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Ihab Al-Kharrat: « Nous allons lutter, et avec nous le peuple, contre toute loi non conforme aux revendications de la révolution »

Propos recueillis par Héba Nasreddine, Lundi, 31 décembre 2012

Ihab Al-Kharrat, président de la commission des droits de l’homme au Conseil consultatif et vice-président du Parti social-démocrate, cherche à contrer les tendances hégémoniques du nouveau régime en mettant en avant la démocratie. Il estime que le Conseil consultatif n’a pas été élu pour légiférer.

Ihab Al-Kharrat
Ihab Al-Kharrat

Al-Ahram Hebdo : La nouvelle session du Conseil consultatif a commencé ses travaux. A quoi on peut s’attendre durant cette phase « exceptionnelle » ?

Ihab Al-Kharrat : Ce qui se passe sur la scène politique est bien loin de tous les critères de la démocratie. Nous, députés de cette Chambre consultative, « Al-Choura », nous nous trouvons soudainement obligés d’exercer le pouvoir législatif, en contradiction avec notre rôle essentiel, qui est consultatif, et pour lequel nous avons été élus. Je ne parle pas de notre savoir-faire en termes de législation. Pas du tout. Nous sommes pour la plupart des députés, des membres fondateurs de nos partis et nous avons ce savoirfaire politique. Mais, le problème réside dans le non-respect des principes et des limites de la mission, selon laquelle le peuple a choisi ce Conseil conformément à l’article 37 de la Déclaration constitutionnelle de mars 2011. Aujourd’hui, les attributions du Conseil changent, passant d’un conseil aux pouvoirs consultatifs spécifiques à un Parlement qui a tous les pouvoirs législatifs et de contrôle sur les institutions de l’Etat. Ceci représente, à mon avis, une atteinte à la volonté du peuple. — Mais ce nouveau rôle attribué au Conseil consultatif provient du référendum sur la Constitution …

— Il existe une grande différence entre des élections parlementaires et un référendum sur une Constitution. Dans le premier cas, le citoyen choisit une personne qui va le représenter et défendre ses droits dans l’hémicycle. Alors que dans le second cas, le citoyen a cherché dans l’ensemble à établir un système politique et économique suffisamment stable, même si cette Constitution, pour laquelle il a voté, inclut des articles qui ne lui conviennent pas. A cela s’ajoute que moins de 10 % des électeurs ont participé à l’élection du Conseil, ce qui signifie que, dès le départ, ce Conseil ne représente pas l’ensemble du peuple. La légitimité de cette Chambre parlementaire est donc en question. Sans compter que le règlement intérieur du Conseil devra être modifié pour le mettre en conformité avec son nouveau rôle.

— Il existe aussi des plaintes déposées quant à la validité des élections du Conseil consultatif …

— Oui, c’est vrai, et c’est ce qui nous met dans une position illégitime. Nous nous attendons à ce que le Conseil soit dissous, à l’instar de l’Assemblée du peuple, dont la justice a invalidé l’élection. Et nous nous retrouvons à devoir remplir non seulement notre rôle, mais aussi celui de l’Assemblée du peuple, le tout comme si rien ne s’était passé. La Constitution et avant elle l’article 5 de la déclaration constitutionnelle du 22 novembre 2012, qui protégeait le Conseil contre toute dissolution, démontrent que le nouveau régime cherche à tout prix à imposer son pouvoir et s’assurer la gestion du pays. Il craigne de ne pas obtenir la majorité aux prochaines élections législatives. C’est pourquoi il a recours à toutes les manoeuvres. Et voilà qu’il peut aujourd’hui promulguer toute loi en sa faveur grâce au Conseil au sein duquel l’opposition est minoritaire. Et même si le Conseil est invalidé sur décision de justice, les lois, elles, auront déjà été approuvées. Rien ne pourra les changer, sauf si des procès sont intentés directement contre leur validité constitutionnelle. Or; voilà que la Cour constitutionnelle va être reformée, mais on ne sait pas encore quelles en seront les nouvelles figures. L’espoir pourrait résider dans la prochaine Assemblée du peuple : elle pourrait décider, à la majorité, de réviser les lois que la Choura aura promulguées.

— Comment allez-vous aborder les prochaines séances ?

— Nous, l’opposition et les indépendants, refusons d’être des marionnettes. Face à l’hégémonie des islamistes, nous avons décidé d’unir nos rangs pour créer un front civil et fort. L’Egypte traverse une période difficile. Il n’y a pas de temps à perdre dans des désaccords. Dans ce contexte, j’estime que les prochaines séances seront ardentes et tendues, et que la confrontation avec les députés islamistes sera forte. Le problème réside dans le fait que les députés des Frères musulmans obéissent aux ordres de leur confrérie sans réfléchir. Il n’y a pas, pour eux, de sujet de désaccord. Nous sommes minoritaires, nous n’occupons qu’un maigre 12 % des 270 sièges, même après les nominations présidentielles, qui n’ont en rien permis le moindre rééquilibrage de l’Assemblée. Mais nous ne resterons pas les bras croisés. Nous allons lutter, et avec nous le peuple, contre toute tentative de faire passer des lois non conformes aux revendications de la révolution. Et si ce genre de lois passe, cela conduira inévitablement à des manifestations et à une contestation drastique et inflexible, comme au mois de décembre. J’espère que les islamistes saisiront bien la leçon : c’est le seul moyen pour que le pays dépasse les crises politiques et économiques qu’il affronte depuis 2 ans.

— On parle déjà d’une douzaine de projets de lois inscrits à l’agenda du Conseil et qui devraient être approuvés dans les semaines à venir …

— Je suis vraiment étonné de ce nombre alors que, je le répète, ce n’est pas notre rôle de faire les lois. Les seules lois que, à mon avis, nous pouvons nous autoriser à promulguer sont celles statuant sur les urgences du moment : la loi sur les élections de l’Assemblée du peuple, prévues dans 3 mois, et les lois sur les salaires et les pensions, par exemple, c’est-à-dire les lois qui débloqueront la situation des simples citoyens. A part cela, rien ne nous oblige à débattre dans l’urgence d’aucune autre loi.

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