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Une opacité qui coûte cher

Salma Hussein, Mardi, 23 juin 2015

Sans parlement, l’Egypte a connu un déficit budgétaire croissant. En revanche, rien ne garantit que les sommes dépensées aient bénéficié à ceux qui en ont le plus besoin. Analyse.

L’année fiscale 2015-2016, qui commence dans quelques jours, serait la cinquième année consécutive où le gouvernement ménage ses dépenses en l’absence d’un parlement. Première conséquence : L’absence de toute délibération sur les priorités de ces dépenses. Deuxième : Les réformes fiscales restent timides, épargnant toujours les plus riches.

Ainsi, en l’absence d’un parlement où les représentants du peuple discutent les finances publiques, ce sont les plus puissants et les mieux connectés avec le gouvernement qui parviennent à profiter des subventions généreuses tout en échappant aux impôts.

C’est ce qui se passe manifestement en Egypte depuis 2011. Lors de ses six premiers mois au pouvoir, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a promulgué 263 législations, dont 144 relatives au budget de l’Etat. Aussi a-t-il accordé au ministre des Finances des pouvoirs extraordinaires concernant l’allocation des ressources.

Depuis 2011, les dépenses publiques augmentent de plus de 10 % par an, sans refléter les priorités socioéconomiques. Les gouvernements successifs ont violé la Constitution en ce qui concerne le droit du peuple à avoir accès au budget et à le discuter dans un débat public. 2014 et 2015 sont deux années particulièrement intéressantes à cet égard. La Constitution stipule que le projet du budget doit être publié 3 mois avant le début de l’exercice fiscal (1er juillet). Or, en 2014, le budget n’a été rendu disponible (en ligne) que le 2 juillet, après son approbation par le président. Les détails des dépenses et des revenus n’ont été publiés que 3 mois après. Pour 2015, ces deux documents n’ont pas été publiés à ce jour.

Ainsi, les Egyptiens ne participent en aucune sorte aux décisions sur les réformes à entreprendre, les plans des investissements publics ou la distribution géographique de ceux-ci.

En 2014, le gouvernement avait fait une autre violation de la Constitution, relative aux dépenses publiques sur la santé et l’éducation. Selon la Constitution de 2014, les allocations à ces deux secteurs doivent faire un minimum de 3,5 % et 5 % du PIB respectivement. Des sommes qui devraient augmenter sur trois ans pour atteindre « la moyenne internationale », toujours selon la Constitution. Un engagement qui n’a pas été honoré, notamment en ce qui concerne la santé. Rien ne montre que la tendance a changé cette année.

Manque de transparence

Depuis la chute du régime de Hosni Moubarak, les différents gouvernements n’ont respecté le droit du peuple ni à l’information, ni à la participation dans le processus de l’élaboration du budget. En 2012, l’Open Budget Survey, qui classe les pays selon la transparence de leur budget, a donné à l’Egypte 13 sur 100, une note faible expliquée par l’absence du parlement. Conséquence : Les mêmes groupes d’intérêts sont parvenus à détourner les allocations de ressources publiques à leur bénéfice. C’est du moins ce qu’estime le Fonds Monétaire International (FMI).

Deux exemples illustratifs : Quand le gouvernement des Frères musulmans a décidé de couper les subventions allouées à l’énergie, il a épargné 40 usines appartenant à des puissants hommes d’affaires de l’ère Moubarak. Elles absorbaient, à elles seules, 65 % du total des subventions allouées à l’énergie. En revanche, il a choisi de couper les subventions allouées aux bonbonnes de gaz butane. Une mesure qui a touché les consommateurs défavorisés au même degré que les restaurants et les hôtels, plus grands consommateurs de bonbonnes subventionnées.

Le FMI attribue ce genre de pratiques qui privilégient les intérêts de certains lobbies au manque de démocratie. Il souligne que « la transparence ... est plus importante dans les pays en développement que dans les pays avancés ». Plusieurs études récentes montrent que certains pays en développement comme l’Afrique du Sud, le Brésil, la Corée du Sud, ou l’Indonésie sont parvenus à améliorer les services de la santé et de l’éducation en encourageant la surveillance de leurs finances publiques par le peuple et le parlement. L’Egypte illustre le cas inverse.

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