Or .
Un comité parlementaire appelle le gouvernement à renégocier
le contrat d’exploitation de la mine d’or de Sukari par la
société australienne Centamin. L’entreprise est accusée de
connivence avec l’ancien régime, ce qui lui aurait permis de
négocier un accord défavorable pour l’Egypte.
La
mine qui dérange
La
commission de l’industrie et de l’énergie auprès de
l’Assemblée du peuple, chargé de l’affaire de la mine d’or
de Sukari, vient de remettre son rapport sur le sujet. Les
parlementaires y recommandent la révision et la modification
des articles des conventions d’exploration d’or des 9
sociétés étrangères présentes sur le site qui œuvrent sous
la tutelle de l’entreprise australienne Centamin LPC. « Le
problème autour des conditions d’exploitation de la mine
d’or de Sukari par l’entreprise australienne Centamin LPC a
été révélé au Conseil ces dernières semaines. De multiples
plaintes pour corruption ont été déposées et cela imposait
une enquête de la part du comité », a confié le chef de la
commission parlementaire, Abdel-Aziz Negueda, à l’Hebdo.
Un
comité, composé de 22 membres de l’Assemblée du peuple,
s’est donc rendu la semaine dernière à la montagne Sukari
afin d’étudier sur place le problème et élaborer un rapport
détaillé de la situation. Une des premières préoccupations
était de calculer précisément les quantités d’or extraites
de la mine. L’étude du fonctionnement de la mine a ainsi
révélé des conditions d’exploitation qui lèsent largement la
partie égyptienne. « L’accord de partenariat entre l’Egypte
et l’entreprise australienne renferme des articles qui
désavantagent le pays, l’empêchant de tirer pleinement
profit de ses richesses minières », estime le comité dans
son rapport. Une remarque qu’il ne faut pas prendre à la
légère, puisque selon un membre du comité : « La mine Sukari
renferme de grandes réserves d’or, peut-être parmi les plus
élevées au monde. Elle se situe à la 3e place de la
production mondiale. N’est-ce pas une fortune à protéger ?
».
Ainsi,
selon l’accord d’exploitation signé en 2009, le partenaire
étranger détient la concession pour 30 ans, avec 70 % des
profits. L’Egypte prend, quant à elle, en charge les
équipements importés et fournit le carburant de
fonctionnement à un prix subventionné pour la fusion et
l’articulation de l’or. Le Caire est censé recevoir sa part
des profits uniquement après que Centamin eut couvert
l’ensemble des investissements qu’elle a injectés dans la
mine. Mais le ministre du Pétrole, Abdallah Ghorab, se veut
rassurant quant à cette dernière condition. Il a confié à
l’Hebdo que le gouvernement égyptien devrait recevoir sa
part des revenus de la mine de Sukari au début de cette
année, arguant que « la hausse record des prix d’or a réduit
la période précisée par l’entreprise étrangère pour couvrir
ses dépenses ». Selon lui, 3 organismes gouvernementaux
supervisent les comptes de l’entreprise, ce qui assure une
transparence complète.
Certains
s’inquiètent cependant de voir que les termes de l’accord
sont clairement en défaveur de l’Egypte. « Quelle injustice
! L’ancien régime a excellé dans le gaspillage des richesses
de l’Egypte pour des intérêts personnels », s’emporte Hamdi
Al-Fakharani, membre de l’Assemblée du peuple, et intenteur
du procès contre l’entreprise étrangère. Selon lui, il ne
s’agit pas d’annuler l’accord, mais de le modifier, afin que
l’Egypte profite d’un maximum de ses richesses. « Pourquoi
l’entreprise continuerait-elle à récupérer 49 % des profits,
après avoir payé les taxes ? », ajoute-t-il.
Centamin
Egypt a commencé ses travaux d’exploration de la mine de
Sukari, située à 700 km du Caire, en 2009, et la production
commerciale a commencé le premier avril 2010. La mine est
pour l’instant l’unique activité minière de l’entreprise et
elle fournit l’intégralité de ses revenus, qui sont
considérables. Ainsi, au quatrième trimestre de 2011, les
profits s’élevaient à 37,5 millions de dollars, soit une
croissance de 10 % par rapport à l’année précédente, et ils
atteignaient sur l’ensemble de l’année quelque 1,2 milliard
de dollars.
