
L'Arabie saoudite face à l'Iran au Yémen.
(Photo : Reuters)
« Le Yémen est devenu une scène de guerre par procuration entre des forces régionales, alors que le pays connaît un acharnement autour du pouvoir et entre de nombreuses forces yéménites, quatre ans après la révolution », écrit le spécialiste des relations internationales Amr Abdel-Ati dans un rapport publié cette semaine par le Centre régional des études stratégiques RCSS.
Le conflit arabo-iranien est en effet omniprésent dans la guerre menée par l’Arabie saoudite, alliée à 8 pays arabes et le Pakistan, contre les Houthis au Yémen. C’est un tournant dans la politique étrangère du Royaume des Al Saoud qui rompt avec sa retenue d’antan. Téhéran, qui soutient les Houthis sans jamais l’admettre, plaide pour un règlement pacifique, n’ayant pas d’autres choix.
L’Iran a été obligé de pousser vers une solution politique, estiment des analystes, tout en critiquant les opérations militaires et appelant à leur arrêt. « L’Iran et l’Arabie saoudite peuvent coopérer pour résoudre la crise yéménite », a déclaré l’adjoint du ministre des Affaires étrangères iranien, Hossein Amir Abdollahian, suite aux offensives saoudiennes aériennes lancées le 30 mars, et cité par Reuters. « L’Iran recommande que toutes les parties au Yémen reviennent au calme et au dialogue », a-t-il encore dit.
Pour le moment, en effet, l’Iran n’est apparemment pas en mesure d’appuyer ses partisans sur le terrain, l’accès au Yémen étant barré, que ce soit par la voie maritime ou aérienne. « Le Yémen n’est pas la Syrie », affirme Mohamad Abbas Nagui, spécialiste des affaires iraniennes. Il explique qu’il n’existe pas d’accès au Yémen permettant à l’Iran d’aider les Houthis, contrairement à la Syrie où l’accès est plus facile. « Depuis le lancement de l’opération Tempête décisive, il est clair que Téhéran n’a d’autre solution que de faire appel au dialogue », explique de son côté Mohamad Mohsen Aboul-Nour, spécialiste des affaires iraniennes et des relations internationales. Pourtant, il estime que l’Arabie saoudite n’acceptera de solution politique que si « la légitimité constitutionnelle » est de retour, dirigée par le président yéménite Abd-Rabbo Mansour Hadi, que les Houthis soumettent leurs armes et qu’ils reconnaissent la légitimité de Hadi. « J’exclus catégoriquement que l’Iran puisse accepter ces conditions, car il perdra la carte yéménite stratégique qu’il détient depuis 25 ans », dit-il.
Un impact décisif
Ce conflit entre Téhéran et Riyad en soutien de forces yéménites opposées aura un impact décisif sur le rapport de forces entre les deux pays. Moustapha Al-Labbad, spécialiste des affaires iraniennes et directeur du Centre Al-Charq pour les études régionales et stratégiques, estime que « le bombardement aérien des positions houthies et des forces de Ali Abdallah Saleh au Yémen ne changera pas les rapports de forces sur le terrain, sauf en les menant à la table des négociations ».
La guerre, venue d’une initiative saoudienne, est menée pour deux raisons : contrarier l’avancée des Houthis qui menacent l’Arabie saoudite et le détroit stratégique de Bab Al-Mandab, et pousser vers une solution politique. « Mais il se peut que cette solution politique ne soit pas dans l’intérêt de l’Iran », dit Nagui. D’après lui, dans le cas d’un dialogue, les Houthis passeront d’une force dominante sur le terrain à une simple partie parmi d’autres dans le dialogue. Ce qui serait une perte pour l’Iran. En guise de riposte, Nagui pense que l’Iran peut « créer plus de problèmes » pour l’Arabie saoudite dans des lieux où se trouvent des communautés chiites, notamment en Syrie et à Bahreïn, renforçant un sentiment d’encerclement croissant chez les Saoudiens.
D’un mauvais oeil
Le député du Conseil islamique Al-Choura (le parlement) à Téhéran Ali Réda Zakani a déjà déclaré en septembre 2014 ; quand les Houthis avaient pris le contrôle de la capitale yéménite, que : « L’Iran contrôle maintenant 4 capitales arabes, d’abord Bagdad, puis Damas, Beyrouth et Sanaa ». L’accord-cadre conclu le 2 avril à Lausanne entre l’Iran et le groupe 5+1 devrait accroître la hantise du Royaume qui voit d’un mauvais oeil les tentatives iraniennes de s’inscrire comme force régionale. Nagui estime qu’un tel accord permet à l’Iran de se positionner sur la scène politique internationale. « Maintenant, Téhéran va non seulement dire qu’elle est importante, mais qu’elle est numéro un dans la région », dit-il. L’entente entre Téhéran et Washington donnerait à l’Iran un avantage au détriment de l’Arabie saoudite dans les zones de conflit, même si le rapport de forces aujourd’hui sur le terrain est évidemment favorable à Riyad.
Le roi Salman d’Arabie a émis l’espoir qu’un accord final sur le programme nucléaire iranien renforce la sécurité régionale au Moyen-Orient. Dans un article publié, dimanche, dans The Independant, le journaliste britannique Robert Fisk écrit : « L’Iran renaît en tant que grande nation du Moyen-Orient et l’accord-cadre pourrait un jour marquer le retour de la République islamique âgée de 36 ans au statut de superpuissance régionale, comme cela existait sous le Chah (...). L’Iran pourrait, au fil du temps, devenir le gendarme des Etats-Unis dans le Golfe ».
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