Al-Ahram Hebdo, Visages |  Abdel-Rahman Youssef , Chantre de la révolution

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 Semaine du 27 avril au 3 mai 2011, numéro 868

 

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Visages

Poète et militant, Abdel-Rahman Youssef critique l’ancien régime depuis son plus jeune âge. Figure proéminente de la place Tahrir, sa verve a donné un nom à la révolution : celle du « cactus ». Une plante aussi coriace que les manifestants.

Chantre de la révolution

« C’est moi qui ai payé les frais d’installation des haut-parleurs durant la révolution place Tahrir. J’ai découvert que l’on avait besoin d’une antenne pour organiser la foule. Le fait de mobiliser les gens par le micro a été très efficace ». Abdel-Rahman Youssef évoque les beaux jours de Tahrir, lorsqu’il a été surnommé « poète de la révolution ». Il décrit l’émotion des premières minutes, en disant : « J’ai pleuré en répétant de manière hystérique : L’Egypte est grandiose. Nous sommes un peuple digne. Si quiconque ose répéter de nouveau qu’on n’est pas révolté, il faut le piétiner… L’Egypte est belle … ».

Le poète compare les révolutionnaires au cactus. Eux aussi peuvent survivre sans eau pendant de longues périodes et possèdent des épines pour se protéger contre l’agression de chevaux et de chameaux et contre les balles des forces de l’ordre. Pour cela, il appelle la révolution du 25 janvier 2011 « la révolution du cactus ».

Se libérer de l’oppression a été, pour lui, l’objectif de sa vie. Abdel-Rahman Youssef a surtout commencé à écrire des poèmes politiques depuis la guerre contre l’Iraq en 2003. « Lorsque j’ai vu les chars américains sur la place d’Al-Fardoss en Iraq, j’ai imaginé que la place Tahrir pourrait être occupée de la même manière », explique-t-il. Il ajoute que le déséquilibre régional et la persistance de Moubarak constituaient une terre fertile pour l’occupation étrangère. L’occupation américaine en Iraq a poussé le poète à écrire son deuxième recueil, Amam al-meraah (devant le miroir), en 2003, après un premier en 1992, Nazf al-horouf (des lettres qui saignent). « J’ai rassemblé mes écrits pendant cette période dans le recueil Devant le miroir. Une manière de livrer bataille en s’appuyant sur mon talent ».

Fi sehhat al-watan (à la santé de la nation) regroupe exclusivement des poèmes politiques. Nombre de ses lecteurs n’ont pas apprécié le ton. « Il y a des gens qui m’ont rendu le livre que je leur ai dédicacé, y trouvant des offenses à l’ex-président », se rappelle Youssef. Il explique qu’ils avaient peur d’être convoqués par la police ou la Sûreté d’Etat. « Je n’avais aucun souci à être un opposant du régime. Mon amour pour la patrie passait avant tout et j’aspirais à la libération du peuple ». Il vociférait à travers ses textes qu’il détestait « la présence lugubre du président depuis un quart de siècle. Toujours protégé par ses gardes et ses hommes de main ». Youssef n’a jamais caché son dédain pour l’ancien régime.

A l’époque, le jeune poète, assez discret, a eu l’occasion de travailler comme présentateur dans des chaînes privées, mais son désir d’écrire a pris le dessus, mettant un terme à ses projets. « J’avais un talk-show sur une chaîne privée. Nous avons même filmé la promo de l’émission. Du jour au lendemain, je n’ai trouvé personne dans les coulisses : un vide total ». Le poète surmonte les problèmes, sachant que cela n’est rien à comparer à ceux qui ont payé de leur vie le prix de la liberté.

« Une seule fois en 2005, j’ai pu organiser un colloque à Saqiet Al-Sawi et c’était la dernière fois jusqu’à la chute du régime. Après le départ de Moubarak, j’ai organisé plus de 7 colloques dont le plus important a eu lieu au grand théâtre de l’Opéra », souligne-t-il en narguant l’ancien régime. Selon lui, l’interdiction de publier qui touchait certains intellectuels n’a pas atténué leur influence sur les gens.

