Parité .
Les femmes ont joué un rôle actif pendant la révolution du
25 janvier. Des voix s’élèvent pour demander plus d’égalité
avec les hommes, mais jusqu’à présent, les changements se
font attendre.La lutte continue.
Les Egyptiennes aussi font leur révolution
Au
début, ses parents avaient peur et ont essayé de l’empêcher
de participer aux manifestations. Elle-même savait qu’elle
allait affronter les agents de police et connaissait leurs
moyens pour effrayer les manifestants, surtout les filles. «
Mais si moi et les autres ne réagissons pas, rien ne va
changer pour nous et on sera obligés d’accepter le fait
accompli. J’ai décidé d’aller manifester le 25 janvier pour
dire non à la corruption, non à l’injustice », indique Asmaa
Mahfouz. Elle avait lancé un appel — à travers une vidéo
diffusée sur YouTube — le 18 janvier pour inciter les jeunes
à descendre dans la rue le 25 et protester contre
l’injustice, la corruption et la répression. En lançant son
appel, cette universitaire ne savait pas que son action
allait provoquer l’étincelle de la révolution égyptienne. Le
visage d’Asmaa était présent parmi des milliers de femmes
qui ont occupé la place Tahrir, côte à côte avec les hommes,
pour réclamer un changement.
Etudiantes ou mères de famille, têtes nues ou voilées, les
Egyptiennes étaient présentes depuis le premier jour de la
révolution. Elles étaient là, brandissant leurs pancartes,
appelant à la chute du régime, très présentes aussi aux
points de contrôle des différents accès à la place pour
vérifier l’identité des manifestants ou distribuer de la
nourriture ou des médicaments aux révolutionnaires. Les
militantes se sont organisées en brigade pour nettoyer la
place, elles ont envoyé des messages sur leurs portables
pour transmettre des informations et défendre la révolution
en direct sur les écrans de télévision. Elles ont gardé les
maisons et les enfants pendant que les hommes passaient
leurs nuits dans la rue pour protéger leur quartier. Elles
étaient en première ligne pour faire face à la fureur des
policiers. Elles ont été blessées et beaucoup ont perdu la
vie.
Quelques années avant la révolution, elles se préparaient
déjà au changement à travers leurs activités sur Facebook.
Israa Abdel-Fattah, membre du groupe du 6 Avril, a appelé à
la mobilisation depuis 2008 en organisant des campagnes de
sensibilisation sur les droits politiques. Il y a aussi
l’exemple de la fameuse blogueuse Nawwara Negm, qui a ouvert
des moyens de communication et d’échange de points de vue à
travers son blog. « Les femmes ont manifesté aux côtés des
hommes et ont appelé, comme eux, à plus de justice,
d’égalité et de démocratie », a déclaré aux médias Nawal Al-Saadawi,
écrivaine et féministe.
Prendre la parole
La presse commence juste à parler d’elles pourtant. Leurs
histoires circulent sur les réseaux sociaux et des milliers
d’internautes ont commencé à leur rendre hommage. Une
situation qui a donné l’espoir aux femmes de pouvoir, un
jour, être égales aux hommes en ce qui concerne leurs
droits. Mais il semble que d’un jour à l’autre, l’évolution
de la condition de la femme fait marche arrière. « Nous nous
attendions à voir un vrai changement sur les conditions des
femmes. Notre participation à la révolution a été très bien
accueillie, mais beaucoup semblent l’avoir oubliée, car tout
ce qui se passe aujourd’hui va dans le sens inverse »,
confie Fardos Bahnassi, féministe et activiste dans le
domaine des droits de l’homme. Pour elle, le 8 mars (Journée
mondiale de la femme) a prouvé que la femme allait rester
comme un acteur à qui l’on fait appel pour jouer un rôle, et
une fois sa mission terminée, elle s’en va. Ce jour-là,
raconte Bahnassi, des femmes ont organisé une manifestation
pour rappeler leurs droits à l’aube de cette nouvelle ère.
Mais elles ont été malmenées, insultées et harcelées. « Nous
étions offusquées. On ne savait pas si on devait accuser les
hommes de l’ancien régime qui veulent faire avorter la
révolution ou les islamistes qui désirent que les femmes
restent à la maison », dit-elle en affirmant que, lors de la
révolution, aucun cas d’harcèlement ou de violence n’a été
constaté alors que les femmes passaient des journées
entières dans la rue à manifester.
