femme.

Aujourd’hui encore, les femmes égyptiennes font parler d’elles. Elles étaient présentes aux manifestations de la place Tahrir, en janvier 2011. Cette fois, pour protester contre l’injustice, la tyrannie et la corruption du régime de Moubarak. « Aujourd’hui, on sent que les islamistes veulent enrayer tout un passé glorieux. Par le biais de leurs idées passéistes, ils tentent de nous faire revenir cent ans en arrière », précise Chahénda Meqled, militante de 75 ans et qui a participé aux derniers événements sanglants d’Ittihadiya. Cette dernière s’est trouvée face à face avec un homme musclé qui s’est donné le droit de la faire taire par une main sur la bouche, alors qu’elle criait des slogans contre le régime.

Chahénda Meqled, cette militante farouche, a déjà participé à plusieurs actions marquant l’histoire du féminisme égyptien. « Notre présence en 2011 était certes plus importante que celle de 1919. J’étais l’une des femmes qui ont résisté après la défaite de 1967. J’ai participé aux premières élections qui ont donné à la femme le droit de vote en 1955. J’ai présenté ma candidature pour participer à trois élections parlementaires en 1976 /79 /84. Mais je n’ai jamais pu rejoindre le Parlement à cause de la fraude électorale. Aujourd’hui, je suis là pour dire que je resterai sur place tant que notre révolution n’aura pas atteint ses objectifs », déclare Meqled d’un ton déterminé.

Aujourd’hui, elle organise une manifestation devant le siège du Conseil consultatif, la Chambre haute du Parlement, pour rappeler aux citoyens que le statut de la femme dans la nouvelle Constitution confisque tous ses droits.

Une nouvelle révolution

25 Janvier

Aujourd’hui, les femmes sont prêtes à poursuivre le chemin de la lutte, parsemé d’épines. Elles ont organisé plusieurs manifestations et marches de protestation avant la commémoration du 2e anniversaire de la révolution. Elles le font pour encourager d’autres femmes et jeunes filles à y participer. Cette semaine, des milliers de femmes, de différentes organisations féministes, (Bahiya Masr, Fouada, Sout Banatek ya Masr, Barlaman Al-Nessa …), activistes politiques, étudiantes, ont manifesté pour protester contre les abus commis contre les femmes d’Egypte. Dans la foule, on pouvait voir des femmes de toutes les catégories sociales venues défendre leur idéal de liberté. Voilées, portant le niqab, se promenant en jeans, ou une cigarette aux doigts, elles criaient toutes des slogans contre la marginalisation de la femme.

Cette présence importante des femmes dans les rues augure d’une nouvelle révolution, le 25 janvier 2013. Et malgré les risques encourus, rien ne semble empêcher les femmes de descendre de nouveau dans la rue. « La révolution appartient aux femmes, elles ont été l’une des surprises de la révolution du 25 janvier. Elles ont été blessées, battues et torturées. Elles ont été agressées par la police et certaines d’entre elles ont dû sacrifier leur vie, pour la liberté de l’Egypte », dit Ghada Chahbandar, militante des droits de la femme et fondatrice du mouvement Chayfenkom (on vous voit). Leur participation aux élections parlementaires et référendums a été remarquable. Sur les 50 millions d’électeurs, 23 millions étaient des femmes.

D’après Chahbandar, les femmes sont aujourd’hui inquiètes quant à leur avenir. « Il semble même très probable que nous perdions les droits que nous avons acquis avant la révolution. Pour aller de l’avant, le gouvernement égyptien doit prouver qu’il est prêt à prendre des décisions en faveur de la femme, et à faciliter sa participation à la vie politique ».

Ironie du sort, alors qu’en Arabie saoudite, les femmes font leur entrée au Conseil consultatif en 2012, en Egypte, elles font marche arrière. « Agissez !! », scandent les femmes. « Comment accepter trois femmes seulement dans le gouvernement, après une révolution qui a fasciné le monde entier. Venez nous rejoindre et soutenir nos droits », disent les femmes.

Avant de manifester le 25 janvier, des représentantes des mouvements et ONG féministes ont publié un communiqué en 6 points, réclamant l’égalité entre les deux sexes, plus de droits dans la nouvelle Constitution et dans toutes les lois, une représentation équitable au Parlement, des mesures appropriées afin de garantir la participation politique des femmes, que ce soit dans les partis politiques, les syndicats ou les institutions de l’Etat.

Azza Helal, activiste de 49 ans, se qualifie de combattante au service de sa patrie. Pour elle, la révolution n’a pas encore atteint ses buts. « Les Frères musulmans veulent que les femmes retournent à la maison. Ils veulent nous ramener à l’âge de pierre ».

Cette activiste a été agressée par les militaires et a dû braver les risques. « Je ne suis plus aussi courageuse qu’avant, mais je continue à participer à toutes les manifestations, tout en tenant la main d’une amie pour me redonner courage », confie Azza Helal.

Azza Helal a subi un traumatisme crânien et continue à souffrir de troubles de la mémoire. Le 17 décembre 2011, Azza a été témoin du célèbre incident de « Set albanat », cette jeune femme qui a été déshabillée et traînée par terre par des soldats. Elle avait reçu, elle aussi, des coups et a ensuite perdu conscience. Une scène qui n’a pas quitté son esprit. « Cette agression a été filmée par les caméras et diffusée partout dans le monde », se rappelle-t-elle.

Mais, la violence contre la femme ne date pas d’aujourd’hui. « En 2005 en votant les amendements constitutionnels, on a vécu cette violence exercée par l’ex-régime et les membres du Parti national démocrate ... Cela s’est répété durant la période de transition, présidée par le Conseil militaire … Les Frères musulmans, les militaires marginalisent la femme. Mais, rien ne l’empêchera de continuer à mener sa bataille pour obtenir ses droits », conclut Ghada Al-Chahbandar.

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