Avec les récentes victoires militaires de l’Etat Islamique (EI) en Syrie, le conflit armé qui fait rage dans ce pays depuis plus de quatre ans semble changer progressivement de visage. Sur le terrain, il existe aujourd’hui trois forces principales, celle du régime de Bachar Al-Assad, affaiblie par la longue guerre qui a provoqué la mort et la désertion de presque la moitié de ses effectifs, celle de l’EI, qui contrôle, après ses dernières avancées, la moitié du territoire syrien (est et nord-est) et celle, enfin, d’une coalition islamiste formée en mars dernier, sous le nom de Jaish Al-Fatah (armée de la conquête).
Celle-ci, qui a conquis, le 28 mars, la ville d’Idlib (nord-ouest) de l’armée syrienne, contrôle désormais une région au nord-ouest, autour du gouvernorat d’Idlib, et une autre au sud-ouest, autour de Daraa. Cette coalition comprend notamment le Front Al-Nosra, — affilié au groupe terroriste d’Al-Qaëda — qui est classé organisation terroriste par les Nations-Unies, les Etats-Unis ainsi que par l’Arabie saoudite (depuis mars 2014).
En raison de la faiblesse des forces d’opposition dites modérées, et donc du peu d’alternatives, les acteurs régionaux qui veulent le départ du régime de Damas, l’Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar, ont dû se résoudre à soutenir Jaish Al-Fatah, malgré l’existence en son sein du Front Al-Nosra, qui y joue un rôle de premier plan.
Ce changement de stratégie régionale s’est traduit par un flux d’armes et de financement qui a permis à Jaish Al-Fatah de conquérir Idlib et d’avancer également dans le sud-ouest du pays.
Conscient de cette nouvelle stratégie des puissances régionales qui lui sont hostiles, le régime d’Assad a réagi en commençant à coordonner ses opérations militaires avec l’EI, dans le but de vaincre la coalition du Jaish Al-Fatah. Damas considère que cette dernière est potentiellement la plus dangereuse, sur les moyen et long termes, puisqu’elle bénéficie du soutien financier et militaire d’acteurs régionaux importants.
De leur côté, les Etats-Unis ferment les yeux sur ce soutien régional à une coalition de djihadistes, tant qu’il contribuera à la défaite de l’EI. Ils ne peuvent soutenir publiquement une coalition qui comprend des affiliés à Al-Qaëda, leur bête noire depuis les attentats du 11 septembre 2001.
La coordination militaire Damas-EI est bien visible dans la bataille autour de la ville d’Alep (nord-ouest), où les forces loyalistes au régime syrien mènent des frappes aériennes contre les positions de Jaish Al-Fatah au profit de l’EI, qui cherche à contrôler les artères routières liant ces militants à la Turquie. L’armée syrienne a également abandonné certaines de ses positions au sud du pays à l’EI pour lui permettre de combattre, à sa place, Jaish Al-Fatah.
Malgré les risques que cette coordination comporte pour Damas, étant donné le grand danger que représente l’EI pour Bachar Al-Assad, celui-ci estime que l’EI est un moindre mal dans le sens où il est combattu par tous et est dépourvu de soutien extérieur.
En effet, les Etats-Unis dirigent une coalition internationale et régionale qui mène depuis des mois des raids aériens contre cette organisation terroriste en Syrie et en Iraq. Assad pense aussi que son régime, après une éventuelle défaite ou un affaiblissement de Jaish Al-Fatah, présentera une meilleure alternative, que celle de l’EI, pour la communauté internationale.
L’actuelle et dangereuse situation que traverse la Syrie, où le choix se fait entre le mal et le moindre mal, est finalement le fruit d’une guerre civile qui s’éternise, et dont l’une des principales conséquences est la radicalisation progressive des forces en conflit.
Avec les atrocités et les drames qui accompagnent ce conflit meurtrier, qui a fait jusqu’ici plus de 230 000 morts, 6,5 millions de déplacés et plus de 3 millions de réfugiés, la voix de la raison et de la modération se perd alors que la radicalisation et l’extrémisme, au nom de la religion, prennent le dessus. Avec tout le danger que cela comporte pour l’avenir du pays, sa cohésion sociale et son intégrité territoriale .
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