Enseignement .
Près de 50 écoles privées et internationales offrent une
formation religieuse en Egypte. Des établissements scolaires
qui nourrissent les aspirations d’une nouvelle couche
sociale. Tournée.
La ferveur religieuse au premier rang
Il
est 7h30, les filles se pressent à la porte de l’école.
Certaines élèves réajustent les foulards blancs sur leur
tête avant de se mettre en rang. Dans cette école privée, la
pudeur est évidente sur la tenue des élèves. Elles portent
des jupes amples et longues à carreaux rouge et blanc et des
tee-shirts de couleur rouge à manches longues. « Mes parents
ont préféré que je sois dans une école religieuse privée
pour avoir une éducation ouverte aux autres cultures tout en
conservant nos coutumes et traditions », souligne Hagar,
élève de 12 ans, en première préparatoire. Ses parents ont
passé quelques années aux Etats-Unis pour terminer leurs
études supérieures. Ils ont été un peu choqués par le
libéralisme de la société américaine et ont donc voulu
donner une éducation à leurs enfants à la fois moderne et
conservatrice.
Leurs études terminées, les parents de Hagar sont rentrés au
pays craignant que les enfants ne grandissent dans un milieu
où les adolescents ne respectent ni la religion, ni
l’opinion d’autrui. Des parents qui ne cachent pourtant pas
leur fascination pour la civilisation occidentale et ses
progrès scientifiques. Le choix de l’école de leur fille a
été fait sur cette base : maîtriser une langue étrangère
afin de s’ouvrir aux cultures sans perdre sa propre
identité.
En effet, la première école privée islamique au Moyen-Orient
a ouvert ses portes en 1980 grâce à Zahira Abdine, surnommée
la mère des médecins. Talaïe al-kamal al-islamiya a œuvré
pour donner une éducation religieuse particulière et loin du
contrôle d’Al-Azhar, seule institution à offrir une telle
formation. « Enseigner un islam modéré, tolérant, c’est la
règle d’or dans notre école. On ne suit ni parti, ni groupe,
ni secte », précise Manal Osmane, directrice de cette école
située à Ard Al-Golf dans le quartier d’Héliopolis.
Selon les chiffres avancés par le site du ministère de
l’Education, il existe 50 écoles islamiques privées au
Caire. « Ces écoles sont sous contrôle du ministère de
l’Education qui exige que les élèves apprennent
obligatoirement les matières sociales et la langue arabe. De
plus, la direction de l’école doit appliquer un principe,
celui de diffuser un message tolérant de l’islam », confirme
un responsable au ministère de l’Education.
Ce système de formation a gagné de l’ampleur à partir des
années 1970. L’invasion culturelle inspirée par des pays
comme l’Arabie saoudite et les pays du Golfe a marqué
l’Egypte. A l’époque, beaucoup de citoyens sont partis
gagner leur pain dans ces pays. Ils sont revenus avec des
idées conservatrices. Alors, la présence d’écoles répondant
à un courant islamique modéré dans la société est devenue
une obligation. Selon Chahida Al-Baz, directrice du Centre
des recherches arabes et africaines, l’identité nationale a
connu une métamorphose en raison de l’émergence d’une
nouvelle couche sociale huppée qui a donc créé son propre
univers : écoles, quartiers, affaires. Aujourd’hui,
plusieurs types d’écoles islamiques ont été créés, prônant
un islam à l’américaine, répondant aux aspirations de la
nouvelle couche capitaliste.
Des parents aisés ont donc choisi d’inscrire leurs enfants à
l’Ecole internationale islamique où les frais de scolarité
s’élèvent à 30 000 L.E. par an. « Les enfants apprennent le
Coran trois fois par semaine, font leurs prières à la
mosquée de l’école et exercent aussi des activités qui les
initient à la bonne conduite et la nécessité de tendre la
main aux pauvres », commente Samah, professeure dans une
école internationale islamique. Cette école tente de changer
le discours traditionnel. C’est à travers des pièces de
théâtre ou le dessin que les élèves apprennent les préceptes
de la religion. Selon Samia, une autre professeure, les
élèves semblent s’intéresser plus aux activités qui
développent leurs aptitudes à réfléchir, à exprimer leur
avis et à prendre une décision. Elle ajoute que l’option de
s’ouvrir au monde tout en veillant aux principes religieux
permet de préserver l’équilibre d’une personne.
Cette école tente de créer un terrain commun entre certaines
valeurs occidentales et plusieurs principes de l’islam. «
Lorsqu’on a voulu choisir la tenue vestimentaire des grandes
classes, les élèves concernés se sont réunis et chacun a
dessiné un modèle à proposer. Résultat : la tenue a été
créée par eux-mêmes. Une façon de leur apprendre à
s’exprimer », dit Samah, une enseignante d’anglais qui porte
une longue tunique très ample.
