Le second tour de la première phase des élections législatives s’est achevé cette semaine dans 14 gouvernorats. La deuxième phase des élections aura lieu les 22 et 23 novembre dans les 13 gouvernorats restants. La discrimination positive en faveur des coptes, des femmes et des jeunes est l’un des avantages de ces élections. 273 candidats en tout ont réservé leurs places au sein du prochain parlement. 213 candidats indépendants étaient en lice dont 108 sont affiliés à des partis politiques. Au premier tour, la liste Pour l’amour de l’Egypte avait raflé les 60 sièges pourvus au scrutin de liste. Samedi, la Haute Commission Electorale (HCE) a annoncé les résultats définitifs du premier tour où le taux de participation moyen a été de 26,7 %

Résultats des partis à la 1re phase des législatives 2015
Les résultats de cette première phase ont été marqués par une percée notable des candidats affiliés aux nouveaux partis politiques au détriment des partis plus traditionnels comme le néo-Wafd ou le parti du Rassemblement. Le parti des Egyptiens libres, fondé par le puissant homme d’affaires Naguib Sawirès, arrive en tête de liste des partis politiques avec 41 sièges obtenus au cours de cette première phase des élections. Mais la surprise de cette première phase a été le parti Mostaqbal Watan (avenir d’une patrie), fondé par le jeune Mohamad Badrane, ancien chef de l’Union des étudiants, qui occupe la deuxième place avec 26 sièges. Des partis quasi inconnus ont fait de très bons résultats. C’est le cas notamment du Parti du peuple républicain, qui a obtenu 11 sièges.
Selon Tareq Fahmi, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, Mostaqbal Watan n’a pas l’expérience politique qui justifie sa victoire. Sa réussite s’explique par le soutien et le financement de certains hommes d’affaires, ainsi que par l’adhésion d’anciens membres du PND dissous, qui possèdent des connexions et des moyens financiers. En ce qui concerne le recul des anciens partis traditionnels, comme le néo-Wafd et le Rassemblement, il l’explique par les dissensions internes au sein de ces partis et leur réputation d’être un « décor politique » depuis l’époque de Moubarak. Une interprétation arbitraire, selon Sayed Abdel-Al, président du parti du Rassemblement, qui n’a remporté aucun siège au premier tour. « Les élections de cette année étaient une véritable course pour l’achat des voix et des candidats que notre parti n’avait. Nos dix candidats n’ont pas pu faire campagne pour expliquer leur programme et les objectifs du parti, alors que des partis sans programmes et sans vision politique ont raflé des sièges. Il est lamentable de voir l’argent triompher de cette manière aux élections. Il serait faux de prétendre que cette formation parlementaire amènera une stabilité politique. Au contraire, le prochain parlement jettera de l’ombre sur le gouvernement, qui sera incohérent et entraînera le pays vers plus d’instabilité politique », prévient Abdel-Al. Avis partagé par Ahmad Fawzi, cadre du parti l’Egyptien démocrate, qui se demande si ce parlement sera apte à instaurer un véritable régime démocratique en transformant les textes constitutionnels en lois. « Une tâche que les candidats issus du PND dissous ne pourront jamais réaliser puisqu’ils ne voient en la révolution de janvier qu’un complot. Le mode de scrutin va mener à la reproduction d’un parlement identique à celui de l’ère Moubarak. Nous serons face à un parlement incohérent et sans vision politique et même sans agenda législatif déterminé. Bref, ces élections législatives annoncent en premier lieu l’échec aussi bien du processus politique que des partis », regrette Fawzi.
