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Salafistes, wahhabites et réalistes

Najet Belhatem, Mardi, 24 novembre 2015

L’onde de choc de Paris suscite encore beaucoup d’analyses dans la presse arabe. Cette semaine, des analyses provenant d’écrivains issus de la mouvance islamiste et des autocritiques des positions arabes face au terrorisme.

« Brûler le Coran, incendier les mosquées, agresser physiquement les citoyens et les émi­grés musulmans, s’en prendre aux pauvres réfugiés sont des réactions qui sont en train de prendre de l’ampleur et de faire boule de neige. Cette dernière ira en grossissant jusqu’à écra­ser toute voix sage et mener l’humanité à un destin funeste », écrit Nader Bakkar, membre fondateur du parti égyptien salafiste Al-Nour.

Il fustige par la même les frappes aériennes en Syrie qu’il qualifie de « terrorisme inverse … La guerre anarchique n’est pas une solution », ajoute-t-il. Mais il s’en prend aussi, dans son éditorial hebdomadaire publié dans le quotidien Al-Shorouk, aux musulmans qui, selon ses pro­pos, « exagèrent dans leur réaction pour faire plaisir aux Européens. Et là aussi, ce n’est pas la solution ». Pour Bakkar, désormais, le monde souffre du même mal et s’il faut chercher un responsable, « c’est du côté des Etats-Unis et de leurs alliés. Leur invasion de l’Iraq a été le début du drame. Quant aux attentats du 11 septembre, si on adhère à l’hypothèse de l’im­plication d’Al-Qaëda, il faut se demander qui est la cause de la création de celle-ci ».

Un autre représentant de la mouvance isla­miste qui publie un article d’opinion dans le quotidien Al-Masri Al-Youm, Nagueh Ibrahim, l’un des fondateurs de la Gamaa islamiya et ancien djihadiste, affirme que « la propagation des idées de Daech parmi les Européens et les Américains d’origine arabe ou africaine est le résultat fatal du discours en vogue en Europe et aux Etats-Unis ». Nagueh Ibrahim parle là du discours religieux des cheikhs installés là-bas. « C’est un discours qui propage la haine et s’efforce d’être radical dans des pays où le musulman ne peut vivre qu’en élargissant les interprétations, comme le veut la tradition musulmane … Le plus étonnant est que les imams des mosquées, à Londres par exemple, sont plus rigoristes que leurs pairs dans les pays musulmans … Quant aux oulémas, ils ont transporté dans leurs bagages les conflits et divergences régnant dans leur pays d’origine. Nous assistons à un conflit là-bas entre sala­fisme et soufisme, entre sunnisme et chiisme, ou encore entre ceux du Golfe et ceux du Maghreb … ».

Dans le quotidien Al-Hayat paraissant à Londres, un éditorial de Mohamad Al-Haddad s’éloigne beaucoup de la plupart des analyses sur les raisons du terrorisme et les retombées des attentats de Paris pour s’attaquer à la réac­tion des peuples arabes. « Il y a quelque chose de pas normal dans la relation de certains arabes avec le terrorisme », commence-t-il son article. « Je vais passer sur le fait d’accu­ser les juifs depuis des siècles et jusqu’à Netanyahu de tous les maux des Arabes et des musulmans. Et je vais passer également sur beaucoup de bêtises pour me contenter de relever les points les plus sensés dans le dis­cours idiot ambiant dans nos pays autour du terrorisme : pourquoi s’apitoyer sur les vic­times à Paris et pas sur ceux en Syrie ? Pourquoi les attentats à Paris sont-ils devenus une affaire mondiale alors que ceux de Beyrouth ou de Tunisie demeurent une affaire locale ? Pourquoi ont-ils débarrassé l’Iraq de Saddam et laissé Bachar en Syrie ? Pourquoi font-ils l’amalgame entre islam et terrorisme ? Ce sont là des questions bêtes et sournoises. Qu’attend-on de l’Occident exactement ? S’il y a ingérence on dit que le terrorisme est de sa faute et, s’il n’y en a pas, on dit que l’Occident ne ressent pas les souffrances des peuples arabes. Et si on parle de Paris plus que de Beyrouth ou de la Syrie, c’est tout simplement parce que la répétition d’un événement le banalise. En plus du fait que, si les terroristes ont réussi à frapper Paris, cela veut dire qu'il leur sera très aisé de frapper nos capitales. Donc, s’apitoyer sur les victimes à Paris, c’est d’abord s’apitoyer sur notre prochain sort … Les Arabes se plaignent du deux poids deux mesures, mais ne réalisent pas que ce sont leurs positions floues et évasives qui sont responsables de cette politique ».

Dans le quotidien libanais Al-Safir, l’ana­lyste politique Mounir Al-Khatib, tout en fai­sant remarquer que désormais l’islam et les musulmans sont la cible de la lutte antiterro­riste, n’omet pas de signaler qu’« il y a en nous, Arabes et musulmans, une défaillance qui a permis à la graine du terrorisme de pousser et de répandre l’obscurantisme. La connivence entre les deux identités arabe et islamique dans la région, pour empêcher le clash entre leurs composantes respectives, a donné naissance, après l’échec du panara­bisme, à une troisième voie dissidente qui a été éblouie par la richesse du Golfe, mais n’a pas pu s’intégrer dans ses rouages écono­miques. Elle a cependant été guidée vers la lutte contre tout ce qui ne correspondait pas à l’interprétation de l’islam wahhabite. L’Arabie saoudite peut bien dire qu’elle lutte contre le terrorisme et le fondamentalisme mais, dans le fond, ce régime reste en place avec seule légitimité l’interprétation wahha­bite de l’islam. Toutes les routes mènent à La Mecque ».

Face à ces accusations qui ont traversé les réseaux sociaux et les médias arabes qui ne sont pas sous la houlette des pays du Golfe, des écrivains saoudiens ont répliqué avec véhémence, dont Abdallah Al-Oteibi, spécia­liste des mouvements islamistes, qui écrit : « Celui qui veut connaître le rôle de l’Arabie saoudite dans la lutte contre le terrorisme ne doit s’adresser ni à un défenseur des droits de l’homme de gauche ni à un journaliste hostile, mais à un responsable politique ou sécuri­taire. David Cameron l’a dit clairement : L’Arabie saoudite a aidé à sauver la vie à beaucoup de civils britanniques ».

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