Alors pourquoi, lorsqu’on parle des droits des femmes,
a-t-on recours à ces moyens d’intimidation et d’humiliation
? Elles sont sorties pour défiler dans les rues afin de
réclamer les mêmes droits que chaque citoyen, à savoir la
liberté et l’égalité. « On pensait enfin mettre en
application ces slogans qui concernent aussi la femme.
Celle-ci attend depuis longtemps d’être traitée comme un
citoyen normal et non pas comme une citoyenne de deuxième
classe », affirme Hala Sobhi, décoriste qui a participé dès
le premier jour aux manifestations. Elle criait comme tous
les autres pour réclamer la liberté et la dignité. Ce que
souhaite cette mère de famille de 45 ans c’est qu’à l’aube
de cette nouvelle ère, le discours politique et social
change et pense aux droits des femmes. Hala estime que les
féministes et les activistes doivent travailler davantage
sur terrain. « Celles qui entendent parler de lutte pour les
droits des femmes depuis plus de cent ans ne voient aucun
progrès. Et le peu de droits acquis par les femmes sert de
façade aux services gouvernementaux pour recevoir plus de
dons des organismes internationaux », avance-t-elle.
Samia Fathi, femme au foyer, est venue exprès du Canada où
elle réside avec son mari pour vivre ces moments de
changement qui ont lieu dans son pays. Elle affirme que
l’Histoire se répète. Les femmes sont toujours écartées
quand l’heure de la réforme et de la liberté sonne. Amal
Abdel-Rahmane, directrice de l’organisation Al-Maraa al-guédida
(la nouvelle femme), se demande pourquoi le comité
constitutionnel a commencé son travail en écartant les
femmes juristes. D’après elle, cette manière d’agir suscite
des craintes quant à l’avenir de l’Egypte et pose de manière
critique la question des objectifs principaux de la
révolution énoncés en termes d’égalité, liberté, démocratie
et participation des citoyens et des citoyennes.
L’égalité se demande
«
Les femmes n’accéderont à l’égalité que si elles participent
activement à toutes les négociations et décisions
accompagnant cette phase de transition », dit Bahnassi. Les
femmes que l’on voyait à la tête des foules de manifestants
et qui brandissaient des slogans souhaitaient pourtant
profondément réaliser ces objectifs et peut-être même plus
que les hommes. Car celles-ci, comme l’affirme Bahnassi,
continuent à être toujours plus nombreuses à vivre dans la
pauvreté et l’analphabétisme. Elles gagnent très peu
d’argent pour des besognes éreintantes et subviennent aux
besoins de familles entières. Par ailleurs, elles subissent
les effets de lois discriminatoires et d’inégalités fondées
sur le genre.
Selon le Forum économique international, sur 134 pays,
l’Egypte occupe la 125e place en ce qui concerne l’égalité
entre hommes et femmes. Cela est dû au nombre limité de
femmes actives et au taux élevé d’analphabétisme qui
représente 42 % chez les femmes. Il n’y a eu que 8 députés
femmes sur les 454 sièges du Parlement pour l’année 2010.
Ces femmes, comme Hoda Chaarawi, qui a manifesté en 1919, et
Asmaa Mahfouz en 2011 doivent encore lutter pour acquérir
leurs droits et se frayer une place parmi les hommes. « On
va commencer par demander une vraie représentation au
Parlement et dans les partis politiques. Dans une vraie
démocratie, on ne doit pas choisir ses députés selon leur
confession religieuse, leur sexe ou leur origine », affirme
Abdel-Hadi, en ajoutant qu’il faut lutter contre l’idée
d’une société patriarcale qui traite les femmes, les coptes
et les jeunes comme des minorités marginalisées.
Mais ces droits seront-ils un jour reconnus et respectés
rigoureusement ? Ou, comme le craint Abdel-Hadi, vont-ils
régresser comme on l’a constaté dans d’autres pays ?
Abdel-Hadi se rappelle l’exemple algérien, où les femmes ont
offert leur vie pour faire réussir leur révolution. Mais
aujourd’hui, selon elle, la femme algérienne est revenue en
arrière. Un scénario qu’elle n’espère pas voir arriver en
Egypte. Constater qu’après des décennies de discrimination
et d’inégalité, les femmes sont encore écartées de la vie
politique, n’est pas encourageant. La lutte, pourtant, doit
continuer. En souriant, Bahnassi conclut : « La place Tahrir
est toujours là et nous n’avons peur de rien ».
Hanaa
Al-Mekkawi