Pas de poids réel

En fait, en l’absence d’une opposition issue des forces révolutionnaires et des partis de gauche, la concurrence s’est limitée aux salafistes, seuls représentants de l’islam politique, et à la droite libérale représentée notamment par le parti des Egyptiens libres. Selon Yousri Al-Azabawi, du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, les résultats de la première phase des élections ne reflètent pas le poids réel des partis sur la scène politique. « Dominées par l’argent politique, les liens familiaux et l’absence des programmes politiques, ces élections ne permettent pas d’évaluer le poids réel des partis sur la scène politique. Cette situation a été favorisée notamment par le mode de scrutin selon lequel 80 % des sièges sont pourvus au scrutin uninominal. Même les nouveaux partis politiques créés à l’issue de la révolution de 2011, comme les Egyptiens libres, ont été régis par l’argent politique. Le recul des partis traditionnels de l’époque de Moubarak, comme le néo-Wafd, le Rassemblement et le Parti nassérien est dû au fait que ces partis manquaient de financement. Bref, ni la politique ni la popularité des partis n’ont été des facteurs déterminants à ces élections », analyse Al-Azabawi. Il rejoint Tareq Fahmi dans son analyse sur l’émergence des nouveaux partis. « L’adhésion à ces partis, qui sont pour la plupart proches du régime, d’un grand nombre d’anciens membres du PND dissous a été la raison de cette victoire qui ne reflète pas le poids réel de ces partis. Plus de la moitié des candidats de ces partis étaient membres du PND. Ils sont rodés aux élections et ils se basent sur le clientélisme et les liens familiaux ou tribaux. Ces partis ont donc servi de tremplin pour les anciens membres du PND pour revenir sur la scène. Ceci au moment où les partis révolutionnaires souffrent de manque de financement et de fractures internes », explique-t-il.
Pour Hassan Nafea, politologue, ces élections incarnent en premier lieu l’absence d’un véritable pluralisme politique. « Au cours des trois décennies du parti unique sous Moubarak, les partis politiques étaient un décor. Ce pluralisme de façade n’a pas permis aux partis politiques, déjà en proie à des divisions, de développer des programmes politiques et de former des bases populaires. Même après la révolution de 2011, la création de plusieurs dizaines de partis n’a pas pu enrichir la vie politique vu l’absence jusqu’à présent d’un processus politique démocratique étant donné la faiblesse des partis », explique Nafea. Selon lui, ces élections ne déboucheront pas sur une bonne représentation des forces politiques. « Le régime démocratique ne sera jamais instauré en l’absence de partis politiques influents. L’absence de partis forts a ouvert la voie aux parasites politiques pour dominer la scène. Les partis politiques doivent tirer les leçons et chercher à se restructurer s’ils veulent redresser la barre », conseille Nafea.
Principes éclipsés
Abdel-Ghaffar Chokr, président du parti de la Coalition populaire, avoue que les partis de gauche et ceux représentant les principes de la révolution du 25 janvier se sont éclipsés, et c’est ce qui explique leur échec aux élections. « Nos partis possèdent les principes et l’idéologie, mais cela n’a pas été suffisant face à l’argent et au pouvoir. Aujourd’hui, ce sont les partis de la révolution qui sont sur la sellette, suite à une campagne de déformation orchestrée par les symboles du régime de Moubarak qui utilisent l’argent et le pouvoir pour reconquérir la vie politique. Il reste que ces élections ne sont que la première manche d’une longue bataille politique et pas seulement électorale qui déterminera l’avenir politique de l’Egypte », estime Chokr. Dans ce contexte, il trouve que les petits partis de gauche doivent chercher à fusionner en une seule entité forte pour pouvoir concurrencer les réseaux d’hommes d’affaires.
Dans l’attente de la seconde phase, les partis politiques sont à pied d’oeuvre. Le parti du Rassemblement a annoncé qu’il présenterait 16 candidats et qu’il soutiendrait les candidats du parti de la Conférence et de la Coalition populaire. Quant au parti du néo-Wafd, il a 112 candidats en lice pour le second tour. Enfin, le parti de l’Egyptien démocrate briguera le second tour avec 30 candidats. Mais selon les observateurs, le combat sur les sièges du scrutin individuel sera entre les Egyptiens libres, Mostaqbal Watan et le parti Al-Nour.
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