Vendredi, 29 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > Au quotidien >

Le changement au bout d’un clic

Dina Darwich, Lundi, 14 septembre 2015

Depuis la révolution du 25 janvier, les projets de développement se multiplient sur la toile. Passage en revue de deux initiatives originales qui soutiennent des communautés locales.

Bassita
Pour 10 000 vues sur Youtube, Bassita a obtenu 1 000 paires de lunettes pour soutenir les brodeuses du Fayoum.

Un nouveau concept d’action sociale vient de voir le jour, nouvelle technologie oblige. Il suffit d’un simple clic pour que l’utilisateur entre en jeu et contribue à un projet de développement dans les régions marginalisées d’Egypte.

Il peut ainsi tendre la main à ces femmes qui, le dos courbé, brodent à longueur de journée des nappes dans un village du Fayoum, alléger les souffrances d’un enfant atteint d’un cancer ou tout simplement lui fournir l’équipement nécessaire pour adhérer à l'un des clubs qui accueillent les enfants démunis dans le quartier de Manchiyet Nasser. Ce nouveau concept créé par la start-up Bassita s’appelle le « clickfunding ». Il soutient des causes sociales ou environnementales à travers les réseaux sociaux.

Le « clickfunding » joue un rôle d’intermédiaire entre le sponsor et l’utilisateur des réseaux sociaux afin d’aider des personnes ou des initiatives à la recherche de dons ou de financement. Le projet, qui fait partie du Web-philanthropy (philanthropie), tente de tirer profit de l’appétit pour les réseaux sociaux en mobilisant ou en incitant l’utilisateur à participer au développement de sa société.

Bassita

Nombreux sont ceux qui veulent contribuer à améliorer leur société, mais n’ont pas les moyens. Le « clickfunding » leur fournit l’opportunité de s’impliquer dans l’action sociale, gratuitement, juste en donnant quelques clics d’ordinateur. « Il faut mentionner que seuls 7 % des Egyptiens détiennent une carte de crédit, alors que le nombre d’utilisateurs des réseaux sociaux continue d’augmenter », affirme Salem Massalha, directeur du développement à Bassita et cofondateur du concept.

Les chiffres montrent que l’Egypte est en tête de liste en ce qui concerne le nombre d’utilisateurs des réseaux sociaux dans le monde arabe, s’élevant à 22 millions de personnes. Le nombre d’utilisateurs de Facebook a aussi témoigné d’une hausse considérable en 2014. 75 % de ces utilisateurs ont moins de 30 ans, affirme le rapport Competitivity and Intelligence publié en 2015.

« Parfois, je rencontre des paysans modestes venant des bourgades les plus lointaines qui me confient avoir recours à Facebook plutôt qu’au Net. Ceci reflète à quel point les Egyptiens sont impliqués dans les réseaux sociaux », explique Massalha.

Ce concept joue le rôle d’un activiste virtuel dans le domaine caritatif, culturel et environnemental. L’équipe de Bassita crée et publie des vidéos sur Youtube et Facebook mettant en relief le rôle que pourrait jouer un sponsor afin d’améliorer une situation particulière. Si le nombre de visionnages sur ces vidéos atteint une certaine limite, le sponsor doit alors faire une donation en argent ou en nature pour résoudre le problème identifié. Chaque cause a son sponsor. Dans le village de Khalta, au Fayoum, les paysannes qui travaillent dans le secteur de broderie n’ont pas d’assurance médicale. 50 % d’entre elles ont une vue faible et n’ont pas les moyens d’aller chez l’ophtalmologue ou de s’offrir une paire de lunettes. Ce qui a un impact négatif sur la qualité de la production, et donc sur la vente des produits. La situation est d’autant plus difficile : ces femmes sont souvent le seul soutien de leur famille.

« On s’est mis d’accord avec les responsables de la marque Baraka Fashion Optics pour qu’ils soutiennent cette cause. On a créé une campagne invitant les utilisateurs des réseaux sociaux à participer. Si leur nombre dépasse les 10 000, l’opticien s’engage à offrir 1 000 paires de lunettes pour aider ces femmes. Tout est bien calculé : tous les 10 visionnages sur la vidéo (un visionnage équivaut à un point) signifient donc une paire de lunettes offerte. Et pour faire gagner plus de points à la cause, l’internaute peut partager ou tweeter la vidéo : la cause obtient alors 50 points d’un coup. S’il laisse un commentaire, ce sont 100 points qui sont gagnés. Une fois le nombre de points atteint 1 000 ou 30 000 selon les causes, le sponsor verse la somme demandée », explique Alban de Ménonville, directeur général et cofondateur de Bassita. « Nous essayons de convaincre le sponsor de consacrer une partie de son budget de marketing à ces campagnes. Au lieu de louer un panneau publicitaire sur le pont du 6 Octobre, il est préférable pour lui d’utiliser cet argent pour une cause sociale qui atteindra un large public. Ainsi, on met face à face l’utilisateur et le sponsor. Ce dernier réalise des profits, notamment en termes de communication et d’image de marque, tout en servant une cause sociale. Quant à l’internaute, il contribue au succès d’une bonne action juste en cliquant », ajoute-t-il. Selon Alban, Bassita vient de franchir une nouvelle étape, celle d’accepter des causes créées ou proposées par les internautes eux-mêmes.

Ce projet novateur a reçu le prix de la fondation Ebticar Media qui récompense chaque année les 10 meilleurs projets du monde arabe. Il a aussi été sélectionné par Thinkers & Doers comme l’un des trois meilleurs projets de la région à l’Institut du monde arabe à Paris. A ses débuts, il a également reçu le prix du meilleur jeune innovateur (Young Innovators Awards) décerné par l’Association Nahdat Al-Mahroussa, pionnière dans ce domaine au Moyen-Orient.

« Il s’agit d’un modèle égyptien inspiré des dernières évolutions que vit le pays. Lors de la révolution du 25 janvier, on a vu la manière avec laquelle la foule s’est mobilisée de façon remarquable sur Facebook, ajoute Alban de Ménonville. On cherche à profiter de cette force et de cette envie de changement pour les orienter dans le domaine du développement et de l’action positive. Grâce au clickfunding, le changement est accessible à tous ».

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique