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Protestations : Marins-pêcheurs, la tête sous l’eau

Samar Zaréa, Lundi, 21 janvier 2013

Des centaines de pêcheurs d’Abou-Qir ont manifesté devant le tribunal de la ville après la mort en mer de deux de leurs collègues. Ils accusent les responsables de faire preuve de négligence à leur égard et réclament davantage de droits.

Protestations
Les pêcheurs accusent les responsables de négligence après la mort de deux de leurs collègues.

La semaine dernière, deux pêcheurs égyptiens se sont noyés après le naufrage de leur navire près des côtes de Marsa Matrouh, dans l’ouest du pays. Leurs huit autres collègues ont échappé à la noyade grâce à l’intervention des secours, survenue de nombreuses heures après l’accident. Désespérés et en colère, les proches des deux victimes qui habitaient Abou-Qir ont assiégé le port, jeudi 17 janvier, pour protester contre l’échec de l’Etat dans les opérations de sauvetage des pêcheurs. Selon eux, les responsables ont fait preuve de graves négligences et d’une absence affligeante.

« Nous ne renoncerons pas aux droits des victimes. Certaines ont laissé derrières elles des familles de cinq ou six personnes, seules et sans indemnisations. Ce qui arrive aux pêcheurs ça arrive tous les jours aux accidentés de trains ou aux ouvriers en bâtiments. Tout comme eux, les pêcheurs n’ont ni pensions de retraite, ni assurance sociale. Le peu de personnes qui en bénéficient touchent 100 L.E. mensuellement à l’âge de 65 ans. Personne ne tient compte des conditions de travail des pêcheurs qui vivent chaque jour entre les dangers de la mer et le risque de ne pas trouver de quoi subsister », regrette Ragaï Al-Sayed, pêcheur à Abou-Qir.

Protestations

Selon ses dires, un pêcheur d’Abou-Qir peut toucher 30 L.E. tous les trois jours. Difficile alors de subvenir aux besoins de sa famille. Cette situation touche une majorité écrasante d’habitants d’Abou-Qir. Chaque maison renferme une ou plusieurs personnes dont le gagne-pain dépend seulement de la mer. « On n’a pas le choix, poursuit Ragaï. C’est un métier qui se transmet de père en fils. La plupart des pêcheurs de la région sont analphabètes. Il faut donc se débrouiller pour nourrir nos enfants ». Plus de 5 000 familles vivent ainsi dans une extrême pauvreté, incapables d’exercer d’autre métier que la pêche, comme les activités qui y sont liées (vente, livraison de poissons, entretien des bateaux).

Une profession ignorée

« Qu’il s’agisse de l’actuel gouvernement ou de l’ancien, les pêcheurs n’ont jamais été soutenus », déclare Achraf Zourei, président de l’Union des pêcheurs, tout en précisant que leur nombre se compte en centaines de milliers. « C’est peut-être même pire aujourd’hui. Sous le régime de Moubarak, on n’accordait que peu d’importance au marin-pêcheur, mais aujourd’hui, il semble que la situation s’empire. Si bien que les sauveteurs maritimes ne se donnent plus la peine de sauver les victimes. A Abou-Qir, ils n’ont même pas répondu aux appels de détresse. Les naufragés ont été abandonnés à leur sort pendant plus de 24 heures au milieu des intempéries. Aurait-il fallu qu’ils appartiennent à un certain courant politique pour être sauvés ? », s’indigne Achraf Zourei.

Selon lui, « nous avons intenté un procès contre le chef du port d’Abou-Qir, accusé de ne pas avoir rempli ses responsabilités, et contre Hassan Al-Prince, vice-gouverneur d’Alexandrie, qui s’est adressé aux médias le jour de l’incident en assurant que les 12 pêcheurs avaient été secourus sous sa supervision directe. Pendant son discours, les victimes luttaient contre la mort en pleine mer !».

Cette information a été rejetée en bloc par une source au sein du gouvernorat d’Alexandrie ayant requis l’anonymat. Selon cette dernière, les secours se sont déplacés dès qu’ils avaient reçu l’appel de détresse. Mais le manque de formation des équipes et les intempéries ont mené à l’échec des opérations de sauvetage.

La pêche alimente les trafics

Malgré ces pénibles circonstances, Iman Sallam, activiste dans le domaine des droits de l’homme, n’hésite pas à jeter un pavé dans la mare. « A mon avis, ce bateau n’était pas du tout un bateau de pêche. Il faisait certainement du trafic d’armes ou de drogue. C’est tout de même bizarre de s’échouer dans ces intempéries. Les pêcheurs connaissent parfaitement la météo marine. Ils prévoient le climat rien qu’en regardant le ciel ! De plus, ils connaissent par coeur les saisons des intempéries », souligne l’activiste, suspicieuse.

Elle assure qu’un grand nombre de pêcheurs ont recours aujourd’hui à des activités illégales pour subvenir à leurs besoins. Selon ses sources, plus de 85 % des pêcheurs égyptiens sont partis en Grèce et en Italie exercer leur métier. « Cette catégorie souffre depuis des dizaines d’années non seulement de la négligence continue des autorités et de l’absence de toute sécurité sociale, mais aussi des conditions de travail difficiles. Et à la toute fin, ils n’obtiennent aucun rendement », ajoute-t-elle.

En effet, depuis plus de 15 ans, l’augmentation de la pollution de la mer causée par les eaux industrielles des compagnies pétrolières et des usines a fortement affecté la présence des poissons près des côtes égyptiennes. « Personnellement, j’ai beaucoup lutté au Parlement afin de trouver une solution. Mais personne n’a réagi », explique Nached Al-Malki, ancien député d’Abou-Qir. Et d’ajouter : « Il faut avouer que les pêcheurs, qui étaient malheureusement marginalisés sous l’ancien régime, le resteront toujours après la révolution du 25 janvier 2011, puisque la nouvelle Constitution les ignore dans ses articles. C’est comme si ces citoyens égyptiens étaient des étrangers ».

Pour preuve, l’industrie de la pêche ne possède pas son propre ministère. « Il faudrait une institution qui les protège, leur pourvoit une assurance médicale et conclut des accords de travail avec les pays voisins pour leur assurer des moyens d’existence », avance Nached Al-Malki. La seule institution représentative des pêcheurs d’Egypte se nomme la commission de pêche. Son rôle : fournir l’autorisation d’exercer leur profession dans les eaux égyptiennes, mais à leurs risques et périls .

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