Viviane Hamy,
éditrice française de la maison d’édition qui porte son nom,
revient en Egypte avec le roman Jours d’Alexandrie de
Dimitris Stefanàkis. Entre souvenirs et fiction romanesque
de sa ville natale, son imaginaire se heurte à la réalité
d’un pays qui se voit renaître.
Visions croisées
Lectrice avant d’être éditrice, Viviane Hamy est toujours
portée par la passion de lire et de redécouvrir non
seulement les littératures mais aussi les hommes. Une
passion qui est peut-être née avec ses origines mixtes.
Ses arrière-grands-parents maternels sont algériens et ceux
du côté paternel sont d’origine iraqienne. « Après deux ou
trois générations et avec le décret Crémieux, mes parents
maternels ont eu la nationalité française. Ma mère a eu donc
la nationalité française et on l’a eue à notre tour, mes
frères et sœurs et moi. Mon père, quant à lui, est né en
Egypte. Mais, il était apatride ».
En 1956, avec l’intervention militaire contre l’Egypte,
comme tous les étrangers, la famille Hamy a dû quitter
l’Egypte. Et comme toute la communauté juive avait comme
point de rencontre sa judéité, la famille paternelle est
partie à destination d’Israël. Quant à celle de sa mère,
elle a été rapatriée en France. « Né en Egypte, mon père
aurait pu demander la nationalité égyptienne, mais il ne l’a
pas fait. Et là, il y a un grand point d’interrogation. Je
pense que mon père, qui était propriétaire d’un magasin de
photographie, ne trouvait aucun problème à vivre sans
nationalité en Egypte. Des juifs d’Egypte en France
m’avaient même raconté que jusqu’à 1943, il y avait entre la
Palestine et l’Egypte une liaison ferroviaire qui permettait
de rendre facilement visite aux cousins et amis ».
Rentrée en France, sa famille n’avait presque rien. « Ma
mère a dû aider mon père. Ils avaient un magasin de produits
orientaux : des olives, des pistaches, du fromage, etc. ».
Il paraît que malgré la distance, le parfum de l’Orient
continuait à embaumer les lieux et les souvenirs habitaient
toujours les esprits. « Si je suis née à Alexandrie, c’est
parce que je suis née au mois d’août, la saison des vacances
d’été pendant laquelle nous avions l’habitude d’aller chez
grand-mère qui habitait Alexandrie. Il s’agit d’un
œcuménisme tout à fait extraordinaire. Il y avait des
musulmans, des catholiques, des juifs et tout se passait
très bien. Ma mère me racontait que c’était une société très
ouverte ».
Hamy souligne qu’elle est impressionnée par les souvenirs de
sa mère aussi bien que par son caractère. « Elle partait
très tôt le matin pour aider mon père et ne rentrait que le
soir. Elle n’avait que le dimanche pour s’occuper de sa
famille, mais elle prenait soin de tout ». Jeune, Viviane
apprenait les leçons de vie de sa mère : ne jamais mettre
les gens dans des cases suivant leur apparence. « On avait
peu d’argent, mais ma mère préférait avoir un seul pull de
bonne qualité plutôt que plusieurs. Je me rappelle encore
son pull bleu ».
Timide et solitaire, Hamy préférait passer son temps à lire.
La lecture était cette petite fenêtre qui lui permettait de
jeter un regard sur l’autre et de déchiffrer
l’incompréhensible. « J’ai commencé à découvrir Dostoïevski
avec ces questions compliquées comme la culpabilité ; je ne
le comprenais pas très bien à l’époque mais il m’a beaucoup
attirée. A force de lire, je découvrais que plus je lisais,
plus le monde s’ouvrait. Et plus je me rendais compte de la
nécessité de mettre les choses en relation : un livre
anglais en relation avec un livre français, un livre du XIXe
siècle où il n’y avait pas de voitures avec un livre du XXe
siècle ». Des questions ne cessaient en outre de me
traverser l’esprit : « Comment on lit et comment on écrit ?
En quoi consiste le rôle du lecteur dans la lecture ? ».
Licence de droit en poche, Hamy décide de travailler dans le
domaine de l’édition. Là, elle avoue avoir découvert un
métier qui fait partie de « notre vie », qui « nous
constitue ». « Pendant une année, j’ai cherché un travail
dans les maisons d’édition. Parallèlement, j’ai appris à
taper à la machine, j’ai travaillé dans des cabinets
d’avocats et puis un jour dans une toute petite maison
d’édition, on avait besoin de quelqu’un pour aller voir les
libraires ». C’est ainsi que Hamy commence sa carrière.