Dans
cette école, les professeurs sont de différentes
nationalités. On n’exige pas qu’elles soient toutes de
confession musulmane mais doivent être très pédagogues et
maîtriser la langue anglaise. Elles doivent obéir à
certaines règles du point de vue vestimentaire. La pudeur
est une obligation. Pas de manches courtes, pas de pantalons
serrés, pas de maquillage et pas de savates. Voilà les
critères sur lesquels les professeurs doivent s’entendre
avant de signer le contrat de recrutement à l’école.
Dans une autre école d’Al-Tagammoe Al-Khamès, c’est le grand
luxe. Les restaurants accueillent les élèves, où filles et
garçons sont mélangés. Mais en classe, les deux sexes sont
séparés à partir de la sixième année primaire. Le cours de
sport comporte des restrictions. Les filles doivent porter
des pantalons sous leurs uniformes pour cacher leurs jambes.
« L’âge de puberté est une période délicate, c’est pour cela
que l’on sépare les filles des garçons à partir de la
sixième primaire », explique Samah dont la fille de 12 ans
entame l’adolescence. Elle ajoute : « Grandir dans une
atmosphère saine imprégnée de religiosité est la meilleure
solution pour éviter les problèmes qui peuvent surgir durant
cette étape critique ». Durant le cours d’éthique, Hanan
entretient des discussions enrichissantes avec ses élèves
tout en cherchant à les initier aux cultures américaine et
islamique. Ce professeur comprend parfaitement la nature
critique de cette période. Aujourd’hui, les élèves abordent
des sujets tabous comme l’amour : « J’apprends aux enfants
que les sentiments au cours de cette période ne sont pas
stables, tout en citant des exemples d’expériences vécues ».
Un genre de formation que les familles apprécient, d’autant
que leurs enfants sont souvent devant la télé ou Internet.
Amani, parente d’élève, pense que les enfants ne sont pas à
l’abri des idées libérales. Le rôle de l’école est de trier
les bonnes des mauvaises. « Par exemple, au niveau du
langage, on interdit aux élèves d’utiliser des mots
provenant du jargon usuel des jeunes, à l’exemple de réwech,
tahn et akher haga », précise Amani.
Al-Azhar s’associe
Et ce n’est pas tout. A son tour, Al-Azhar, la plus
importante institution religieuse, est entrée en jeu. Des
écoles privées ont reçu son accréditation. Leur objectif est
de former des générations capables de s’adresser aux
différents pays du monde, non arabophones et ayant une image
erronée de l’islam. L’institut Tajan, construit dans une
ville nouvelle, accueille des élèves contre 10 000 L.E. par
an. Omar, le père d’Israa, vient de déposer les papiers de
sa fille pour la faire entrer au jardin d’enfants. «
L’enseignement d’Al-Azhar provoque du stress, car l’on
insiste pour que les enfants apprennent par cœur le Coran
dans le cycle primaire. Alors que les autres écoles
islamiques privées ne s’intéressent pas à cette notion »,
affirme cet ingénieur avec une barbe, qui lorsqu’il parle à
une femme, baisse les yeux. Ici, la formation semble plus
sévère. Les filles sont séparées des garçons dès le début.
Le cheikh Moustapha, vêtu d’une djellaba, fait réviser un
verset du Coran à ses élèves âgés entre 9 et 10 ans. Cet
institut diffère de ceux d’Al-Azhar. Les salaires des
professeurs ont doublé et le nombre d’élèves par classe a
été réduit de moitié.
Une nouvelle tendance qui semble avoir bouleversé le
quotidien des familles égyptiennes de classe aisée. Cette
dernière envoyait autrefois ses enfants dans des écoles
catholiques. « Aujourd’hui, les parents qui ont les moyens
peuvent choisir l’école qui convient le mieux à leur enfant.
De mon temps, il n’existait que les écoles des sœurs pour
ceux qui voulaient apprendre une langue étrangère, surtout
le français », affirme Réhab, tout en poursuivant : «
Pourquoi doit-on forcer des élèves de confession musulmane à
réciter la même prière que leurs camarades chrétiens avant
de commencer les cours ? ».
Le Dr Emad Gad, chercheur au Centre des Etudes Politiques et
Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, estime que la discrimination
sociale entre les Egyptiens est devenue évidente, lorsque
par exemple les chrétiens préfèrent donner à leurs enfants
des prénoms qui identifient leur identité religieuse. « Je
suis de la génération qui a connu l’égalité entre les
Egyptiens, j’avais des camarades à l’université qui ont
découvert que j’étais chrétien par hasard », dit-il en
regrettant cette époque de tolérance.
Par ailleurs, Mona, mère de deux enfants dans une école
islamique, ne se contente pas de l’enseignement que ses
enfants suivent actuellement dans leur école. Une fois par
semaine, un cheikh vient à la maison pour leur faire
apprendre à réciter le Coran par cœur et à pratiquer les 5
prières.
Dina
Ibrahim