Constitution . Le débat fait encore rage autour de la formation de l’assemblée
constituante qui sera chargée de la rédaction de la nouvelle Constitution.
Islamistes et libéraux se disputent les critères de sa formation.
Une question de choix
Devra-t-elle être représentative
de toutes les tranches de la société ou de l’échiquier politique tel que le
reflète le Parlement ? Le débat concerne l’assemblée constituante qui aura pour
mission la rédaction de la Constitution. En vertu de la Déclaration constitutionnelle,
approuvée il y a un an par un référendum, ce sont les deux Chambres du
Parlement qui ont le droit de choisir les 100 membres de cette instance.
Une commission parlementaire,
désignée de recueillir les propositions concernant les normes de sélection de
ces membres, a reçu plus de 300 propositions de la part de partis politiques,
de personnalités publiques et de députés. Cette commission s’emploie
actuellement à trier ces propositions avant de les soumettre à la réunion mixte
des deux Chambres du Parlement, prévue le 17 mars. Une deuxième réunion
destinée à adopter les critères de sélection est prévue le 24 mars. Selon le
président de l’Assemblée du peuple, Saad Al-Katatni, la plupart des
propositions reçues favorisent une assemblée formée de membres du Parlement et
de personnalités politiques et syndicales.
Les islamistes, qui dominent les
deux Chambres du Parlement, préfèrent naturellement une assemblée constituante
majoritairement formée de députés, une manière de garantir leur domination sur
le texte final de la nouvelle Constitution. Ainsi les Frères musulmans
proposent une assemblée formée de 40 députés et de 60 autres personnalités
choisies dans les syndicats (qu’ils dominent) et les autres composantes de la
société. Les salafistes, deuxième force politique avec environ le quart des
sièges au Parlement, veulent 60 députés, lesquels seront choisis en proportion
avec le poids des partis au Parlement.
Le choix est inversé chez les
députés libéraux : minoritaires dans le Parlement, ils préfèrent réduire à 20
le nombre des élus à l’assemblée contre 80 membres choisis parmi les juristes
et les magistrats, les syndicalistes et les activistes de la société civile.
Selon Saad Al-Katatni, les
propositions reçues tournent autour de trois formules : celles qui penchent en
faveur d’une assemblée exclusivement formée de parlementaires, celles qui
excluent les parlementaires et celles qui favorisent une assemblée formée à la
fois de députés, de spécialistes et d’autres personnalités publiques.
Ceux qui rejettent catégoriquement
la participation des députés à l’assemblée constituante trouvent paradoxal le
fait que le pouvoir législatif participe à la rédaction d’une Constitution
censée réglementer son travail. Les adeptes d’une assemblée formée uniquement
de députés avancent que les députés élus sont représentatifs de la société dont
ils sont issus et représentent l’éventail de spécialités nécessaires pour une
telle entreprise.
La magistrate Tahani Al-Guébali,
vice-présidente de la Haute cour constitutionnelle, préfère se référer aux
normes internationales « qui existent déjà » pour la formation de l’assemblée
constituante.
Elle insiste sur le fait que cette
instance soit représentative de tous les courants politiques et idéologiques
ainsi que des différentes classes sociales. « Pour garantir leur neutralité,
les membres ne doivent pas occuper une fonction législative ou exécutive. Ce
sera un précédent si le Parlement rédige la Constitution », proteste-t-elle.
Mme Guébali considère que cette
querelle est due à l’ambiguïté de l’article 60 de la Déclaration
constitutionnelle sur la composition de l’assemblée constituante et c’est
pourquoi il faut se référer aux critères internationaux.
Un point de vue qu’appuie le
juriste Sarwat Badawi qui affirme qu’aucun Parlement au monde ne contribue à la
rédaction de la Constitution. « C’est la Constitution qui crée le Parlement et
pas le contraire. Il s’agit d’un principe juridique fondamental »,
insiste-t-il. « Déjà la Déclaration constitutionnelle a été maladroite quand elle
a accordé aux députés le choix des membres de l’assemblée constituante parce
qu’en règle générale les membres d’une telle instance sont eux-mêmes élus »,
ajoute-t-il.
Un débat futile, selon les islamistes
Des arguments qui ne tiennent pas
debout selon les islamistes qui soulignent le caractère sacro-saint de la
Déclaration constitutionnelle. « L’article de la Déclaration constitutionnelle
concernant le choix des membres de la constituante est très clair et ne laisse
aucune place à de telles polémiques. Celles-ci sont le travail de ceux qui
veulent perturber l’opinion publique. Cet article donne le droit aux députés
élus de choisir les membres de cette assemblée, et a été assez souple pour
permettre une formule consensuelle sur les critères du choix de ces membres »,
indique Sobhi Saleh, du Parti Liberté et Justice (PLJ) des Frères musulmans et
deuxième responsable de la commission législative de l’Assemblée du peuple.
« Ce débat stérile vise à
contourner la Déclaration constitutionnelle et la volonté du peuple. Les gens
savaient que le Parlement serait chargé de la rédaction de la future
Constitution », affirme, de son côté, le député Mamdouh Ismaïl, de la Gamaa
islamiya. Il critique l’attitude trop conciliante, selon lui, des Frères et des
salafistes. « Je demande au Parti Liberté et Justice et à celui d’Al-Nour, de
quelle représentativité ils parlent, ce terme n’a été guère mentionné dans la
Déclaration constitutionnelle », s’insurge Ismaïl.
L’article 60 de la Déclaration
constitutionnelle, attribuant aux députés élus du Parlement le droit à la
formation de l’assemblée constituante, demeure donc une pomme de discorde. Si
les islamistes tiennent à respecter la légitimité de cette déclaration approuvée
à une majorité de 72 % lors du référendum, les libéraux remettent en doute la
constitutionnalité de l’article en question et ne trouvent pas logique que
n’importe quelle majorité s’empare de la rédaction de la Constitution.
Mais outre la question de la
représentativité, se pose une autre relative au droit des députés de se
proposer eux-mêmes comme membres de la future assemblée constituante. Un point
que la Déclaration constitutionnelle n’a pas éclairci et que devra bientôt
trancher la Haute cour constitutionnelle. « Si la Cour ne se prononce pas, je
vois adéquat d’adopter la solution consensuelle, celle de choisir les membres
de l’assemblée constituante aussi bien parmi les députés que parmi les
personnalités politiques en dehors du Parlement. Cela pourra rapprocher les
points de vue des deux camps et aboutir à l’objectif principal d’avoir une
assemblée représentative de tous les courants », estime Hassan Al-Séhri, député
au Conseil consultatif.
May Al-Maghrabi