L’entreprise est ainsi soupçonnée dans cette affaire de
détourner la production d’or en faveur de personnalités de
l’ancien régime, mais elle se réfugie derrière le manque de
preuves pour étayer ces accusations. Le comité de
l’Assemblée du peuple a, de son côté, constaté quelques
lacunes dans le système de surveillance et préconisé que la
prise en charge de la surveillance des quantités d’or
produites soit confiée à un spécialiste et non à un simple
fonctionnaire, comme c’est le cas aujourd’hui.
Car si
les activités de Centamin sont légales, le contrat et les
conditions dans lesquelles il a été négocié ainsi que la
relation étroite de l’entreprise avec l’ancien régime
laissent en revanche planer le doute quant à la transparence
entourant l’accord. Ainsi, il a été conclu par l’ancien
ministre du Pétrole, Sameh Fahmi, sans appel d’offres. Le
projet devait d’ailleurs commencer dans les années 1990 mais
le ministre de l’Industrie, Ali Al-Saidi, a refusé de céder
les droits d’exploitation à l’entreprise australienne. « Je
voulais négocier un appel d’offres transparent, mais je n’ai
pas eu le temps. J’ai quitté mon poste lors d’un remaniement
ministériel », a-t-il affirmé à l’Hebdo, refusant de donner
davantage de précisions.
Centamin
sur ses gardes
De leur
côté, les responsables de l’entreprise australienne sont
bien conscients de la suspicion populaire qui entoure tout
projet négocié sous le régime de Moubarak. Si le
gouvernement actuel ne semble pas vouloir aller jusqu’à
retirer les licences d’exploitation, Centamin s’inquiète sur
l’avenir de ses investissements dans le pays. Prévoyant un
mouvement hostile à son égard, l’entreprise a d’ailleurs
annoncé, fin 2011, la modification de la structure
corporative de Centamin Egypt et de ses filiales, proposant
le transfert des activités égyptiennes à Jersey, où une
nouvelle société a été créée qui devrait servir de holding
pour le groupe. Les actions de l’entreprise seraient alors
cotées en Bourse à Toronto, au Canada ou à Londres et cela
permettrait à Centamin d’échapper à toute poursuite
judiciaire concernant de possibles malversations lors de la
négociation des contrats d’exploitation de la mine de Sukari.
« Le
gouvernement populaire anti-Moubarak cherche à s’affirmer en
adoptant une ligne dure avec les sociétés liées de près ou
de loin avec l’ancien régime », explique Youssef Al-Raghi,
président de l’entreprise Centamin Egypt. Et d’ajouter que
cette campagne visant à discréditer l’entreprise a influencé
de manière négative la performance de l’entreprise et son
action. De brefs sit-in ont en effet été organisés par les
travailleurs au cours du mois dernier, forçant l’entreprise
à suspendre ses travaux. Des ouvriers ont également pris
pour cible 17 experts étrangers employés au sein de
l’entreprise, les forçant à démissionner. Centamin a depuis
repris ses activités tout en demandant une protection au
Conseil militaire. L’administration a également accordé une
hausse des salaires aux employés afin de calmer le jeu, mais
les temporaires, qui exigeaient d’être embauchés, n’ont pas
réussi à faire aboutir leurs demandes.
Des
mesures pour faire bonne figure devant les employés, mais
aussi l’opinion publique égyptienne, puisque lors d’une
conférence de presse la semaine dernière, Youssef Al-Raghi a
nié toute relation entre son entreprise et les membres de la
famille de l’ancien président Hosni Moubarak. Une
déclaration que l’Assemblée du peuple aimerait bien vérifier
afin de mettre en lumière les tenants et les aboutissants
d’un dossier vital pour l’économie égyptienne.
Névine Kamel