Abdel-Rahman Youssef réfléchit avant de répondre à une question. Il pèse ses mots et parle en arabe classique. Il contemple, regarde les yeux de son interlocuteur et répond d’un air sérieux. En même temps, il se vexe si l’on tente de s’approcher de son enfance ou de son rapport avec son père, le cheikh Youssef Al-Qaradawi. « Je n’aime pas être introduit comme le fils du cheikh et préfère que l’on juge ma poésie en toute objectivité, sans faire le lien avec mon père et sans tirer profit de sa célébrité ». Le jeune poète est catégorique : il n’aime pas aborder les questions personnelles. « J’ai un master ». En quoi ? « Ce n’est pas important de le mentionner ». Et la femme ? Il se contente d’un large sourire comme seule et unique réponse. Avez-vous connu une expérience amoureuse ? « Et qui parmi nous n’a jamais aimé ? ». Avez-vous des enfants ? Il fait comme s’il n’avait rien entendu. Et ainsi de suite.

Il finit pourtant par évoquer son enfance à Doha où il a découvert son penchant pour la poésie, en troisième année de primaire. « J’ai écrit des vers sur l’école, les études, etc. Il y avait de la nostalgie dans mes écrits ». Le petit Abdel-Rahman s’est passionné pour la lecture dès son plus jeune âge. « J’ai absorbé la poésie des différentes époques en même temps que la littérature traduite, notamment celle de l’Amérique latine ». Il note d’ailleurs qu’il existe une grande ressemblance entre les gens d’Amérique latine et d’Egypte, se disant optimiste quant aux révolutions arabes. « Il est temps que le peuple égyptien se redécouvre. Car l’ancien régime a caché beaucoup de ses côtés positifs ». Youssef estime qu’avant, le peuple menait une lutte pour la survie. Mais après la révolution, un vent d’espoir l’emporte, rappelant la gloire d’antan.

« La corruption était contagieuse, à tous les niveaux. Mais à mon avis, il faut commencer par les municipalités pour former des cadres politiques, et à long terme des leaders au service du peuple ». Youssef regrette que les jeunes révolutionnaires soient préoccupés par les élections parlementaires et par le choix d’un président de la République. Il trouve que les Frères musulmans ont assimilé la leçon, en se tournant vers les municipalités. « Ils ont un mouvement organisé et intelligent ... bientôt un parti ».

Il n’est pas des Frères musulmans. Mais beaucoup de ses amis le sont, et selon lui ils comprennent mieux les règles du jeu. « Nous avons de grand défis à relever comme la réforme de l’éducation, l’industrie, l’économie et l’agriculture. Tous ces éléments sont liés à une vie politique saine ».

Fin 2009, Abdel-Rahman Youssef a été coordinateur de la campagne populaire pour le soutien de Mohamad ElBaradei. Il n’a pas tardé à prendre du recul mais continue à la soutenir. « Je suis conscient de la nécessité de soutenir Mohamad ElBaradei pour être élu comme prochain président. ElBaradei n’appartient pas aux partis politiques déjà présents. Il a toujours été assez indépendant par rapport au gouvernement et à l’opposition. Même s’il est un peu âgé, il pourrait faire un bon président pour la période transitoire ».

Le militant est tout à fait conscient que son candidat risque d’être impopulaire car l’ancien régime, selon lui, a répandu beaucoup de rumeurs à son égard. Lorsque Baradei s’est rendu pour voter sur la Constitution à Moqattam, on l’a conspué et on lui a jeté des pierres ...

Abdel-Rahman Youssef suit de près tout ce qui passe mais jamais son intérêt pour la politique ne l’a empêché de composer des vers, passant le gros de son temps à sa résidence de Kafr Hakim, au 6 Octobre. « Mon ultime bonheur est d’écrire au bord du ruisseau. La vie en ville entrave la créativité et consomme beaucoup de temps ». Selon lui, écrire sur la personnalité égyptienne doit s’accompagner d’une fine observation du paysage rural. Car d’après lui, la campagne est riche de ses expériences humaines. L’écrivain doit en tenir compte plutôt que s’intéresser aux prix et aux concours littéraires. Complexité, sensibilité, honnêteté ... Toutes ces notions se mêlent pour donner jour à une poésie bien coupée, rythmée et précise.

Dina Ibrahim

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Jalons

1970 : Naissance à Doha.
1992 : Premier recueil de poésie Nazf al-horouf (des lettres qui saignent).
2003 : Chute de Bagdad et décès de l’intellectuel palestinien Ahmad Sedqi Al-Dajani.
2008 : Décès du penseur égyptien Abdel-Wahab Al-Messiri.
2011 : La révolution du cactus.

 




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