Après deux ans de confrontation avec l’Etat, la confrérie des Frères musulmans est sur des charbons ardents, minée par des divisions internes. Alors que la vieille garde préfère temporiser avec l’Etat, la jeune génération se radicalise et bascule dans la violence. Ces clivages au sein de la confrérie ne sont plus un secret. Les signes de radicalisation de la jeune génération se multiplient sur les réseaux sociaux. En rébellion contre la vieille garde, les jeunes se dressent contre les anciens dirigeants dont ils réclament la démission, et semblent déterminés à poursuivre la « lutte armée » contre le régime.
Ainsi, plusieurs communiqués publiés par la jeune génération sur les réseaux sociaux appellent à « se venger des soldats, des officiers et des juges » et à « écarter » la vieille garde qui « n’a pas réussi à gérer la révolution contre le régime » après la destitution du président islamiste, Mohamad Morsi, le 3 juillet 2013. D’où les appels à des actions plus « révolutionnaires ».
« Mohamad Morsi reste le président légitime. Le libérer par la force et le remettre au pouvoir est un devoir religieux », peut-on lire sur le site Hayët Al-Charia (conseil de la charia) géré par de jeunes membres de la confrérie. Ce conseil légitime l’assassinat des membres de la police et de l’armée, ainsi que des juges, des journalistes et des coptes.
Pour la première fois, des dirigeants de la confrérie ont reconnu publiquement que « des clivages existent au sein de la confrérie ». C’est le cas notamment de Gamal Héchmat, un ancien cadre des Frères en fuite en Turquie, qui a affirmé que « de nouvelles formations de jeunes ont vu le jour au sein de la confrérie, prônant la violence et appelant à cibler les forces de l’armée et de la police, ainsi que des journalistes ». Cette escalade de la part des jeunes Frères vient en riposte aux appels répétitifs des anciens cadres de la confrérie en faveur d’un apaisement. Ibrahim Mounir, récemment élu en tant que guide-adjoint de la confrérie, a appelé les jeunes à « contrôler leur colère » et à « faire valoir les intérêts de la confrérie ».
Un autre cadre, Mahmoud Ghazlan, avait déclaré en mai dernier que « le pacifisme fait partie des valeurs constantes des Frères musulmans ». Mais ces appels des anciens cadres en faveur d’un rejet de la violence ont été accueillis par un déluge de critiques par les jeunes. « Ce soi-disant pacifisme n’est que de la rhétorique creuse. Il n’a rien fait pour des centaines de jeunes qui ont été jetés dans les prisons ou tués par les balles de la police. Il n’a rien fait non plus aux dirigeants de la confrérie condamnés à des procès de masse », affirme un communiqué publié par les jeunes de la confrérie.
Quel avenir pour la confrérie ?
Pourquoi cette radicalisation des jeunes Frères, quelles seront ses conséquences, et surtout quel sera l’avenir de la confrérie ? Aujourd'hui, la plupart des cadres du groupe sont arrêtés et condamnés à de sévères peines de prison ou à la peine capitale pour « actes de terrorisme » et « espionnage ». La confrérie a de même été déclarée organisation terroriste par la justice. Tous ces facteurs ont certes affecté l’organisation du groupe et favorisé les conflits internes.
Beaucoup de jeunes cadres pensent en effet que, l’Etat ayant de toute façon décidé de déclarer la guerre à la confrérie et de traiter ses membres comme des terroristes, autant s’engager véritablement dans cette guerre. Mais la campagne sécuritaire ne peut être considérée à elle seule comme la raison de cette radicalisation. « Les coups sécuritaires ont certes servi de catalyseur à cette radicalisation, mais ils ne sont pas la raison essentielle », affirme Ahmad Ban, spécialiste des mouvements islamistes.
Selon lui, le terrain était de toute façon favorable à cette radicalisation. « Dès le départ de Morsi, les Frères ont brandi le slogan de la lutte armée même s’ils ne le déclaraient pas publiquement. Les anciens cadres du groupe ne se sont pas opposés à cette radicalisation, et je dirais même qu’ils l’ont encouragée. Ils n’ont écarté cette option que tout récemment lorsqu’ils se sont rendu compte qu’elle serait trop coûteuse ». Pour le chercheur, la confrérie est aujourd’hui prise dans l’étau entre une campagne sécuritaire sans précédent et sa jeune génération qui fait pression en vue d’une confrontation avec l’Etat. Et c’est l’avenir de la confrérie qui est aujourd’hui remis en question.
Une implosion du groupe n’est pas à exclure. « C’est la première fracture de cette ampleur au sein de la confrérie. On peut s’attendre à terme à une division de la confrérie en plusieurs camps. Il y aura ceux qui resteront au sein du groupe, et les dissidents qui chercheront à rejoindre d’autres formations islamistes. Mais le scénario le plus inquiétant c’est de voir un grand nombre de ces jeunes rejoindre les rangs de groupes terroristes comme Daech », affirme Ban.
Les récentes évolutions semblent confirmer cette analyse. Citant des sources proches de la confrérie, le quotidien Al-Shorouk avait publié récemment des informations selon lesquelles des jeunes de la confrérie auraient déjà prêté allégeance à ce groupe terroriste.
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