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Islam politique: Erdogan, un modèle de consensus entre islam et laïcité ?

Héba Nasreddine, Mardi, 08 janvier 2013

Dialogue, engagement démocratique, coalitions politiques et stratégie économique gagnante ont permis à l’AKP de s’imposer largement. Le développement de l’islam politique en Turquie est aujourd’hui considéré comme un modèle à suivre.

Erdogan
La réélection d'Erdogan aux 3e législatives marque le développement de l'islamisme en Turquie. (Photo: Reuters)

La Turquie se place en exemple de mariage réussi entre islam politique et démocratie. Constitutionnellement laïque, elle est dirigée depuis dix ans par un parti issu de la mouvance islamiste. Depuis, le pays connaît un développement sans précédent de l’islam politique, développement qui s’est accéléré ces dernières années. La Turquie était, avant sa transition démocratique, un régime autoritaire laïque fondé en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la Turquie moderne. Atatürk a aboli le califat, restes d’un Empire ottoman dominateur et colonial. Malgré les 85 % de musulmans en Turquie, l’islam n’est plus la religion d’Etat depuis 1928. Ce n’est qu’en 1946 que le pays connaît une première transition démocratique qui favorise le pluralisme politique et la liberté d’expression.
Cette transition pousse le développement d’une action politique islamique, notamment avec l’organisation d’élections libres en 1950. Des partis politiques d’inspiration islamique voient le jour, comme la Prospérité (Refah) ou la Vertu (Fazilet). Mais, ils sont rapidement dissous après s’être lancés dans une confrontation stérile entre islam et laïcité, protégée par l’armée.

Entre religion et modernité

L’AKP, un parti islamiste modéré, a, lui, tiré les leçons du passé. Arrivé au pouvoir avec Recep Tayyip Erdogan après un succès aux législatives de 2002, l’AKP concilie depuis 10 ans modernité, laïcité, identité islamique et démocratie, sans chercher à instaurer un Etat basé sur la religion. Son idée fondamentale réside dans le fait qu’il est possible d’être un musulman pratiquant tout en dirigeant un pays laïque qui n’impose pas de lois contraignantes à caractère religieux. Une recette qui a fait ses preuves, comme l’estime le politologue Béchir Abdel-Fattah : « Erdogan a une attitude conciliante. Il ne met pas en cause de façon radicale l’ordre établi. C’est cette pacification des rapports politiques qui permet à l’islam politique turc de s’intégrer dans la société sans changer son mode de vie libéral ». La Turquie est devenue, depuis, l’exemple donné par les nouveaux régimes islamistes qui sont apparus dans les pays du Printemps arabe, un exemple qu’il n’ont pourtant jamais suivi.

Dialogue et consensus avec les différents mouvements politiques (droite conservatrice, centre droit ou formations de gauche) sont à la base de la politique d’Erdogan. En déclarant accepter les règles de la démocratie parlementaire et une structure laïque de l’Etat, il est parvenu à attirer dans son camp une importante partie des représentants de la société.

Croissance florissante

Mais le succès de l’AKP repose largement sur la croissance économique du pays. En quasifaillite il y a dix ans et souffrant d’une inflation importante et d’une crise financière persistante, la Turquie est aujourd’hui la seizième puissance économique mondiale. Le revenu moyen par habitant a triplé en dix ans. Les relations économiques turco-arabes ont aussi repris, alors que les liens avec l’Union européenne se renforcent. Sur les plans social et politique, plusieurs réformes importantes sont entreprises dès le premier mandat de l’AKP. Le contenu des manuels scolaires est modifié. Les cours de religion deviennent obligatoires. Des milliers d’imams occupent désormais des postes de professeurs et de directeurs d’écoles publiques ou d’universités. La police, l’armée et la magistrature — autrefois anti-ismaistes — n’ont pas échappé à cette vague d’intégration. Le port du voile, interdit depuis les années 1980, est aujourd’hui autorisé, notamment dans les universités, pour « ne priver personne de son droit à l’éducation supérieure ». Des questions qui, selon l’AKP, ne relèvent pas d’une islamisation, mais d’une démocratisation. Aujourd’hui, une réforme constitutionnelle domine l’agenda de l’AKP. Son but, entre autres, est d’instaurer d’un régime présidentiel, et de « remplacer la Constitution militaire de 1980, qui confère beaucoup de pouvoirs à l’armée au détriment du citoyen, avec plusieurs manquements en matière de libertés publiques, par une Constitution civile conforme aux normes européennes de démocratie et qui répond aux exigences de la Turquie moderne », déclare officiellement l’AKP. Mais ce projet est redouté par l’opposition, qui craint une montée de l’autoritarisme et l’islamisation de la société. Leur inquiétude est renforcée par une censure croissante imposée aux médias, la condamnation de militaires pour complot contre l’Etat et l’emprisonnement de journalistes et de militants anti-islamistes.

Un monopole des médias a été mis en place, dirigé par le gouvernement. Les réformes juridiques permettent dorénavant au gouvernement de nommer les procureurs et les juges et écartent l’armée de la vie politique. La Turquie, démocratie imparfaite, ne rejette pas le tournant vers une mouvance plus islamiste. Erdogan a reconnu qu’il briguerait la présidence de la République en 2014. La croissance économique laisse, en effet, à l’AKP la liberté de se comporter en parti unique, malgré une volonté affichée de préserver la laïcité et de promouvoir davantage de démocratie.

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