Elle a fait la découverte de toute une réalité économique
qui se cachait derrière la production du livre. « Mais aussi
toute une série de rapports humains : le rapport entre
l’auteur et l’éditeur, l’éditeur et les imprimeurs,
l’éditeur et les libraires, les libraires et les
journalistes, etc. », souligne-t-elle. Puis elle ajoute : «
Etre éditeur n’était donc pas pour moi le seul rapport avec
l’auteur. C’est plutôt toute la dimension humaine du métier
pour donner au lecteur cet objet magique qui va lui
permettre de s’ouvrir sur le monde ».
L’année 1976 a marqué sa vie professionnelle. Elle a fait
une rencontre avec un exilé de Yougoslavie qui était éditeur
dans son pays. Il lui a ouvert la porte sur la littérature
de cette partie du monde. « Cette partie de l’Europe a une
histoire qui a fait que les êtres humains étaient dans
l’obligation de trouver dans la littérature un lieu de
liberté. C’est aussi une littérature qui touche à la
dimension métaphysique de l’homme et cherche à donner une
signification au sens de vie ». Après avoir frayé des
sentiers dans l’univers du livre, Hamy avait toujours la
rage de présenter aux lecteurs des livres qu’ils méritent.
Dans le domaine de la littérature française, ses éditions
s’attachent à découvrir et à redécouvrir des écrivains comme
Léon Werth et François Vallejo, sans oublier Marcel Sembat
et Gilles Heuré. Dans le domaine étranger, elle n’hésite pas
à nous présenter des ouvrages de Hongrie et d’Espagne, en
passant par la Russie et l’Italie.
« Pour moi, la littérature est universelle. Il est donc
important de la confronter. Même si je suis française,
j’aimerais découvrir la littérature française, aller sur des
chemins peu fréquentés du côté de la vieille Europe »,
affirme-t-elle. « La grande littérature pour moi, c’est
celle qui parvient à donner cette vision : l’être humain est
toujours l’être humain, quels que soient le temps ou
l’espace. Il a un esprit qui lui permet de réfléchir,
d’apprendre, de s’exprimer mais aussi d’accepter l’autre qui
lui semble différent. La différence doit être une source
d’enrichissement et non pas un appauvrissement », dit-elle
aussi.
Viviane Hamy a entendu parler d’une Egypte où la diversité
était une source de richesse culturelle et idéologique. Elle
vient de publier dans une version française le roman Jours
d’Alexandrie de l’auteur grec Dimitris Stefanàkis, qui
retrace une chronique de trois générations au sein d’une
ville cosmopolite qu’était l’Alexandrie de la première
moitié du XXe siècle.
Est-ce par passion ou nostalgie que Viviane Hamy a publié ce
roman ? « A trois ans, on n’a pas bien sûr de mémoire.
Alexandrie m’était toujours un mythe. Et comme tous les
mythes, il s’appuie sur une réalité. En 2007, l’éditrice
grecque de Dimitris Stefanàkis m’a proposé le livre,
consciente qu’il allait m’intéresser, car je venais de
publier un livre italien qui couvre la même période, à
savoir la première moitié du XXe siècle. Elle m’a raconté
les incidents qui se passaient à Alexandrie. Et comme ma
mère venait de mourir, elle qui y avait vécu une bonne part
de sa vie, cela m’a fait un drôle d’effet émotionnel,
surtout que l’éditrice ne savait pas que j’étais née là-bas.
Au fur et à mesure que je lisais le livre, les souvenirs que
ma mère m’avait racontés me revenaient à l’esprit. J’ai
acheté le livre ».
Ce livre a beaucoup impressionné l’éditrice qui affirme ne
publier que les livres qu’elle aime et qui laissent le
lecteur poser les mêmes questions que celles des
protagonistes. « Jours d’Alexandrie fait partie de ces
livres. C’est un livre intelligent ».
A 57 ans, Viviane Hamy revient en Egypte après l’avoir
quittée à l’âge de trois ans. Cette fois, elle porte avec
elle les souvenirs et le roman Jours d’Alexandrie. « Avant
d’aller visiter les musées qui me passionnent, j’avais très
envie de voir comment vivent les gens. J’ai été bouleversée
par ce contraste en Egypte, ce fossé entre les classes
sociales, la présence d’hôtels luxueux et en même temps une
pauvreté atroce. La seule solution possible réside dans
l’écoute de l’autre, le regard, la conscience, la lucidité.
Celui qui accédera au pouvoir devra être suffisamment
exigeant avec lui-même pour ne pas oublier ces gens
misérables. Les jeunes Egyptiens qui ont fait cette
révolution devraient suivre ce parcours ».
Lamiaa
Al-Sadaty