Polémique .
Un
critique objectif peut-il reconnaître le poids d’une œuvre
sans nécessairement être fasciné par elle ? La question est
au cœur du débat déclenché voilà trois semaines sur les
pages culturelles des journaux.
Toucher
aux icônes
Cela a
commencé lorsque la poétesse et critique palestinienne Salma
Al-Khadraa Al-Jayyoussi a donné un entretien exclusif au
journal Oman et a dit : « Je ne considère pas Mahfouz comme
un écrivain qui me donne du plaisir. Il n’est pas un grand
romancier, bien qu’il ait fondé les bases du roman arabe ».
Al-Khadraa a affirmé qu’elle préférait à Mahfouz le
Libano-français Amin Maalouf.
Le fait
d’oser toucher au Nobel égyptien, à l’icône de la
littérature arabe, même s’il est question de l’avis
personnel d’une critique renommée, a soulevé écrivains,
journalistes et intellectuels de tous bords. Ils reprochent
à Jayyoussi d’avoir prétendu que, sans elle, Mahfouz
n’aurait pas obtenu le prix Nobel. Or, Jayyoussi dément ces
propos. Dans une lettre adressée à Gamil Matar, conseiller
de rédaction du quotidien Al-Shorouk, Salma Al-Khadraa
explique en détail la vérité de l’histoire et répond aux
citations, selon elle, tronquées qui lui ont été attribuées
et aux exagérations qui ont suivi son fameux entretien. Elle
soutient que ses propos ont été sortis de leur contexte.
Elle qualifie d’allégorique la phrase qui a été rapportée en
son nom et qui concerne son rôle dans l’attribution du Nobel
à Mahfouz . « Si Naguib Mahfouz était vivant, il aurait ri
avec moi sur ce qu’on dit maintenant », rétorque la critique
palestinienne.
Dans sa
lettre, elle raconte qu’elle avait répondu en 1985 à un
appel du porte-parole du prix Nobel d’écrire un rapport sur
la poésie arabe contemporaine. Voulant donner une idée sur
la prose arabe, elle a déposé une étude sur quatre poètes et
le romancier Naguib Mahfouz. « Une fois le Nobel annoncé,
j’ai été invitée à la cérémonie, et mon amie l’épouse de
l’ambassadeur d’Allemagne en Suède, m’a dit qu’Andreas
Rydberg, porte-parole du Nobel, a dit aux deux filles de
Mahfouz et à l’écrivain et dramaturge Mohamed Salmawy (qui a
lu la lettre de Mahfouz à la cérémonie), que 60 % du succès
de Mahfouz me revenait », se rappelle Salma Al-Khadraa. Et
d’ajouter que c’est ce qui explique pourquoi on l’a invitée
à la cérémonie à laquelle on n’invite traditionnellement que
la famille du lauréat.
La
mystification de Mahfouz dans la presse culturelle a fait
que bon nombre d’écrivains ont mal reçu les propos de
Jayyoussi à tel point d’omettre le bien-fondé de son
discours. Ainsi on a rapporté que la critique palestinienne
a souligné l’absence d’un membre du jury connu pour être
contre le Nobel égyptien, alors hospitalisé. Ceci afin de
prouver qu’Al-Jayyoussi trouvait que seul le hasard était
derrière l’attribution du prix à Mahfouz. Alors que la
vérité qu’elle a mentionnée dans sa lettre est qu’un proche
du comité de Nobel lui avait montré du doigt un membre du
jury du Nobel, sur une chaise roulante, et l’a désigné comme
étant une des figures anti-Arabes, et que sa présence aurait
influencé négativement le cours de la nomination. « Cela ne
veut pas dire, affirme Al-Jayyoussi, que Mahfouz a reçu le
prix par hasard comme certains l’ont interprété, mais plutôt
que nous sommes, culture et société, dans une bataille
acharnée contre ceux qui veulent nous affaiblir, nous isoler
et dénier nos capacités ». Les principes de la critique
artistique et littéraire donnent l’opportunité, de tout
temps, de remettre en cause l’œuvre. Et ceci en plus de la
possibilité d’exprimer le goût personnel qui peut être en
contradiction avec l’objectivité de la critique.
Dina
Kabil