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Sinaï : Les tribus s’impliquent dans la lutte antiterrorist

Ahmed Eleiba, Mardi, 12 mai 2015

Une trentaine de tribus du Sinaï ont décidé de rejoindre les efforts de l'armée pour lutter contre le terrorisme. Une décision qui pourrait changer la donne dans la péninsule.

Sinaï : Les tribus s’impliquent dans la lutte antiterroristeEn
En rejoignant la lutte contre le terrorisme aux côtés de l'armée, les tribus cherchent surtout à venger leurs morts. (Photo:Reuters)

Abdel-basset, un jeune homme de la tribu des Tarabine, l’une des plus grandes et des plus connues du Sinaï, a été tué pour avoir refusé de diffuser un communiqué du groupe Ansar Beit Al-Maqdess (les partisans de Jérusalem) rebaptisé « Province du Sinaï ». Un meurtre susceptible de changer la donne dans la péninsule ensanglantée depuis la chute du régime des Frères musulmans le 30 juin 2013.

Jusqu’ici, les tribus sont restées neutres dans la guerre qui oppose les islamistes à l’Etat, d’un côté parce qu’elles craignent les islamistes, et d’un autre parce que l’Etat ne leur offre ni garanties sécuritaires, ni aucun autre avantage matériel. Cette neutralité était toujours de mise, même lors des événements les plus sombres, lorsque les djihadistes ont décapité une quinzaine de membres des tribus. Celles-ci n’étaient d’ailleurs pas en mesure d’identifier de qui elles devaient se venger.

Cette fois, l’homme d’affaires bédouin Ibrahim Al-Argawi a brisé le silence. Sur les réseaux sociaux, celui-ci a commenté la mort de Abdel-Basset, le « fils de sa tribu », en accusant les djihadistes. Ce qui lui a valu le dynamitage de sa maison de 5 étages. L’homme d’affaires était alors au Caire, d’où il a continué ses attaques virtuelles contre les djihadistes, gagnant le soutien de certains de ses proches. Une tendance s’est établie et s’est soldée par une déclaration commune de toutes les tribus du Sinaï, notamment celle des Tarabine, où elles promettent de faire front commun contre les djihadistes. Lors d'une réunion dimanche, une trentaine de tribus ont convenu de travailler avec les institutions de l'Etat, afin de soutenir ce dernier et les forces armées, pour faire face au terrorisme. La fédération des tribus du Sinaï a décidé de former deux groupes de jeunes volontaires. Le premier aidera les forces de sécurité à obtenir les informations nécessaires sur les suspects et leurs complices et pour contrôler les routes utilisées dans le trafic des armes. Le second groupe participera directement à la campagne militaire aux côtés des forces armées, affirme un communiqué de la fédération.

En effet, beaucoup de bédouins nourrissent un sentiment de vengeance à l’égard des islamistes qui ont tué beaucoup des leurs. Ils appellent à une « levée en masse », en vue d’un affrontement imminent avec les djihadistes qu’eux, les habitants du Sinaï et les mieux à connaître le terrain, sont les seuls à pouvoir mener à bien. Les tribus entreraient-elles en guerre au côté de l’Etat contre les djihadistes ? Abdallah Gahama, un notable des Tarabine, minimise la portée de ladite déclaration. « Les Tarabine ont toujours coopéré avec l’Etat et l’armée, on n’a pas besoin de surenchères. Finalement, ce sont les soldats qui portent les armes et c’est à l’Etat qu’il appartient de faire face aux hors-la-loi », dit Gahama.

Il n’est pas le seul à penser que ce n’est qu’une bulle fabriquée par les médias. « Cette histoire a pris plus d’importance qu’elle ne mérite », lâche Ahmad Al-Swerki, de la tribu des Sawarka, deuxième plus grande tribu du Sinaï après les Tarabine. Ahmad se demande si Al-Argawi, qui réside au Caire, ou si Al-Dalh, un autre homme d’affaires qui a transporté ses projets à Ras Sedr, plus au sud, vont retourner pour combattre les djihadistes, ou s’ils allaient plutôt mener leur guerre par procuration en recrutant les jeunes des tribus.

Initiative bien accueillie
En fait, il ne s’agit pas de la première initiative du genre. La tribu d’Al-Romaylat avait déjà annoncé en juillet dernier être en passe de former des milices pour se venger des terroristes qui ont tué plusieurs de leurs leaders. Or, l’armée avait aussitôt déclaré qu’elle ne permettrait à aucune des parties de porter les armes à sa place. Cette fois pourtant, il apparaît que la nouvelle initiative a été bien accueillie par l’Etat, ne serait-ce qu’implicitement.

Mais beaucoup de questions cherchent encore des réponses : S’agit-il d’une opération de propagande menée par une tribu proche de l’Etat avec pour objectif de détourner l’attention loin de la situation dramatique qui sévit dans la péninsule ? S’agit-il d’une manoeuvre pour donner libre cours à l’Etat pour neutraliser les groupes djihadistes, sans risque de représailles de la part des bédouins ? Sinon, qu’est-ce qui aurait pu amener les tribus à franchir ce pas ? Ont-elles réalisé que l’Etat était trop faible pour riposter et qu’il était temps de prendre les choses en main ? Force est de constater que l’annonce de l’initiative a coïncidé avec des changements à la tête de l’armée et des services de renseignements, il y a près d’un mois. Qu’en est-il des autres tribus ? Vont-elles prendre leur distance avec les djihadistes ?

L’ancien général Alaa Ezzeddine explique que cette démarche de la part des tribus s’explique par la volonté des bédouins de venger leurs morts tués par les djihadistes. « Les tribus ont jugé qu’il serait préférable de le faire en collaboration avec l’Etat, plutôt que dans le cadre d’une vendetta. Ce n’est certainement pas une initiative émanant de l’armée, celle-ci ne permettrait pas la formation de milices bédouines », estime-t-il. Et d’ajouter : « Certaines tribus sont motivées par un sentiment de patriotisme, mais la plupart ont les yeux déjà rivés sur les intérêts qu’elles peuvent tirer d’une telle collaboration, notamment sous forme de terres qui pourraient leur être accordées en guise de récompense ». Talaat Mossalam, un autre ancien général, n’exclut pas, lui, une certaine coordination, voire une alliance provisoire, entre l’armée et les bédouins lesquels « n’ont pas besoin de l’armée pour acquérir des armes ». Mossalam estime que la situation est telle que les bédouins ne peuvent plus se permettre de rester les bras croisés, face aux tirs des groupes terroristes qui visent leurs chefs, « pour eux, c’est désormais une question d’honneur et de réputation ». Et de conclure : « Les tribus peuvent donc se ranger du côté de l’Etat dans la guerre contre le terrorisme. Les bédouins sont sur le terrain, ils sont armés. L’Etat peut en profiter ».

Dans ce contexte tribal, la lutte antiterroriste serait menée sous la bannière des Tarabine. Or, il existe au moins dix autres grandes tribus dont, notamment, Al-Sawarka, également proche de l’Etat, et Al-Massaïd.

Une source des Sawarka affirme que les autres tribus ne peuvent pas « adhérer » à l’initiative des Tarabine au sens littéral du terme, étant donné qu’il s’agit de groupes très complexes, comptant de nombreuses grandes familles dont chacune a ses propres chefs et figures. Une autre source a assuré que la réunion à laquelle avaient appelé les Tarabine ne serait que l’occasion d’un échange de vues entre les tribus, « ce qui est en soi un signe de ralliement face aux groupes djihadistes, désormais en conflit ouvert avec une partie des bédouins » .

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