Al-Ahram Hebdo, Livres | Ragaa Al-Naqqache, Les perceptions de Mahfouz

  Président
Abdel-Fattah El Gibali
 
Rédacteur en chef
Hicham Mourad

Nos Archives

 Semaine du 29 août au 4 septembre 2012, numéro 937

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Nulle part ailleurs

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Livres

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Livres

Hommage. A l’occasion de la commémoration du décès du prix Nobel égyptien de littérature Naguib Mahfouz, le 30 août, l’Hebdo revient sur l’ouvrage du journaliste et écrivain Ragaa Al-Naqqache*, intitulé Les Fils de la médina, entre l’art et la religion

Les perceptions de Mahfouz 

« Le roman Les Fils de la médina fait appel à la science, parce que la science réalise le progrès et répand la lumière dans la vie. Pourtant, elle est capable d’être méchante et dangereuse. Raison pour laquelle elle doit être liée à la conscience ou à la foi, afin de demeurer une force capable de servir l’homme et de le défendre ». Telle est la conclusion de l’ouvrage Les Fils de la médina, entre l’art et la religion, du journaliste et écrivain défunt Ragaa Al-Naqqache, qui aborde le célèbre roman du romancier égyptien Naguib Mahfouz, Awlad haretna (les fils de la médina).

Ce roman du prix Nobel de littérature reste contesté par Al-Azhar depuis sa publication dans les pages du quotidien Al-Ahram en 1959. Sans oublier qu’il a été la cause principale de l’attentat manqué contre Mahfouz en octobre 1994. Al-Naqqache rassemble dans son livre publié par le Conseil suprême de la culture des articles pouvant constituer une étude, parus dans la presse. « Nul doute que Les Fils de la médina a été le roman arabe le plus dangereux du XXe siècle non seulement pour sa valeur artistique, mais aussi pour les idées sur lesquelles le roman était basé ainsi que pour ses personnages », annonce l’écrivain dans sa préface. Il avance que les extrémistes voulant dominer la raison arabe et lui imposer des restrictions ont essayé de trouver dans le roman ce qui prouve que Mahfouz était contre l’islam et qu’il était un mécréant. A la fin de son étude, Al-Naqqache est convaincu que la tragédie réside dans la fausse interprétation des prescriptions religieuses et le fait d’impliquer la religion dans des affaires auxquelles elle n’est pas liée. Il insiste sur le fait qu’il s’agit d’un danger menaçant notre société d’isolation du monde entier et de restriction de la raison « pour qu’elle soit une source d’obscurantisme non de lumière. Alors, nous devons tous faire face à ce malheur, avec force et conscience », déclare Al-Naqqache dans les dernières lignes de sa préface.

 

Retour au monde de l’écriture

Selon Ragaa Al-Naqqache, ce roman est d’une grande importance dans la littérature de Naguib Mahfouz. Car d’abord, ce roman a marqué le retour de Mahfouz au monde de l’écriture après une pause de cinq ans. « Lui, qui n’avait jamais arrêté d’écrire depuis sa sortie de l’Université du Caire en 1934 », comme l’avance l’auteur. Puis parce que le roman Les Fils de la médina représente la transformation complète de la littérature de Naguib Mahfouz. La source principale de l’écrivain a toujours été sociale, reposant sur les descriptions détaillées d’incidents et de personnages. « Avec ce roman, Mahfouz a commencé à écrire sur un monde spirituel plein de transparence, de poétisation, du symbolisme et de simplification, sans pour autant négliger les problèmes de la société qui occupent l’homme […], il s’agit d’une explosion littéraire et morale dans laquelle Mahfouz s’intéresse aux troubles psychologiques et spirituels causés par les circonstances sociales et intellectuelles difficiles », explique Al-Naqqache, qui voit que dans cette nouvelle tendance, Mahfouz est allé jusqu’à obtenir le prix Nobel de littérature en 1988. La 3e importance de ce roman est qu’il a été la cause de l'attentat manqué contre Mahfouz. Al-Naqqache se pose une question à cet égard : pourquoi la question de ce roman a été suscitée dans les années 1980 et 90 alors qu’il avait été publié à la fin des années 1950 ?

 

Deux sociétés de l’Egypte moderne

La réponse, selon Al-Naqqache, réside dans la différence entre les deux sociétés de l’Egypte moderne. A savoir la société de Nasser et celle de Sadate. Dans la première, « bien que les opinions soient différentes, l’Etat y paraissait comme un Etat fort et il était impossible de composer des groupes extrémistes, ni de droite, ni de gauche, ni politique, ni religieux. Ces groupes n’existaient même pas », selon Al-Naqqache. Quant à la société de Sadate, c’était tout à fait le contraire. Selon l’auteur, Sadate lui-même a effectivement participé à créer une société incohérente. « Sadate était hostile à toutes les idées gauchistes, dont les idées nassériennes, et il détestait l’arabisme qui liait le destin de l’Egypte à celui de la nation arabe. Il craignait, en fait, toutes ces tendances et pensait qu’il devait les déraciner. La solution, de son point de vue, était de faire revivre la tendance religieuse extrémiste violente. Il pensait pouvoir contrôler cette tendance religieuse. Mais le destin en a décidé autrement. L’assassinat  de Sadate a été revendiqué par cette tendance ». Al-Naqqache en déduit alors qu’une tentative d’assassiner Mahfouz n’aurait pu être commise dans une société comme celle de Nasser.

Face aux critiques selon lesquelles le roman s’inscrivait contre la religion, Mahfouz a insisté en vain pour obtenir une autorisation d’Al-Azhar, afin de publier le roman en Egypte.

Al-Naqqache a rassemblé dans son ouvrage les témoignages de quelques islamistes renommés qui refusaient l’accusation contre Mahfouz. « Celui qui reconnaît Dieu dans le personnage d’Al-Gabalawi du roman Les Fils de la médina doit demander pardon à Dieu et doit revoir la science de l’unicité », a défendu l’écrivain islamiste Mohamad Galal Kéchk. L’auteur n’a pas hésité à indiquer qu’un grand religieux comme le cheikh Al-Ghazali était contre ce roman, même après l’attentat contre Mahfouz. L’auteur avance qu’il ne faut pas lire la littérature d’une lecture religieuse, car les ouvrages littéraires possèdent l’imagination. « Si nous interprétons religieusement tout texte littéraire, nous renoncerons à une bonne partie des grands ouvrages connus de l’humanité », affirme Al-Naqqache. Ce dernier estime que Naguib Mahfouz a voulu prouver par son roman Les Fils de la médina la théorie selon laquelle la foi en Allah et la science donnent l’islam. Il clôt son ouvrage par cette citation de Mahfouz : « Je possède au fond de mon cœur et de mon âme une foi que ni mes études de philosophie, ni ma préoccupation continuelle par les soucis de l’homme et de la société n’ont pu déraciner ».

Rasha Hanafy

* Ragaa Al-Naqqache, Awlad haretna, bayn al-fan wal-dine  (les fils de la médina, entre l’art et la religion),éditions du Conseil suprême de la culture, 2011

3 questions à
Hussein Mahmoud,
 professeur de littérature italienne à l’Université de Hélouan, qui a récemment reçu le prix Flaiano pour son livre Mahfouz en Italie

 

« Toute la littérature arabe doit être reconnaissante à Naguib Mahfouz »

Al-Ahram Hebdo : Vous dites dans votre livre que la littérature arabe dans son ensemble doit être reconnaissante à Naguib Mahfouz. Pourquoi ?

Dr Hussein Mahmoud : Le titre du livre c’est Mahfouz en Italie … celui à qui on doit une reconnaissance. En fait, toute la littérature arabe lui est certainement reconnaissante. Pourquoi ? Car avant l’obtention du prix Nobel par Naguib Mahfouz en 1988 et la traduction de son œuvre, on pouvait compter le nombre d’ouvrages d’écrivains arabes traduits en italien sur les doigts d’une seule main, comme Al-Ayam (le livre des jours) de Taha Hussein et quelques textes de Tewfiq Al-Hakim, ou encore Miramar et Awlad haretna (les fils de la médina) de Mahfouz lui-même. Pas plus que cela. Mais après, la donne a complètement changé. Ce prix a éveillé l’intérêt des maisons d’édition italiennes pour la traduction du roman égyptien en particulier, et arabe en général. Ainsi, des centaines d’ouvrages arabes ont été traduits en italien, et le lecteur italien a commencé à s’intéresser non seulement à l’œuvre de Naguib Mahfouz, mais plus largement à la littérature arabe dans son ensemble. Il a ouvert la porte à la littérature arabe pour être lue et reconnue en Europe. Et c’est là la faveur rendue par la présence « mahfouzienne » en Italie à la culture arabe.

 Quel est le rôle joué par les orientalistes et les traducteurs italiens pour présenter l’œuvre de Mahfouz en Italie ?

— Leur rôle était, en fait, négatif avant l’obtention du prix Nobel par Naguib Mahfouz. Ils transmettaient à l’opinion publique italienne l’idée selon laquelle la littérature arabe ne connaît pas de grands écrivains du calibre de Tolstoï, par exemple, qui peuvent être traduits en langues européennes. Or, cette vision a été complètement réfutée après 1988. Et il faut signaler que ce ne sont pas uniquement les grands orientalistes qui ont changé leur avis vis-à-vis de la production arabe, mais une nouvelle génération d’orientalistes italiens a vu le jour, accordant un intérêt à la littérature de Mahfouz et à celle du monde arabe, et les présentant avec une vision plus positive qu’auparavant. Et c’est pourquoi je répète qu’on doit reconnaître le rôle joué par l’auteur de La Trilogie, qui a changé le regard de l’Europe à l’égard de la littérature arabe.

— Mahfouz a réussi à introduire la littérature arabe au lecteur européen. Selon vous, comment cette voie qu’il a frayée a-t-elle été poursuivie par ceux qui sont venus après lui ?

— Permettez-moi de vous dire que je condamne tous les régimes arabes car ils ne déploient aucun effort pour répandre la culture arabe dans le monde. Et si Naguib Mahfouz a accompli son rôle, les autres ont failli à leur tâche. Il a réussi à mettre fin à l’état d’ignorance à l’égard de la production littéraire arabe, grâce à sa conquête de la scène européenne. Malheureusement, ces régimes n’ont pas profité de ces portes ouvertes par Mahfouz en Europe devant la littérature arabe.

Propos recueillis par Dira Maurice

 

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Howaïda Salah -Thérèse Joseph
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.